Chambre avec vue sur l'océan, roman de l'écrivaine bosniaque Jasna Samic

écrit par VandenHende
le 13/12/2020

Roman conçu comme une composition musicale en trois mouvements.

Chambre avec vue sur l’océan, Presto ma non troppo.

Mira, violoniste bosnienne, est surprise en France par l’éclatement de la guerre dans son pays. Tandis que ses concitoyens réfugiés tirent habilement profit de l’engouement pour leur cause, elle, peu douée pour la manipulation, survit plutôt mal que bien.

Demeure de Satan, andante sostenuto.

Depuis la vie difficile de sa grand-mère Emina, fille de bey et de kadi, jusqu’à sa carrière de musicienne, la saga familiale et les amours de Mira.

À l’ombre de la porte de l’Enfer, rondo, agitato.

Après la guerre, Mira revient à Sarajevo où on la rejette, les « démocrates » parce qu’elle serait une islamiste, les islamistes parce qu’elle est musicienne, boit du vin et affiche une farouche indépendance, et tous les autres parce qu’elle n’a pas souffert avec eux.

Ce roman complète la quadrilogie de Jasna Samic, où elle puise dans son histoire personnelle pour narrer le contexte et les séquelles de la guerre en Bosnie. Après Portrait de Balthazar (prix Gauchez-Philippot), Le givre et la cendre et Les contrées des âmes errantes, tous trois écrits en français, Chambre avec vue sur l’océan, rédigé en « serbo-croate » et publié en Bosnie-Herzégovine par un éditeur disparu, est présenté en traduction.

L’auteur

Jasna Samic partage sa vie entre Paris, sa ville natale et ses voyages dans le cadre de l'étude du soufisme. Spécialiste des langues, littératures et civilisations orientales. elle a enseigné aux universités de Sarajevo et de Strasbourg, a été directeur de recherche associé au CNRS, a collaboré à France-Culture et à Radio-France Internationale.  Elle dirige actuellement la revue littéraire Književna Sehara, publiée en serbo-croate, français et anglais.

 Elle est auteur de nombreux ouvrages scientifiques sur le soufisme et l’Histoire des Balkans ainsi que d'essais, de romans, de nouvelles, de poésie et de  théâtre, dont elle a mis en scène plusieurs pièces. Elle a réalisé de nombreux films documentaires sur ces mêmes thèmes.

Elle écrit aussi bien en français qu'en bosnien ("serbo-croate").

Son roman ("Portrait de Balthazar (éditions M.E.O., 2012) a obtenu le PRIX GAUCHEZ-PHILIPPOT

Jasna Samic a été lauréate du prix Missions Stendahl pour l'écriture du présent roman, qui a également bénéficié d'une bourse d'écriture à Split, offerte par les associations Traduki et Kurs.

Son engagement pour la laïcité dans son pays natal lui vaut d’être menacée quotidiennement par les islamistes.

Extrait du livre

Voilà que même cet homme est pour eux un libéral, quoiqu’il se présente comme un croyant pratiquant et qu’il est membre du « Parti islamiste bosniaque », comme on appelle ici le SDA, le « Parti d’Action démocratique » d’Izetbegović. Tandis que moi, l’agnostique amoureuse de musique, de philosophie et de vin, je serais une fondamentaliste dangereuse qu’on exclut de la vie sociale ! Que puis-je faire contre ça ? Sortir sur la place publique et hurler « Je ne suis pas un voleur ? Non, ce n’est pas moi qui ai volé !? » Il n’y a pas d’association pour les personnes dans mon genre. Pas d’association de défense contre les insinuations. […]

« Il ne faut pas se soucier des calomnies », me disent mes amis en guise de consolation.

Non, il ne faudrait pas. On peut tout relativiser. Je n’ai pas non plus besoin de concerts. Ni de travailler. Ni de manger. La vie ne devrait avoir aucune importance pour moi.

[…] Je revois notre apparatchik, fraîchement métamorphosé en grand écrivain et démocrate, qui s’aplatit devant le « beau politicien » pour devenir son ambassadeur, et notre Excellence en Espagne, avec sa mèche de cheveux gras collée au front, qui pontifie sur les Bogomiles et la tolérance des musulmans bosniaques. Je me compare à eux dans le miroir qui à nouveau surgit de nulle part : de mon mahrama, comme on appelle chez nous le foulard qui enveloppe la tête, une mèche de cheveux gras s’échappe et rampe comme un serpent sur mon front ; ma tête est énorme, plus large que les épaules. […] Nos démocrates s’approchent de moi, déchirent mon mahrama qui ressemble à des pansements, ma calvitie se dévoile, et sur le sommet de mon crâne apparaît un fusil-mitrailleur braqué sur l’humanité. Des rafales crépitent, de fameux écrivains jonchent le sol. Quoique blessés, ils parviennent à survivre. Ils auront de quoi témoigner devant les Français. Leurs livres sont déjà écrits. Et publiés. À l’instant. Les Français les célèbrent, leur offrent des trophées qu’ils accrochent à leur sexe. […] Je suis debout, nue. Je prends mon violon. On me l’arrache des mains.  […] Je commence une danse du ventre, leur demande la permission de chanter des ilahis de Yunus Emre. Mais bien sûr ! Allez-y ! Nos communistes sont des gens nobles et généreux. Les ilahis résonnent dans la métropole européenne. Tout Paris frisonne à l’idée de ce qui l’attend..

Editions M.E.O. à Bruxelles

Roman traduit du bosnien par Jasna Samic et Gérard Adam

332 pages.

ISBN: livre 978-2-8070-0258-6

 Prix : 20,00 EUR

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Portrait de VandenHende
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