Face aux animaux (nos émotions, nos préjugés et nos ambivalences) - Laurent Bègue-Shankland

écrit par RobertMARY
le 30/07/2024

Cet ouvrage traite de nos rapports avec les animaux sous un angle sociologique.

Je trouve sur Amazon un commentaire que je trouve excellent surtout pour celles et ceux qui recherchent un texte court: 

"L'ouvrage expose les ressorts culturels, psychologiques et anthropologiques de la cruauté envers les animaux. La question du caractère ambivalent de l'empathie humaine face à la souffrance animale et à la mise à mort est étudiée sans moralisation si complaisance. Cela fait réfléchir. Peut constituer le point de départ d'une prise de conscience personnelle, et le support de discussions notamment avec des adolescents".

Je vais maintenant donner le mien bien plus long car l'auteur peut se vanter de m'avoir fait lire son livre deux fois.

A la première lecture en vacances, j'ai trouvé le livre très intéressant mais je me suis vite rendu compte qu'il méritait une lecture bien plus attentive non entrecoupée de vols aériens ou de voyages en trains.

Le livre explique bien comment l'homme fait fi de son empathie (même si les yeux d'un animal souffrant lui pose un sérieux dilemme moral poussant certains ouvriers travaillant dans les abattoirs ou certains scientifiques à démissionner d'ailleurs) au nom de l'intérêt supérieur de la science, autorisant ainsi l'expérience animale.

Ces expériences scientifiques sont-elles utiles ?

Sur 20 synthèses de la littérature biomédicale, 2 seulement concluent à l'utilité de l'expérimentation animale. Il faut aussi savoir que les animaux non utilisés donc excédentaires sont tués sans aucune forme de procès. En outre, le résultat des expériences en termes de réactions physiologiques d'un animal ne garantissent pas nécessairement une reproductibilité des réactions sur l'être humain, ces expériences seraient donc souvent inutiles (80% des applications thérapeutiques échouent sur les humains quand bien même furent-elles positives sur les animaux). Pour finir, certains invoquent même la nécessité de recourir à des prisonniers volontaires (c'est le cas aux USA où en échange d'une diminution de peine, des expériences ne menant pas à la mort sont possibles) ou involontaires (en 1752 le philosophe Mapertuis affirmait que la vie de criminels importait peu car il s'agissait d'humains ayant perdu leur "dignité morale" (un pédophile par exemple), ainsi une mise à mort humaine par dissection fut aussi réalisée par Ambroise Paré en France au XVIème siècle).

Sans aller jusqu'à cette extrémité il est bon de rappeler les règles scientifiques liées au protocole scientifique (d'ailleurs il est étrange de constater que le scientifique est toujours prêt à changer ses conclusions en fonction de ses observations, ce qui est un bon point, mais qu'il reste par ailleurs inflexible lorsqu'il s'agit de respecter un protocole comme si ces règles étaient immuables), il s'agit des 3 R de l'expérimentation animale (selon le zoologiste WIlliam Russel) :

  1. Réduire le nombre d'animaux utilisés (étrangement dans les rapports on ne mentionne pas le nombre -les 700 pages du rapport de Pavlov sur le conditionnement opérant ne mentionnent pas le nombre de chiens utilisés lors de l'expérience-, ou alors plutôt que de noter 102, on note par exemple 10-2 pour atténuer le chiffre réel) (en résumé, utiliser le moins d'animaux possible) ;
  2. Raffiner les méthodes afin d'atténuer le caractère invasif et douloureux des procédures (en résumé, éviter la souffrance animale);
  3. Remplacer les méthodes in vivo par d'autres méthodes de substitution, telles que la méthode in vitro c.-à-d. l'étude d'une cellule de l'animal ou la méthode in silico permettant sa modélisation biomathématique (en résumé, ne pas utiliser l'animal mais des moyens alternatifs). 

Il existe donc d'autres méthodes que de tuer des animaux "au nom de la science". La philosophe des sciences Isabelle Stengers décrit que le cadre expérimental avec des animaux  présente une proximité ténue entre scientifiques et tortionnaires. Mais assez paradoxalement c'est au tribunal de Nuremberg que l'on impose (suite aux expériences menées sur des humains par les médecins nazis) l'expérimentation animale systématique -avant de mener une recherche sur un humain- (loi de 1947) alors que certaines lois de protections animales les plus strictes furent -j'en fus extrêmement étonné- des lois nazies datant de 1933 (lois s'opposant à l'abbatage rituellique ou imposant l'anesthésie des poissons avant leur abattage, ce qui n'empêcha pas les nazis de recourir à l'expérimentation animale puis au drames humains qui suivront...) (Goering voulait même envoyer en camp de concentration toute personne traitant les animaux comme des "possessions inanimées"). Les toutes premières lois de protection animales furent babyloniennes (le code d'Hammourabi), en France se cera sous Napoléon III en 1850 qu'une loi contre les sévices commis publiquement envers les animaux fut publiée (la loi visait surtout le sous-prolétariat dont les moeurs brutales furent jugées trop violentes par le pouvoir en place).

Qui brutalise les animaux ? Les criminels faisant des essais avant de tuer des humains (Columbine aux USA), des personnes sadiques ou frappées d'un trouble mental, un scientifique succombant à la loi "publish or perish" (publier ou périr) et qui dès lors se satisfait de "dommages collatéraux" surtout s'il délègue les tâches de mise à mort à ses assistants ? Certes mais en fait il s'agit plutôt de toute personne adhérant à l'autorité prête dès lors à lui obéir (donc n'importe qui en fait, voir l'expérience de Milgram transposée dan le film "i comme Icare"). A dire vrai, peu de fous sont violents.

L'expérience de Milgram sur la soumission à l'autorité d'un scientifique en blouse blanche (la personne était chargée d'infliger des chocs électriques à une personne -un acteur en fait- si celle-ci commettait des erreurs de mémorisation. Cette expérience fut malheureusement réalisée sur un chien qui souffra réellement... Puis l'expérience fut réitérée sur un (faux) poisson, les gens infligeant des doses de produit menant in fine à la (fausse) mort de l'animal pour le bien de la science (étude du seuil de tolérance d'un produit censé aider à la guérison face à Alzheimer).

L'observation des gens vaut le détour, cela va de "Un poisson est mon égal, je refuse de donner la moindre dose", à "Il faut bien des trucs pour soigner les enfants, on mange bien de la viande, non ? sauf qu'ici c'est utile".

Le livre est donc un plaidoyer à la renonciation à la souffrance animale au nom de la science car le recours à l'animal serait le plus souvent inutile. La lutte contre la vivisection fut même soutenue en son temps (1840) par la reine Victoria d'Angleterre par contraste avec la manière dont la France traitait ses propres animaux!

Le livre souligne aussi de nombreux points d'intérêt à débattre.

  • Si j'aime mon chat, est-ce que j'aime tous les animaux ? Pas nécessairement puisque je mange de la viande...
  • Si je suis végétarien, tout va bien alors ? Non puisque je mange du poisson, donc un animal...
  • On n'a pas hésité à tuer un grand nombre d'animaux au cinéma (plus de cent chevaux pour le film "Ben Hur" en 1959 par exemple, de nombreux poissons lors d'explosions marines pour le film "Pirate des Caraïbes" en 2003, des moutons pour "Le Hobbit" en 2013, ...) contrairement à la mention sur tous les génériques comme quoi "aucun animal n'a souffert au cours du tournage".
  • On n'hésite pas à tuer des animaux au nom de l'art. Ainsi une exposition en 2000 au Trapholt Art Museum au Danemark permettait au visiteur d'utiliser des mixeurs pour tuer un poisson rouge en appuyant sur un bouton. Pour l'artiste Marco Evaristti, cela permettait au gens de tester leur sens moral. Le directeur du musée a fait l'objet d'une procédure judiciaire mais n'a pas été condamné.
  • La maltraitance animal serait un outil de prédiction du crime (donc envers les humains, voir le cas de Columbine aux USA ci-dessus).
  • On compte la mort des poissons par tonne sans jamais individualiser un poisson (on ne dit jamais "le poisson" et on ne le nomme pas).
  • Pour les gens ayant un haut niveau de dominance sociale (selon ces derniers, un groupe social doit naturellement dominer les autres), il y aurait donc une inégalité entre humains et par voie de conséquence entre humains et animaux.
  • Le language euphémisant est utilisé dans les labos, ainsi "Speedy Gonzales" est le nom donné à un chat alors que les expérimentateurs lui ont volontairement paralysé par une section de la moelle épinière. "Régime alimentaire limité" veut dire "affamer", "toxique" veut dire "poison", hémorragie" veut dire "saignement". On parle de protocole "invasif" plutôt que de "douloureux". On ne dit pas "utiliser" un animal mais "le faire travailler".
  • L'utilisation de la souris en labo n'implique aucune contrainte déontologique puisque légalement la souris n'existe pas. Elle n'existe que comme "modèle sur mesure" (certaines sont plus suceptibles que d'autres de développer le cancer, d'autres encore certaines maladies, ...) destinées à la revente en labo.
  • La souffrance animale mène aussi parfois à la souffrance (psychologique) des expérimentateurs eux-mêmes. Ne serait-il alors pas temps de revoir le principe-même de l'expérimentation animale plutôt que de s'y conformer par habitude ou par crainte de représailles ?
  • On ne nomme jamais un animal dans un labo car il ne faudrait surtout pas s'y attacher (maintien de la distance émotionnelle nécessaire)... Mais parfois le fait de l'avoir nommé le protège des procédures invasives.
  • Qui sont les adeptes les plus insensibles de la vivisection ? Les étudiants en médecine, médecine vétérinaire puis les biologistes et enfin les étudiants en neurosciences.
  • Descartes considérait l'animal comme une machine mais s'il lui refuse la pensée, il ne lui refuse pas la sensibilité (la joie par exemple car "elle dépend des organes du coeur").
  • Le célèbre musicien Richard Wagner (antisémite notoire) voulait détruire les labos et éradiquer les vivisecteurs (car ils considérait les juifs comme le symbole de la science).
  • L'activisme animaliste n'a jamais engendré une seule perte humaine. Ainsi le Front de Libération des animaux et le Front de Libération de la Terre ont commis des actions illégales certes (retrait des animaux des labos, intimidation envers les chercheurs en labo) mais jamais personne n'en est mort. Ce combat  ayant un motif "altruiste" bénéficie d'un fort capital de sympathie envers l'opinion publique. AInsi Elisabeth de Fontenay (maître de conférences émérite à la Sorbonne) a dit "J'aurais pu, à certains moments de ma prise de conscience participer à un commando pour libérer une animalerie appartenant à un laboratoire".
  • Qu'est-ce que la personnalité ? La personnalité est un ensemble de schémas partiellement appris (les fameux "scripts") qui déterminent nos réactions, façonnent nos interprétations et influencent nos décisions. La personnalité s'applique évidemment également aux animaux. A ne pas confondre avec l'empathie, plus présente chez les femmes qui sont les plus représentatives dans le combat mené contre la souffrance animale. Comment faire souffrir un animal ? en "débranchant son empathie"... Mais le poète Lamartine ne disait-il pas "on n'a pas deux coeurs, un pour les hommes et un pour les animaux".
  • Comment peut-on faire le deuil de son empathie au bureau (en tuant des chiens au labo) et la retrouver chez toi (en témoignant d'une véritable adoration envers son chien) ?
  • Il n'y a pas que les animaux en labo, pensons un instant à la chienne Laïka morte de stress et de surchauffe en 1957 dans l'espace extra-atmosphérique au profit de la gloire politique -somme toute éphémère- de l'URSS lors de la course à l'espace...
  • ...

Et je pourrais continuer longtemps, mais c'est un livre qui a le mérite de faire réfléchir sur la relation homme-animal. Il sucite le débat, c'est pourquoi il a toute son utilité. Il étendra aussi votre vocabulaire (ophiophobie, zoopsie, zoonose, ichtyothérapie, ...) tout en restant accessible à Monsieur/Madame tout le monde.

J'ai beaucoup aimé l'introduction losqu'un étudiant s'écrie face à un professeur: "de quel droit avez-vous torturé un animal ?". Puis le livre va développer cette réflection tout au long de ses 294 pages sous différents prismes.

Ghandi ne disait-il pas "la manière dont on traite un animal en dit long sur la grandeur d'une nation" ?

Bonne lecture!

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