La brasserie de l’abbaye du Val-Dieu célèbre ses 25 ans. Le succès de la Val-Dieu ? Grâce à un comptable et à un galopin…

écrit par francois.detry
le 15/10/2022
©EdA LABEYE Philippe

On retrace le fil de cette success story avec Alain Pinckaers, qui a relancé les activités brassicoles en octobre 1997.

Un quart de siècle ! Cela fait exactement 25 ans, en ce début octobre, qu’Alain Pinckaers et Benoît Humblet ont relancé les activités de la brasserie du Val-Dieu.

"On l’a inaugurée officiellement en octobre 1997. Je m’occupais de la vente et de la technique (je connaissais les clients et je parle quelques langues) tandis que Benoît s’occupait du brassage. Au début, on démarchait l’Allemagne (ça n’a jamais vraiment marché), la Hollande (ça a bien pris) et la région. On a fait de l’exportation dès le début, mais c’est le soutien de la région qui nous a permis de nous lancer", reconnaît Alain Pinckaers.

Directement, le Welkenraedtois (natif de Fourons) tient une bonne idée… qui change tout. "Une de mes réussites, c’est d’avoir sorti le galopin (le verre de dégustation) car les gens dans les cafés mettaient encore des tournées. Il n’y avait que des 25 cl. ou des 33 cl., mais l’arrivée d’un verre de 18 cl. a permis de faire des tournées de Val-Dieu au même prix que celles de pils. L’autre élément qui a permis de faire connaître la bière, c’est de la proposer gratuitement en soutien à des associations ou des clubs sportifs de la région. Et je dois dire que nos grossistes nous ont bien soutenus, car un fût que j’offrais n’était pas acheté au négociant (ce n’est plus le cas)."

Une croissance inouïe

Les débuts furent cependant quelque peu poussifs: 300 hectolitres en 1998. "On produisait 3 000 hectolitres après 3 ans. Au début, on a notamment beaucoup vendu en Italie (1 500 hectolitres). Mais le jeune qui se lançait comme importateur a fait faillite, alors qu’on avait des parts là-dedans. On a perdu de l’argent mais on a appris beaucoup. Ce qui nous a permis d’avoir un boost, c’est l’engagement de Virginie. Ça nous a libérés du temps pour promouvoir la bière. Je pense qu’on doit notre succès à notre ancrage régional: les consommateurs locaux nous ont toujours fortement soutenus. La réussite de la brasserie, pour les 15 premières années, elle vient de là. Il était important d’être reconnu dans la région verviétoise et en province de Liège. Aujourd’hui, de nombreux cafés ont de la Val-Dieu, mais on a six représentants. D’ailleurs, fin 2020 nous étions à 19 300 hectolitres… On va finir 2022 entre 27 500 et 29 000 hectolitres (on a une croissance de + de 20%)"

Après 12 ans, Benoît Humblet quitte le navire pour fonder sa propre bière avec ses enfants: la Bertinchamps à Gembloux. "On n’est pas des grands bavards mais on s’est séparé en très bons termes. Mon neveu s’est investi dans la société mais il s’en est allé après 4 ans. La famille Bosquin (Unibox) a repris les parts de Michaël et ce fut encore un gros coup de boost. On a investi dans l’embouteillage à Chaineux et dans la nouvelle brasserie avec l’arrivée de Roger Gehlen. Désormais, nous sommes une grande brasserie dans les petites, ou une petite brasserie dans les moyennes. Unibox a un réseau de 800 cafés et ils ont une expertise dans la gestion des sociétés, ça aide."

Et avec les efforts fournis pour financer la nouvelle brasserie, Val-Dieu dispose encore d’une marge confortable. "Ainsi, on pourrait grimper à 40 000 hectolitres par an. Et si on rajoute des fermenteurs (de petits investissements), on pourrait aller jusqu’à 80 000 hectolitres. Mais ce n’est pas un réel objectif. On veut surtout garder une marque forte et de bons produits. Je dois vous avouer que je n’imaginais pas grandir aussi vite. Rien que de passer de 20 000 à 30 000 hectolitres en deux ans, c’est très rapide", termine-t-il… non sans révéler un clin d’œil. "Mon fils vient d’avoir 25 ans, comme la brasserie. Et il vient de nous rejoindre comme brasseur la semaine dernière." Une belle fierté, ici aussi.

"La 800 a la meilleure croissance, la blanche est une réussite"

Actuellement, 40% de la production se concentre sur la Val-Dieu blonde, 15% sur la brune, 20% sur la triple et 10% sur la 800. Le reste ? La Grand-Cru, la Noël ou encore l’Excellence. "La 800 devait être un one shot car nous n’avions pas de bière houblonnée. Aujourd’hui, c’est celle qui a la meilleure croissance. Son seul défaut, c’est que les gens ne savent pas que c’est une houblonnée (comme une IPA). On connaît ce problème, mais on ne sait pas comment le résoudre car derrière la 800 nous avons une histoire (celle de l’abbaye). Et cela reste important. D’ailleurs, la triple est toujours ma préférée, je bois plus souvent de la 800", soutient Alain Pinckaers.

L’Excellence est à nouveau proposée à la vente depuis début octobre. De 1000 bouteilles en 2020 (vendues en un week-end), la brasserie est passée à 10 000 bouteilles l’an dernier pour en proposer 32 000 cette année. "On a eu de la chance: on a déclassé peu de barriques. C’est un travail très difficile et nous n’irons pas au-delà de 25 000 ou 30 000 bouteilles par an. On se pose la question de savoir si on doit continuer avec cette recette (primée lors des World Beer Awards) ou complètement la changer. Mais ce ne sera pas pour celle de 2023, qui est déjà en barrique."

"La Blanche de Liège rosée est une vraie réussite"

À côté de ces deux derniers produits estampillés Val-Dieu, la brasserie dispose toujours de la Grand-Cru (lancée initialement aux USA comme "Winter" puis réimplantée chez nous) et de la Fruitée, une bière introduite en mai 2021. "Nous n’en avions pas, on a donc lancé la nôtre. On produit également la Blanche de Liège et la Blanche de Liège rosée depuis juin. C’est une vraie réussite ! Si on voulait la pousser, on pourrait clairement faire du volume. Mais le souci c’est qu’elle se vend essentiellement en été, ce qui est plus compliqué à gérer (comme la Noël en hiver, d’ailleurs)."

Quant à une 0%, Alain Pinckaers n’est pas emballé. "Ce n’est pas dans nos projets. En Allemagne, elles ont une croissance de 10%… Mais elles démarrent de 0% ou presque. Le seul projet qu’on a, c’est de réaliser l’enfûtage à Chaineux pour que Val-Dieu reste un site touristique calme et paisible."

Des produits laitiers à la bière

Le père d’Alain Pinckaers était agriculteur et aviculteur. "On avait un commerce de porte-à-porte et on livrait sur Raeren, La Calamine, Eupen… et évidemment dans la région. J’ai rajouté les produits laitiers aux œufs lorsque j’ai repris le commerce de mon père, et fait évoluer la société (d’un camion à cinq camions)", se souvient Alain Pinckaers.

Sentant une migration de l’activité, l’entrepreneur s’est réorienté sur les grossistes. "J’étais un des plus gros de Wallonie concentré sur les bouteilles en verre, mais chaque année je perdais des clients. D’ailleurs, les colporteurs ont presque disparu. Je voulais faire quelque chose d’autre et c’est mon comptable qui m’a mis en contact avec Benoît Humblet. On a pensé reprendre la brasserie Piron (NDLR: d’Aubel, mise en liquidation en 1995) car elle s’occupait déjà des Val-Dieu blonde et brune. Monsieur Corman, à Battice, était en charge de la triple. Mais nous aurions dû produire 3 000 hectolitres la première année (nous n’y sommes parvenus avec Val-Dieu qu’à la 3e année). On a donc racheté la marque et proposé aux moines de brasser ici, sur place, en 1996. Ils ont accepté et on a construit tout de nos mains, avec du matériel d’occasion. Si le comptable m’avait proposé de vendre des pots de peinture, je serais peut-être dans la peinture", s’amuse-t-il.

Le saviez-vous ?

Le coup de pouce de Thomas Lambiet : L’historien aubelois Thomas Lambiet, qui a consacré un ouvrage à l’abbaye en 1985, a eu un rôle à jouer. "Au début, nous n’avions pas la recette des moines (qui brassaient de la bière jusqu’au début des années 1900) mais seulement la façon de faire: sans épice, sans arôme et par infusion (et c’est toujours le cas pour la blonde, la brune et la triple). On avait donc demandé à Thomas Lambiet de venir lire dans les livres de l’abbaye pour retrouver les anciennes recettes. Et il les a retrouvées ! Mais six mois après le lancement de la brasserie. Heureusement, on n’a rien dû changer à notre recette."

Emplois : La brasserie a été relancée avec deux personnes à mi-temps… Elle compte désormais 25 collaborateurs. D’ailleurs, elle recherche actuellement un opérateur de production. Avis aux amateurs.

Confinement : "Ce fut une bonne expérience car on a remarqué qu’on pouvait continuer à travailler correctement. Et ça nous a permis d’être plus fort sur la partie distribution alors qu’on était concentré sur l’horeca."

Crise énergétique: la bière plus chère ? "La crise a un fameux impact pour nous. Il est d’ailleurs grand temps que nos prix augmentent un peu dans la grande distribution car nous devons continuer à faire vivre la brasserie et à rembourser les gros investissements. L’autre souci, c’est la pénurie de matières premières. Je pense au CO2, car nous n’avons pas eu la livraison il y a dix jours. On pourrait faire refermenter les fûts à nouveau, mais le client est habitué à une bière claire et bien filtrée. Pour le moment, on s’en sort encore en adaptant le programme." 

Pierre LEJEUNE ( L’Avenir )

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