Sélection belge pour les "Oscars", à Los Angeles : "Filles de Joie"
En cette période partculièrement noire pour la Culture en général et le Cinéma en paticulier, un peu de lumière, celle que nous procure la sélection d’un film belge pour les « Oscars » hollywoodiens, dans la catégorie « Films internationaux », à savoir, « Filles de Joie », une réalisation d’Anne Paulicevch & Frédéric Fonteyne (Bel.-Fra./ 2019/91’/avec Sara Forestier, Annabelle Lengronne & Noémie Lvovsky).
Projeté en avant-première mondiale, le lundi 20 janvier, à Tournai, lors de la Soirée d’Ouverture du « Ramdam Festival », ce film, porté par l’énergie flamboyante de ses actrices principales, est truffé de scènes mémorables.
Synopsis : « Axelle (Sara Forestier), Conso (Annabelle Lengronne) et Dominique (Noémie Lvovsky) partagent un secret. Elles mènent une double vie. Elles se retrouvent tous les les matins sur le parking de la cité pour prendre la route et aller travailler de l’autre côté de la frontière. Là, elles deviennent Athéna, Circé et Héra dans une maison close. ‘Filles de Joie’, héroïnes du quotidien, chacune se bat pour sa famille, pour garder sa dignité. Mais quand la vie de l’une est en danger, elles s’unissent pour faire face à l’adversité… »
Les trois protagonistes :
Axelle : maman de trois enfants, elle essaye d’échape à un « ex » violent.
Conso : attend que son amant quitte sa femme.
Dominique : maman d’ados, elle est infirmière, mariée à un chômeur.
Avis de la Presse :
Par Isabelle Danel, pour « Bande à Part » : « Très documenté, ce film sur trois femmes qui se prostituent pour subsister regarde une réalité crue avec une humanité vraie. Et trois comédiennes épatantes. »
Par Jacky Bornet, pour « Culturebox-France Télévisions » : « Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich ne tombent pas dans le misérabilisme, mais captent une réalité, où les meilleurs moments de vie de ces trois copines sont ceux où elles se retrouvent ensemble, complices, avec en commun leurs secrets qu’elles sont les seules à partager. »
Par MarylineAlligier, pour « La septième Obsession » :« Film âpre mais bouleversant, il nous rappelle qu’on ne peut ouvrir les yeux que dans un rapport intime à l’autre, rapport ni marchand ni de domination, mais sensible et sans jugement. »
Par Eléna Pougin, pour « Marie-Claire » :« Très engagé politiquement, ce film belge prône la légalisation de la prostitution. À tel point qu’il dépeint violemment, et à son paroxysme, la condition actuelle des prostituées. »
Par Philippe Ridet, pour « Le Monde » : « Insistant sur la dimension politique de leur film, Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich assument un discours féministe assez radical. Les femmes ici représentées sont toutes également victimes de la domination masculine et de la crise économique. »
Par la Rédaction, pour « Le Parisien » : « Sur un scénario cimenté par la complicité d’un exceptionnel trio féminin, et servi dans les scènes d’intérieur par une vraie belle lumière, ‘Filles de Joie’ est pétri jusqu’au bout d’une énergie aussi volcanique que tendre, et évite toute mauvaise passe. »
Par Alicia del Puppo, pour « Le Journal des Grignoux » : « En trois chapitres, le film prend le temps de nous exposer la vie de chacune des protagonistes, sur leur lieu de travail et au-delà. On entre dans leur quotidien par le biais de leur amitié, de ce trajet en voiture au cours duquel elles s’imprègnent progressivement de leur personnage. La beauté du film, son parfum s’installent dans les moments creux, quand les filles se réunissent au salon et partagent leurs expériences. Leur langage est cru et libéré, littéral et sans jugement, une évocation du sexe comme on l’entend rarement, enjouée sans taire pour autant la violence des rapports dont elles sont parfois les victimes. »
Pour « L’Echo » : « Un trio de guerrières… Un film coup de poing. »
Pour « Le Soir » : « Ce drame bouscule les certitudes, les clichés. Un travail profond, sincère, rendu dans sa simplicité par trois actrices épatantes. »
Anne Paulicevich nous confie :« Cest un film de femmes sur les femmes, fait avec des hommes et je trouve que c’est important de le dire parce qu’en fait on sépare aussi souvent hommes-femmes mais on peut faire les choses ensemble et on peut parler ensemble des femmes ».
« Je voulais, depuis longtemps, écrire sur l’héroïsme des femmes. Lorsque j’ai appris que j’étais enceinte et que j’allais avoir une fille, ça a été un choc : comment mettre une petite fille au monde quand on voit l’étendue des violences faites aux femmes ? Ça m’était d’autant plus insupportable qu’à ce moment-là, je sortais moi-même en miettes d’une relation de travail et d’amitié toxique avec un homme. Il m’avait tellement écrasée que j’ai eu, parfois, envie de me jeter par la fenêtre. Mais j’allais devenir mère, alors, plutôt que de me tuer, j’allais donc tuer un homme dans mon scénario. Entre temps, en lisant la presse, j’étais tombée sur un article racontant la double vie que ces femmes mènent, s’occupant de leurs enfants le matin avant de partir se prostituer de l’autre côté de la frontière, à quelques kilomètres de chez elles, là où les bordels sont légaux. A l’époque, les premiers plans d’austérité venaient d’être mis en œuvre, et ils frappaient de plein fouet les femmes, toujours plus précaires. Je voyais des amies, des voisines, se battre au quotidien pour s’en sortir, sans jamais baisser la tête. Toutes les pièces du puzzle se sont alors assemblées et, pour moi, tout à fait sens. »
« J’avais la trame du film, mais j’étais incapable d’aller plus loin si je ne rentrais pas moi-même dans un de ces
bordels. Ça me semblait aussi limite narrativement que peu respectueux humainement. J’ai donc essayé de rentrer dans des bordels. C’était impossible. Un soir, j’en parle à une amie qui m’apprend que son cousin est le neveu de Dodo la Saumure (proxénète français, ancien propriétaire de 16 « salons de massage » suspects, confronté à la justice suite à l’affaire du « Carlton » de Lille, dans laquelle il est impliqué avec l’ancien directeur général du « Fonds monétaire international », Dominique Strauss-Kahn/ndlr) ! Elle nous présente, et grâce à lui, je rencontre Dodo dans un café de Bruxelles. Deux jours plus tard, il m’emmenait visiter ses bordels. Dans les deux premiers, le contact était compliqué, mais au troisième, la connexion avec les filles qui étaient là a été immédiate. Je me suis installée sur un fauteuil, entre les deux gros Huskies que vous voyez dans le film, et c’était parti. Pendant neuf mois, j’y suis allée deux à trois fois par semaine. Je n’ai jamais pris aucune note, ni rien enregistré. Je n’ai même pas eu à poser de questions : les réponses venaient, d’elles-mêmes. On fumait des clopes avec les filles et elles me racontaient leurs histoires, leur vie, leur quotidien. Ces femmes, à cause de leur double vie, doivent passer leur temps à mentir à leurs clients comme à leur famille. Là, elles avaient quelqu’un qui les écoutait, à qui elles pouvaient tout dire. Le soir, j’avais à mon tour besoin d’en parler à Fred, pour me décharger un peu de cette violence, de cette tristesse sous-jacente qui fait, tout de même, leur vie. J’ai voulu qu’on regarde en face cette partie du monde qu’on ne veut pas voir. L’une des trois femmes m’a dit : ‘J’espère qu’avec ça, on nous verra autrement’. Je l’espère aussi. Quant à mes 3 actrices, elles sont aussi venues, avec moi, au bordel. Elles en sont, également, ressorties assez secouées, mais avec l’envie de porter le film avec la dignité et le courage que ces femmes méritent. »
Sur le plan de la réalisation, « C’était d’autant plus dense que nous n’avions que trente jours de tournage et un petit budget. Et puis la configuration, entre Frédéric et moi, était un peu exceptionnelle : c’est la première fois qu’on avançait en collaboration aussi étroite. En plus du scénario, je m’occupais de la direction artistique. On a toujours travaillé en ping-pong, mais, cette fois, le ping-pong s’est poursuivi sur le plateau. Lui en était le chef, au plus près des actrices et des acteurs, moi j’étais au combo. En outre, parfois, les actrices préféraient s’adresser à moi, pour partager des émotions plus « féminines », disons ! On a préparé le film à deux, on a poursuivi à deux jusqu’au bout. »
La costumière, la chef opérateur, la chef déco, toutes sont allées passer du temps dans ce bordel, avec les prostituées. Peu à peu, avec chacune, on a élaboré un catalogue de références communes, qui nous a servi de base pour concevoir la lumière, les costumes, les accessoires,… A l’arrivée, ça n’est pas du tout le bordel où j’ai préparé le film, et en même temps, c’est complètement lui. La patronne, d’ailleurs, en arrivant sur le plateau de tournage, le premier jour, n’en croyait pas ses yeux : c’était chez elle sans être chez elle. Mais c’est ça, le pouvoir de la fiction : dire le réel tout en le déplaçant, en le dépassant même, pour mieux pouvoir en parler. »
Quant à Frédéric Fonteyne, il nous dit : « C’était lourd à porter, parfois… Et quand j’y ai été, moi aussi j’ai eu besoin de parler. Anne m’a emmené trois fois dans le salon des filles, où normalement, aucun homme ne rentre. Mais elle avait préparé le terrain, alors les filles m’ont tout de suite accueilli. J’étais ‘le réalisateur’. Il y avait quelque chose de très fort, de très vrai, à la fois chez elles, et dans le lieu lui-même. La télévision était allumée en permanence et je me souviens m’être fait la réflexion : en fait, le mensonge, il est là, sur cet écran, et puis partout, autour de nous… Mais pas chez elles. Là, dans ce bordel, il n’y a plus de masque. Elles sont prostituées et ne se racontent pas d’histoires. Elles savent : la cruauté du monde, sa laideur, la violence des clients et la face sombre de la sexualité. Pourtant, elles y survivent. J’ai été profondément touché par la puissance et la vérité qui se dégagent de ces femmes, d’autant plus saisissantes que leur quotidien est difficile. Il y a, au fond, chez elles, autant de noirceur que de vie… Oui, c’est de l’héroïsme. Nettement moins visible que celui du soldat qui part sabre au clair sur un champ de bataille, peut-être. »
« Attention, ce n’est pas un film sur la prostitution, en général. On ne parle ni de la traite d’esclaves sexuelles, ni
des calls girls de luxe, qui se prostituent sur Internet. C’étaient ces femmes-là qui nous intéressaient, celles qui passent la frontière et mènent cette double vie. Dans ce bordel ça se passait comme ça. On n’en fait pas des saintes non plus : il y a des engueulades, des détestations. Elles sont en concurrence, les unes avec les autres, et peuvent aussi, parfois, se montrer très dures entre elles. »
Dans ce film, « nous avons un point de vue engagé et assumé, sur la réalité de ces prostituées. Mais, au-delà
d’elles, ce que le film raconte, c’est comment la solidarité peut naître, même dans les pires endroits et les pires moments. Seul dans son coin, on ne peut pas y arriver. En revanche, si on lève un peu le nez, si on se rend compte que le voisin aussi galère pour s’en sortir, alors on peut se bagarrer ensemble. C’est ce qu’il s’est passé dans tous les mouvements de contestation sociale : la solidarité ne s’impose jamais d’emblée. Mais elle est la condition sine qua non pour pouvoir avancer. D’où le choix de trois personnages, plutôt que d’une héroïne qu’on mettrait en avant : seule, elle n’y parviendrait pas. A trois, elles peuvent sortir du rail où elles s’étaient retrouvées coincées. »
« On tenait à respecter la vérité que ces femmes nous avaient livrée. On aurait pu être tenté de prendre de vraies
prostituées pour jouer leur propre rôle. Mais c’était impossible, puisque ces femmes cachent leur double vie à leurs proches. Il nous fallait des actrices, des grandes actrices, qui avaient une raison très forte de faire le film. Des femmes qui auraient quelque chose de très profond à défendre. On voulait trouver chez elles un investissement réel, sincère, à la fois humain et artistique. »
« On voulait qu’il y ait de la vie et que la vie l’emporte sur la technique. Que le cinéma n’empêche pas le réel et
son énergie. A tous les niveaux, que ce soit la lumière, le décor, le son, nous avons travaillé dans ce sens-là : il fallait laisser la plus grande liberté possible aux actrices pour qu’elles puissent exprimer une forme de sauvagerie. On leur a aussi laissé pas mal de temps et d’espace pour improviser et, ça, c’était un plaisir immense à filmer. »
Et ce malgré que « certaines scènes sont à la limite du supportable, à filmer ou à jouer. Les premiers temps, on en sortait vidés. Bien sûr, il y a cette vie, cette joie, la dignité et le courage de ces filles. Mais il y a aussi des coups, des viols, une tentative de suicide. Les personnages sont tous un peu borderline. Il fallait accompagner les actrices pour qu’elles puissent traverser tout ça le mieux possible… Il fallait laisser la plus grande liberté possible aux actrices pour qu’elles puissent exprimer une forme de sauvagerie. On leur a aussi laissé pas mal de temps et d’espace pour improviser et, ça, c’était un plaisir immense à filmer… Du scénario au tournage, « Filles de joie » dégage une énergie très puissante. »
Anne Paulicevich reçut, en 2014, le « Magritte du meilleur Scénario orignal ou adaptation » (en partage avec Philippe Blasband), pour « Tango libre ». Après des études d’ « Histoire de l’Ar », elle avait suivi une formation de comédienne à l’ « INSAS », avant de travailler, pendant 8 ans, avec différentes compagnies de théâtre et de danse, en France, en Belgique, aux Pays-Bas, cette expérience se termiant, durant 4 ans, à Berlin. En 2007, ayant rencontré Frédéric Fonteyne, elle se lance dans l’écriture de scénarios…
De son côté, Frédéric Fonteyne poursuivit des études de réalisation à l’ "IAD", où il commença à réaliser des courts-métrages, avant de remporter, en 2012, pour son long-métrage « Tango libre » (Bel.-Lux.-Fra./2012/97′), le « Prix spécial du Jury », à la « Mostra de Venise », ainsi que deux « Magritte », en 2014, ceci après avoir reçu, en 2004, le« Prix André Cavens », attribué par l’« UCC » (« Union de la Critique du Cinéma ») pour « La Femme de Gilles » (Bel.-Fra.-Lux.-Ita.-Sui./2004/ 103').
De son côté, Sara Forestier a obtenu deux « César », celui, en 2011, « de la meilleure acrice » pour « Le Nom des Gens » (Michel Leclerc/Fra./2010/100’/film lauréat, en 2011, d’un second « César », celui « du meilleur Scénario original » {Baya Kasmi et Michel Leclerc}), ainsi qu’en 2005, « du meilleur Espoir féminin », pour « L’Esquive » (Abdellatif Kechiche/Fra./2004/117’/film lauréat, en 2005, de 3 autres « César », ceux « du meilleur Film », « du meilleur Réalisateur » et« du meilleur Scénario original ou Adaptation » (Abdellatif Kechiche et Ghalia Lacroix). Pour ce même film, en 2004, elle avait reçu le « Prix d’Interprétation féminine », au « FIFA », à Mons. En 2013, pour son interprétation dans « Suzanne » (Katel Quillévéré/Fra./2013/ 94′), elle avait obtenu le « Valois de la meilleure Actrice », au« Festival du Film francophone d’Angoulème » et le« Prix de la meilleure Actrice », au « Festival international du Film de Thessalonique ». Comme réalisatrice, pour son film « M » (Fra./2017/98′), elle obtint le « Prix de la Fondation Gan pour le Cinéma », dont elle était l’une des inteprêtes, recevant, en2017, l’ « Iris d’Or de la meilleure Actrice », au « Festival de Cinéma et de Musique de Films de La Baule ».
Coproduit par Versus Production, Les Films du Poisson, Prime Time, Few Films, VOO, Be tv, la RTBF & Proximus, « Filles de Joie » bénéficie du soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, d’Inver Tax Shelter, de Media, cofinancé par le programme Europe créative de l’Union européenne, ayant été réalisé avec l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, du Fonds Audiovisuel de Flandres, ainsi qu’avec le soutien des Régions de Bruxelles-Capitale et Grand Est.
Yves Calbert.