"La Piscine", à Roubaix, jusqu'au 08 Janvier 2023
Jusqu’au 08 janvier 2023, à Roubaix, le « Musée d’Art et d’Industrie André Diligent » – plus connu sous le nom « La Piscine », vu qu’historiquement, ce lieu abritait la piscine municipale, les anciennes cabines de bain étant devenues des lieux d’expositions, de nombreuses sculptures longeant un plan d’eau, qui nous rappelle la précédente affectation du lieu – nous propose sa « saison anglaise », pensée autour de William Morris (1834-1896).
Cette exposition monographique, qui connait un immense succès, présente près d’une centaine d’œuvres –dessins , mobiliers, peintures et textiles – provenant de collections publiques anglaises, telles celles de la « Tate Britain » et du « Victoria and Albert Museum », mais, aussi, de collections publiques françaises et, particulièrement, celle conservée au « Musée d’Orsay ».
Jamais présentée en France, l’œuvre du visionnaire britannique William Morris a fortement marqué son époque, en théorisant une utopie artistique, écologique, politique et sociale, en posant les bases de ce qu’on nommera plus tard les « Arts & Crafts », qui défendent l’art dans tout et pour tous en réaction à l’industrialisation des savoir-faire artisanaux.
Issu de la bourgeoisie aisée, après des études de théologie à l’ « Université d’Oxford », sétant lié d’amitié avec le peintre britannique Eward Burne-Jones (1833-1898), il abandonna son désir d’entrer dans les ordres, pour étudier l’architecture et l’art.
Lassé par la victoire finale de d’une standardisation outrancière de l’univers quotidien, William Morris s’est voué à la mise en forme du vecteur premier de sa rêverie ; le livre. ainsi, en 1891, il crée la « Kelmscott Press » et réalise, avec la complicité d’Eward Burne-Jones, à l’illustration, une édition luxueuse du chef d’oeuvre de l’écrivain londonien Geoffray Chaucer (1340-1400), pionnier de la fiction de langue anglaise, « Les Contes de Canterbury » (une série de 24 contes/ 1387-1400),
Une salle est consacrée à l’architecture, nous montrant, entre autres, des photographies de sa « Red House », édifiée, en 1859-1860, sous la conduite de l’architecte britannique Philipp Webb (1831-1915), que William Morris rencontra en 1856, cette superbe habitation, qu’il appelait « Palais de l’Art », ayant été sienne de 1860 à 1865.
Fuyant les villes encrassées de fumée, les industries qui détruisent les espaces de la nature, un monde écrasé par son matérialisme, au point d’ignorer les raffinements de la vie, il écrivit (repris à la page 34 du catalogue) : « Je demande que soit plaisant, beau et généreux le cadre matériel de ma vie. C’est une exigence de taille, je m’en rends compte. Je n’en dirai qu’une chose : si l’on ne peut y répondre, si les sociétés civilisées ne sont pas toutes en mesure de garantir à l’ensemble de leurs membres un environnement de cette qualité, je souhaite que le monde s’arrête. »
Ce cadre matériel de sa vie, nous le retrouvons tout au long de la découverte des différentes salles, nous restituant son univers, présenté dans une scénographie, volontairement immersive, imaginée par le graphiste et designer Cédric Guerlus (°Lille/2006), ancien étudiant, durant sept ans, en Arts graphiques et Publicité, à l’ « Institut Saint-Luc », à Tournai, créateur, à Roubaix, de la société « Going Design ».
Queques citations de William Morris, affichées au sein de l’exposition :
** « Mon travail est l’incarnation de rêves, sous une forme ou une autre. »
** « Un bon moyen de se débarasser d’une sensation d’inconfort est de faire quelque chose. »
** « Outre le désir de produire de belles choses, la principale passion de ma vie a été et reste la haine de la civilisation moderne. »
** « Si vous ne pouvez pas apprendre à aimer l’art véritable, apprenez au moins à détester l’art factice et à le rejeter. »
** « Si d’autres peuvent le voir comme je l’ai vu, alors cela peut être appelé une vision plutôt qu’un rêve. »
** « Je ne veux pas plus d’art pour quelques-uns que d’éducation pour quelques-uns ou de liberté pour quelques-uns. »
** « N’ayez rien chez vous que vous ne sachiez utile ou que vous ne croyiez beau. »
** « Le plus grand ennemi de l’art est le luxe, l’art ne peut pas vivre dans son atmosphère. »
** « Il n’y a aucune excuse pour faire quelque chose qui ne soit pas d’une beauté saisissante. »
** « Rien d’inutile ne peut être vraiment beau. »
En fin de parcours, une boutique de souvenirs, propres à cette exposition, nous attend, nous proposant, nombre d’articles, allant des cartes postales aux parapluies, en passant par le catalogue, des écharpes ou des colliers pour nos chiens.
Jouxtant la principale exposition, nous trouvons l’expo « Hugo Laruelle : le Lac aux Îles enchantées », d’après le titre du roman de William Morris.
Travaillant à Roubaix, au sein de la « Maison verte » (1893/architecte : A. G. Dubois), sise à deux pas de « La Piscine », Hugo Laruelle (°Maubeuge/1973) expose ses photographies, fusionnant portrait et nature, ses peintures florales, agrémentées de charmants petits oiseaux, ainsi qu’une table, un vase et un superbe paravent à quatre paneaux.
Dans les traces de William Morris, l’artiste-peintre, photographe et professeur Hugo Laruelle nous présente ses faune et flore contagieuses, qui font de nous des complices d’un parcours forestier métenpsycose dont nous ne pouvons sortir indemnes.
Stéphane Jach, en page 22 du catalogue d’Hugo Laruelle, écrit : « Merlin aux doigts poissés de peinture, Hugo dessine des forêts aux volutes non maîtrisées, qui incantent et saisissent la cheville, le cou ou la taille, qui tissent un filet arachnéen, qui se faufilent et pénètrent intimement. Nasse ou berceau, les îles inconnues sont riches de forêts, qui accueillent, qui maintiennent, qui retiennent. »
« Dans la foêt inquiétante des îles du lac perdu, Hugo nous attend, le miroir et la palette à la main, l’humour chevillé au corps pudique, nu, au corps révélé, corps exposé mais protégé par des réhausses nombreuses, les reflets, les ombres portées, les inscriptions diiverses. Pas voyeur. »
Citons Alfred de Musset (1810-1857), dans « Fantasio » (1833) : « C’est tout un monde que chacun porte en lui ! Un monde ignoré qui naît et qui meurt en silence ! »
Retour à un artiste britannique, avec Luke Newton (°Colne/1987) et son expo intitulée « Luke Newton : Un Produit de Consommation », épinglant les travers de notre société avec un humour typiquement britannique.
Originaire d’une ville industrielle du Nord de l’Angleterre, ayant poursuivi ses études d’art à la « Saint Martin’s School », à Londres, Luke Newton commence fort son exposition, avec une potence moderne immaculée, à la finition lisse et méticuleuse (« Like for Like »/2015), présentée avec des coeurs, opposant la notion d’amour à celle de la sentence, tout comme plus loin, ces mêmes coeurs sont posés près d’une guillotine (« Killing me Softly »/ 2019), toute aussi blanche et lisse, … avec le un titre curieux, en anglais, se traduisant par « Tuer moi doucement ».
Cette notion d’amour nous la retrouvons dans ses tableaux intitulés « Lol » (acronyme symbolisant le rire)/2022, reprenant fidèlement le graphisme de la célèbre sculpture des années ’60, « Love », de l’artiste américain Robert Indiana (1928-2018).
Tout à l’opposé de cette notion, loin de toute idée du rire, nous découvrons des têtes de morts (« Vanity »/2002), des revolvers (« « Take it Uzi series »/2022) et fusils (« MP5 Series »/2022), réalisés avec de crayons multicolores, des crânes étant, aussi, réalisés avec des collages de découpages de publicités de produits de consommation (« One Man’ ‘s Trash Skull Collage »/2022). Et que dire de ses autres coeurs (« Ooops ! »/2020), qui sont des cibles pour arbalètes.
Comme l’écrit Claudia Valencia (page 08 du catalogue de l’artiste) : « Luke Newton défie la loi de la gravité dans l’art. Avec son oeuvre, solidement ancrée dans so temps, le terme d’ ‘artiste conteporain’ prend tout son sens. Il traite avec humour, impertinence et un recul salvateur, les absurdités de notre société. Ses créations sont ces lunettes inispensables, qui nous aident à mieux percevoir et écrypter notre époque … Le sens de ses œuvres reste ouvert à l’interprétation et l’artiste nous invite à consommer l’exposition sans modération de réflexion. »
Toujours au rez-de-chaussée, cinq cabines de bain nous poposent de découvrir « Le Royaume-Uni dans les collections de La Piscine », le titre de l’expo étant « Roubaix save the Queen », nous dévoilant une certaine conception de l’élégance, dans la mode britannique, incluant, aussi, fantaisie et insolence.
Ainsi, la Ville de Roubaix témoigne tout particulièrement du rayonnement du goût anglais, tel qu’il s’exprime à travers la création textile. « Liberty » (cabine 1/marque créée à Londres, en 1875, par Arthur Lasenby {1843-1917}), tartan et paisley (cabine 2/tartan étant l’étoffe de laine à carreaux, dont est fait le « kilt »/paisley étant le cachemire), Prince-de-Galles, tweed et maille irlandaise (cabine 3), mode anglaise : l’art de l’impertinence (cabine 4/sous l’impulsion de Mary Quant {°Blackheath/1934}, les jupes racourcissent, avant que le mouvement « punk » détourne les codes de l’establishment) et l’invention du sportswear (cabine 5/renforcé par le développement, tout au long du XIXè siècle de sorts spécifiquement britanniques, du blazer des rameurs au cardigan et au short des tennismen, en passant par les polos des joueurs de … polo, sans oublier, pour le plaisir de la haute société, ce qui sied à la pratique de la chasse et de l »équitation), tous nés au Royaume-Uni, ont conquis le monde et continuent aujourd’hui d’inspirer nombre de créateurs étrangers).
Avant de gagner les cabines, au sortir du restaurant, issues des réserves et collections de « La Piscine », nous trouvons quelques céramiques et sculptures, ainsi qu’un accrochage de peintures, qui se poursuit dans le couloir, jouxtant les cabines, toutes ces oeuvres ayant été créées par des artistes britanniques et français.e.s, qui admiraient mutuellement leurs créations. Parmi les peintures, notons « La Cuisine ambulante », la seule oeuvre du peintre britannique Eric Kennington (1888-1960) conservée dans un musée français.
A proximité immédiate de ces cabines de bain, la céramiste française Odile Levigoureux (°Paris/1945) nous présente « Les Fruits de la Terre », une invitation à la découverte de trois aspects d’un œuvre exubérant, hypnotique, multiple, dominé par le végétal, qui témoigne du goût de l’artiste pour l’art baroque.
Après avoir expérimenté de nombreux médiums tels que le feutre, les livres d’artiste, le papier, la tapisserie, le vitrail, elle fait de la céramique son terrain d’exploration privilégié.
Parmi ses céramiques , nous voyons une « Nature Morte » imposante, réalisée en hommage aux peintres hollandais du XVIIè siècle qu’elle admire. Le sujet est une contemplation des nourritures et des objets quotidiens, mais il est surtout l’occasion d’une méditation sur la sculpture en soi.
En page 41 de son catalogue, nous lisons : « Les céramiques d’Odile Levigoureux sont des fleurs et des fruits de perre, mais où la terre vivante bouge encore, maquillée de couleurs vives et presque violentes, ce qui nous rappelle les « indiens de couleurs » du poème fluvial (et aussi colonial), « Le Bateau ivre », d’Arthur Rimbaud (1854-1891) ».
Notons ce que l’artiste italien Giuseppe Penone (°Garessio/1947) écrit : « Quelle meilleure matière pour créer que la terre qu’on trouve n’importa o ? C’est la matière la plus commune et, en même temps, la plus riche de pousières, la plus riche de mémoires de formes. Elle est un mélange de la poussière du passé (…). Ele est le monde fluide de l’imagination (…). Elle est la matière qui crée et récrée la vie sous des formes différentes. Elle est le laboratoire de la métamorphose. »
A l’étage, nous découvrons les collages de l’artiste français, d’origine polonaise Pat le Sza (Patrick Szalkowski/°Douai/1970), présentés au sein d’une exposition intitulée « Pat le Sza : a Piece of Noncence ».
Pat le Sza, se souvenant de ses années de formation à l’ « ÉSAAT » (« École Supérieure dArts Appliqués et Textile »), à Roubaix, décara : « Je saturais de couleurs toute feuille de papier qui tombait sous ma main, des carnets, des agendas. J’inventais un monde où des courroies reliaient tout et n’importe quoi (…) Et tout cela avait un petit côté ‘manuscrit du Moyen Âge’, regorgeant d’enluminures. »
Dans ses œuvres récentes, Pat le Sza nous dit : « Ouvrez les yeux » … Et il nous donne « la formule pour rire à se tordre » … Il y met l’humour l’esprit drolatique des surréalistes, l’étrangeté légère de Lewis Carroll (1832-1898) et illustre ainsi le précepte visionnaire de William Morris : « La simplicité de la vie, même la plus dépouillée, n’est pas la misère, mais le fondement même du raffinement ».
En page 32 de son catalogue, il répond ainsi à la question « C’est quoi le bonheur » : « Il y a quelques années, j’ai fait une grosse déprime et j’ai été isolé pendant deux mois et demi … Le dessin m’a sorti de ma solitude, waouhhh, quelle bonne échappatoire ! Pour tuer le temps, j’ai fait un autoportrait par jour, pendant trente-deux jours … Je me suis reconstruit … Il y a des portraits inquiétants, humoristiques, tragiques … La série est devenue « 32 Autoportraits de l’Artiste dans la Chambre 201, exposée en 2009. »
Toujours à l’étage, la commissaire Sylvette Botella-Gaudichon nous présente « Une Idyle bohême », des réalisations textiles de Marilyn Feltz, une jeune créatrice parisienne, travaillant à Roubaix, depuis 2019.
Incarnation parfaite de sa personnalité, ses créations, faussement classiques, mélangent intelligement des inspirations allant du mouvement « Arts an Crafts », initié par William Morris, à la culture clubbing, en passant par des références à l’Art Déco et au « Biba ».
Travaillant en duo, depuis 2015, avec son époux, Alexis Gaffuri, elle écrit, en pages 14-15 de son catalogue : « Notre marque, « Marilyn Feltz », a été pensée pour cristalliser ce ue nous avons vu, ressenti, tout au long de nos vies : des couleurs, des sensations, des gens, des musiques, des lieux magiques aux quatre coins de la planète, nos rires, nos pleurs … Cette jolie chorégraphie, nous l’avons transformée en de beaux habits, pour offrir un peu de bonheur et d’authenticité à celles qui ont choisi de porter une de nos créations. »
Parmi ses réalisations, notons une robe qu’elle a créée à l’occasion, en 2021, du 20è anniversaire de « La Piscine », nous permettant d’entrevoir, en textile, une évocation du superbe vitrail surmontant la surface d’eau du musée. Une belle originalité !
La concernant, le scénariste Philippe Azouri écrit : « Les vêtements que l’on porte nous inscrivent dans une société secrète. Celle de Marilyn Feltz me va. »
Enfin, la septième exposition, pardonnez du peu, retrace une importante page d’histoire, celle de « Roubaix à l’Heure anglaise 1840-1968 », les liens entre Roubaix et le Royaume-Uni ayant été nombreux et riches, principalement entre les années 1840, période des premiers voyages des industriels roubaisiens dans ce pays, et 1968, année du jumelage de Roubaix à Bradford.
Lors de son expansion, au XIXè siècle, Roubaix n’a qu’un modèle : l’industrie textile anglaise. Entre admiration réciproque et concurrence effrénée, toute l’histoire de la Ville est jalonnée de rendez-vous réguliers avec l’Angleterre, tant pour des aspects industriels et techniques que pour des points commerciaux, ou des débats sociaux, artistiques ou politiques.
Outre la projection d’un court-métrage documentaire, la scénographie de cette petite exposition présente l’historique des relations entre Roubaix et le Royaume-Uni, illustré de nombreuses photos, insistant, notamment, sur la visite, en 1957, à Roubaix, de la Reine Elisabeth II (1926-2022), qui fut amenée à signer le livre d’or de la Ville, en compagnie du maire roubaisien, Victor Provot (1903-1983).
Ouverture : jusqu’au dimanche 08 janvier 2023, du mardi au jeudi, de 11h à 18h, le vendredi, de 11h à 18h, le samedi et le dimanche, de 13h à 18h. Prix d’entrée : 11€50 (0€, pour les moins de 18 ans).Catalogue principal : « William Morris, l’Art dans tout » (Ed. « Snoeck »/broché/208 p./35€). Six autres petits catalogues (« Atelier Gallery Editions » /broché/80 p./19€). Contacts : lapiscine.mussee@ville-roubaix.fr & Site web (avec réservations en ligne) : https://www.roubaix-lapiscine.com/.
Conseils pratiques : pour les visiteurs qui comptent se rendre à « La Piscine », le samedi ou le dimanche, insistons sur le fait, que le musée n’ouvre qu’à 13h. Par contre le restaurant « Meert », que nous recommandons, ouvre à midi. Néanmoins, pour ce restaurant, la réservation est indispensble (33.3/20.01.84.21 & https://www.meert.fr/content/11-notre-brasserie-de-roubaix) Maintenant, le week-end, vu le succès de l’exposition consacrée à William Morris, nous conseillons de vous présenter à l’accueil du musée dès 12h30, afin d’éviter une file, qui peut rapidement atteindre une centaine de mètres, en rangs serrés, le contrôle de sécurité « vigie pirate » freinant, aussi, les entrées. Maintenant, si vous comptez passer une journée dans le Nord, signalons que le samedi comme le dimanche, à Lille, le « Palais des Beaux-Arts » et le « Musée de l’Hospice Comtesse » sont accessibles dès 10h.
A noter que les prochanes expositions à « La Piscine », dont « Aristide Maillol (1861-1944) : La Quête de l’Harmonie », prendront place du samedi 25 février jusqu’au dimanche 28 mai 2023.
Yves Calbert.