"Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique", à "Bozar", jusqu'au 16 Juin
« Le surréalisme en tant que mouvement dépasse simplement l’image et ça, c’est quelque chose peut-être que l’on oublie : s’il a duré aussi longtemps en Belgique – il a fait trois générations, 75 ans à peu près – c’est parce que c’est un mouvement de pensée, c’est un mouvement politique, un mouvement philosophique, pas seulement un mouvement artistique », nous confia Xavier Canonne, docteur en histoire de l’art, directeur du « Musée de la Photographie » carolorégien, commissaire de l’exposition bruxelloise « Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique » et co-auteur de son catalogue.
En octobre 1924, l’écrivain et poète français André Breton (1896-1966) signait, en France, son « Manifeste du Surréalisme », dans le même temps où le poète belge Paul Nougé (1895-1967) publiait ses premiers tracts, dans sa revue « Correspondance » (novembre 1924-juin 1925). L’occasion, en 2024, en Belgique, de célébrer le « Centenaire du Mouvement surréaliste », avec deux importantes expositions : « Imagine. 100 Years of international Surrealism », aux « MRBAB » (« Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique »), accessible jusqu’au dimanche 21 juillet, ainsi que « Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique », au « Palais des Beaux-Arts » (« Bozar »), ouverte jusqu’au dimanche 16 juin.
Paul Nougé créa donc le surréalisme à la belge, sa vision des choses étant différente de celle d’André Breton, v-Xavier Canonne nous confiant : « Paul Nougé est la personnalité la plus importante du Surréalisme, en Belgique, il est un petit peu cette espèce de tête pensante – pas de chef de groupe parce qu’il s’en est toujours défendu – mais il y a un ascendant intellectuel, une puissance intellectuelle, chez Paul Nougé, qui va s’exercer sur les autres. »
C’est ainsi sous le signe du poète belge Paul Nougé et de son livre « Histoire de ne pas rire » (1956), publié par l’écrivain belge Marcel Mariën (1920-1993), que le titre de cette exposition a été donné par Xavier Canonne, qui écrit : « Pour moi, le surréalisme est une attitude, un état d’esprit. Avant d’être un courant esthétique, c’est un mouvement philosophique, poétique et politique. » Ainsi, les surréalistes singuliers de Belgique vont au-delà de l’esthétique pure, souhaitant transformer le monde avec leur art subversif.
« Les mouvements surréalistes, potentiellement révolutionnaires, seront assez négligemment perçus par les autorités publiques », analyse Xavier Canonne. « On ne perçoit pas la hauteur de leur action. Ils n’occupent pas non plus le devant de la scène et c’est le paradoxe peut-être de Paul Nougé : c’est d’être à la fois dans la nécessité d’une action politique, mais de ne pas vouloir nécessairement prendre une action politique, de rester soucieux de sa liberté en ne se liant pas définitivement à un parti par exemple. »
« Nougé accompagna, pendant 25 ans, de tous ses textes, tous les catalogues et toutes les introductions de l’oeuvre de Magritte. »
Pour Simone de Beauvoir (1908-1986), dans son livre féministe "Le deuxième Siècle" (1949) : "Dans le surréalisme, la femme est tout sauf elle-même". Cependant, la représentation des femmes dans le surréalisme pose une question complexe. En effet, pour les surréalistes subversifs, l’« éros » (ou l'érotisme) relève d’une motivation artistique et le nu est considéré comme une arme pour s’opposer à l’Église et à la bourgeoisie. L'objectif est de secouer la foule, et quel meilleur moyen pour y parvenir que d’utiliser le corps nu comme instrument ? Les femmes artistes ont également souvent utilisé le nu comme thème, mais plutôt comme une réflexion sur leur propre position sociale et leur identité.
En Belgique, les deux principales artistes peintres féminines sont Rachel Baes et Jane Graverol. Bien que leur travail soit très différent et qu’elles n’aient pas entretenu beaucoup de contacts, leurs oeuvres offrent une vision nettement féminine, au sein d’un mouvement dont l’angle reste essentiellement masculin. Si toutes deux sont les filles de peintres, notons que Rachel Baes créa sa propre version du surréalisme, dans laquelle l’univers des petites filles évoque les traumatismes de l’enfance.
Lisons encore le propos de Xavier Cannonne : « À l’origine, ‘Histoire de ne pas rire’ est le titre donné en 1956, par Marcel Mariën, qui en est l’éditeur à l’enseigne de ‘Les Lèvres nues’ (revue littéraire et artistique belge/1953-1975/ ndlr), aux écrits théoriques de Paul Nougé (1895-1967). Au dos de l’ouvrage ‘Histoire de ne pas rire’ figure un encart en lettres capitales : ‘Exégètes, pour y voir clair, rayez le mot surréalisme’. Ce n’était pas la première fois que Nougé prenait ses ‘distances’ avec le mot surréalisme, qu’il avait déjà indiqué plus tôt utiliser simplement ‘pour les commodités de la conversation’. »
« Il n’en reste pas moins que Nougé, dès l’automne 1924 – et indépendamment de la publication par André Breton du premier ‘Manifeste du Surréalisme’ – constitue, avec Camille Goemans et Marcel Lecomte, le trio fondateur des activités surréalistes en Belgique, par l’édition d’une série de tracts ironiques sous le nom de ‘Correspondance’, visant les milieux littéraires et artistiques, essentiellement français, de l’époque. Si l’on s’en tient à la chronologie, il est donc naturel (comme il en va de même pour le ‘Manifeste du Surréalisme’, de Breton), que l’on commémore, en 2024, le centenaire du mouvement surréaliste, qui rayonna durant plusieurs décennies non seulement en France, et tout particulièrement en Belgique, mais également en Europe et sur d’autres continents. »
De son côté, André Breton écrivit : « Qu’est-ce que le surréalisme ? … C’est l’œuf de coucou déposé dans le nid (la couvée perdue) avec la complicité de René Magritte. C’est réapprendre à lire dans l’alphabet d’étoiles d’Édouard Léon Théodore Mesens. C’est la grande leçon de mystère de Paul Nougé. »
« André Breton est français. Alors pourquoi dit-on de la Belgique que c’est le ‘pays du surréalisme’ ? », demanda un collègue du média « LM Art et Culture » à Xavier Cannonne, qui lui répondit : « On définit la Belgique comme ‘le pays du surréalisme’, mais c’est un dévoiement du langage. Ce terme est employé à tout bout de champ, pour désigner des situations absurdes ou incongrues. Depuis hier, j’ai entendu ce mot dix fois ! Mais on le vide de sa substance. D’ailleurs ce n’est pas le seul exemple, regardez le mot ‘romantisme’. À l’origine, il renvoie à Victor Hugo, la bataille d’Hernani … c’est un courant littéraire assez violent, passionné. Aujourd’hui, il est synonyme de mièvrerie, d’une attitude ‘gnangnan’. »
Les mouvements surréalistes, potentiellement révolutionnaires, seront assez négligemment perçus par les autorités publiques, analyse Xavier Canonne : « On ne perçoit pas la hauteur de leur action. Ils n’occupent pas non plus le devant de la scène et c’est le paradoxe peut-être de Paul Nougé : c’est d’être à la fois dans la nécessité d’une action politique, mais de ne pas vouloir nécessairement prendre une action politique, de rester soucieux de sa liberté en ne se liant pas définitivement à un parti par exemple. »
Pour René Magritte, la révélation du surréalisme s’est faite à la découverte du « Chant d’amour » (1914), de Giorgio De Chirico (1888-1978), se joignant à Camille Goemans (1900-1960), Irène Hamoir (1906-1994), Marcel Lecomte (1900 -1966), Edouard Léon Théodore Mesens (1903-1971), Paul Nougé, Louis Scutenaire (1905-1987) & André Souris (1899-1970), pour former l’un des deux groupes surréalistes belges, le « Groupe de Bruxelles ».
« Rupture » – nom significatif du climat politique et économique de l’époque – voit le jour à La Louvière, avec Achille Chavée (1906-1969), André Lorent (1912-2009), Albert Ludé & Marcel Parfondry (1904-1968), un groupe surréaliste , dont les statuts prévoient de « forger des consciences révolutionnaires » et de « contribuer à l’élaboration d’une morale prolétarienne ».
Avant de disparaître, en 1938, « Rupture » organisa, en octobre 1935, l’ « Exposition internationale du Surréalisme », la première du genre, en Belgique. En 1939, le « Groupe du Hainaut » voyait le jour, étant plus proche de la vision automatique d’André Breton, accueillant, notamment, Pol Bury (1922-2005). Sa collaboration avec le « Groupe de Bruxelles » se limita, en 1940, à une participation commune aux deux numéros de la revue « L’Invention collective ».
« Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique » rassemble près de 150 affiches, documents, pamphlets, revues et 260 créations, signées Rachel Baes (1912-1983), Salvador Dalí (1904-1989), Giorgio De Chirico, Paul Delvaux (1897-1994), Leo Dohmen (1929-1999), Max Ernst (1891-1976), Jane Graverol (1905-1984), René Magritte, Man Ray (Emmanuel Radnitsky/1890-1976), Marcel Mariën, Joan Miró (1893-1983), Paul Nougé, Max Servais (1904-1990), Raoul Ubac (1910-1985) & bien d’autres, le tout prêté par plus de 50 musées (« Boijmans Van Beuningen », à Rotterdam, « Centre Pompidou », à Paris, « Kunsthaus », à Zürich, « Pinacothèque », à Munich, « Tate Modern », à Londres, …), collections privées et galeries d’art.
Il convient de replacer ces artistes dans leur contexte. Ils avaient environ 25-30 ans; à l’époque, et avaient vécu deux guerres. Ils n’ont pas essayé de faire carrière, mais ont tenté de proposer autre chose. Cette volonté de ne pas marcher dans les combines des autres est primordiale. Cette jeunesse avait la capacité de refuser le monde tel qu’il était. A l’époque, leurs productions étaient confidentielles, mais cela ne les a pas empêchés d’œuvrer.
Dans l‘actuelle expo de « Bozar », nous trouvons, sous une vitre, quelques exemplaires de la revue « Les Lèvres nues » (1954-1975), qui se caractérisait autant par son exigence poétique que par sa virulence politique.
Projeté, en 1960, au « Palais des Beaux-Arts », le court-métrage belge - unique réalisation de Marcel Marïen - « L’Imitation du Cinéma », l'un des seuls films surréalistes, fit scandale, pour son contenu blasphématoire, lors de sa sortie en salles, menant à sa censure, en Belgique et à son interdiction, en France. C’est donc avec curiosité que nous pourrons découvrir ce film.
A souligner que l’exposition, présentée à « Bozar », bénéficie d’une scénographie particulière - due à Yves Malysse et Kiki Verbeeck, de « URA Architects » - les tableaux étant présentées, tel un patchwork, sur des cloisons temporaires centrales, des vitrines s’offrant à nous, au milieu des différents espaces, comme ce fut le cas à la grande époque du surréalisme, aucune peinture n’étant accrochée aux murs des différentes salles, les codes muséaux traditionnels étant, ainsi, bouleversés.
Ainsi, les murs permanents environnants servent uniquement de supports aux textes et aux citations des artistes surréalistes, des résonnances et dialogues inédits naissant de ce parcours labyrinthique étonnant. Notons, aussi, que dans un souci d’une utilisation consciente et écologique des matériaux, ces éléments seront démontés après l’exposition et intégrés dans un ou plusieurs projets de construction(s) en Région bruxelloise.
Loin de n’être qu’une oeuvre d’historien, parler aujourd’hui du surréalisme, c’est se plonger dans l’une des aventures les plus originales de l’esprit, c’est entendre, en un siècle qui connut deux guerres, la part d’insurrection d’une jeunesse, qui s’étant refusée au donné, conduisit une action révolutionnaire, hors des partis traditionnels, avec l’art pour arme de combat. En notre époque troublée, c’est tenter de retrouver assez de raisons pour ne pas désespérer de la nôtre.
Pour « Bozar », Zoë Gray, directrice des expositions et Christophe Slagmuylder, directeur général et artistique écrivent, dans le catalogue : « L’histoire du surréalisme s’est écrite à partir d’une succession de manifestes, de pamphlets, de contacts, d’interactions, de conflits et d’expositions dédiées, de revues et de lieux de rencontres. Le
‘Palais des Beaux-Arts’ de Bruxelles est l’un de ces endroits. L’exposition de 1934 autour de la revue ‘Minotaure’ est considérée comme la première manifestation internationale du surréalisme, même si beaucoup d’autres oeuvres y étaient présentées. Installée en ses murs, la ‘Société des Expositions’, principale usagère des salles du ‘Palais des
des Beaux-Arts’, a été dans les années 1930, avec le trio Robert Giron, E.L.T. Mesens et Claude Spaak, le moteur de la percée internationale de René Magritte et du déploiement surréaliste de Paul Delvaux. Autant dire qu’ ‘Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique’ est parfaitement à sa place au sein du ‘Palais des Beaux-Arts’. »
N’hésitons donc pas de visiter cette très intéressante exposition, qui regorge d’humour facétieux, souvent provocateur …
Ouverture : jusqu’au dimanche 16 juin, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 18€ (16€, dès 65 ans / 09€, de 18 à 29 ans, pour les personnes en situation de handicap & pour les demandeurs d’emploi / 02€, de 06 à 17 ans / 0€, pour les moins de 6 ans, les détentrices.teurs d’un « museumPASSmusées » ou d’une « Brussels Card », ainsi que les personnes en chaise roulante, aveugles ou malvoyantes et leur accompagnateur). Prix combiné avec l’exposition « Imagine », aux « MRBAB » : 29€ (prix réduits disponibles). Catalogue (sous la direction de Xavier Canonne/Ed. « Fonds Mercator-Bozar Books »/2024/288 p./28,5 x 22 cm : 49€. Contacts : info@bozar.be & 02/507.82.00. Site web : http://www.bozar.be.
- Autre exposition consacrée au Surréalisme, à Bruxelles :
** « Imagine ! 100 Years of international Surrealism », aux « MRBAB », jusqu’au dimanche 21 juillet.
- Autres importantes expositions de peintures, au sein de la Capitale européenne :
** « James Ensor. Maestro », à « Bozar »), jusqu’au dimanche 23 juin.
** « Magritte-Folon, la Fabrique poétique », au « Musée Magritte », jusqu’au dimanche 21 juillet.
** « Olivetti-Folon insolite », au « Design Museum », jusqu'au dimanche 15 septembre.
** « Folon insolite », à la « Maison Autrique », à Schaerbeek, jusqu’au dimanche 29 septembre.
Yves Calbert.