A Mons, au "BAM", « Miró. L'Essence des Choses passées et présentes", jusqu'au 08 Janvier 2023

écrit par YvesCalbert
le 08/12/2022

Les céramiques, dessins, gouaches, gravures, peintures et sculptures de Joan Miró (1893-1983) n’avaient plus été présentés en Belgique, au sein d’une importante exposition, depuis … 1956, à Bruxelles, au « Palais des Beaux-Arts ».

Cette année, jusqu’au dimanche 08 janvier 2023, au « Musée des Beaux-Arts de Mons » (« BAM »), la présente exposition, « Miró. L’Essence des Choses passées et présentes », couvrant toute la carrière de l’artiste catalan, est organisée avec le soutien des « Fonds Européen de DEveloppement Régional » ( » FEDER ») et de la Région Wallonne.

Une centaine d’œuvres originales nous sont présentées, issues de prestigieuses collections internationales publiques et privées, dont la « Fundació Pilar i Joan Miró », à Palma de Majorque, la « Fundació Joan Miró », à  Barcelone, le « Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia », à Madrid, le « Musée national Picasso », à Paris,  le « LaM », à Villeneuve d’Ascq, ou encore, la « Fondation Maeght », à Saint-Paul-de-Vence.

Curieusement, Joan Miró écrivit, le 24 janvier 1931 : « La seule chose qui est claire pour moi, c’est que j’ai l’intention de détruire tout ce qui existe dans la peinture. J’ai un mépris total pour la peinture, la seule chose qui m’intéresse, c’est l’esprit lui-même. Je peints par nécessité et pour dépasser la peinture ».

En page 09 du superbe catalogue, le directeur du « BAM », Xavier Roland, écrit : « Joan Miró déclare vouloir  ‘assassiner la culture’ ; une volonté qui peut sembler iconoclaste. Comme l’explique Victoria Noel-Johnson, (docteure britannique en histoire de l’art, commissaire de l’exposition), derrière cette expression forte, il faut voir le besoin chez l’artiste de rechercher une liberté et une autonomie totale dans la peinture . A cette époque coîncide ne manière nouvelle d’aborder les notions de ‘primitivisme’ et ‘civilisation’ . La question devient rapidement source d’inspiration chez l’artiste catalan, alimentée notamment, entre 1924 et 1930, par sa relation étroite avec Michel Leiris, poète et ethnologue. Il s’établit alors ente eux un véritable jeux d’influence entre art et ethnologie. »

Xavier Roland poursuit : « Nous faisons intervenir le terme de ‘créativité-rupture’ que l’artiste catalan initie en quelque sorte à tavers ‘l’assassinat de la peinture’. Cette tension entre rupture et continuité, modernité-créativité et identité n’est qu’une intrprétation moderniste d’une démarche assez complexe dans laquelle s’inscrit Miró. 

Autrement dit, à travers la ‘créativité-rupture’, l’artiste met en place une reconstruction du présent, qui se positionne par rapport à ce qui a été dans un passé parfois lointain . Ce geste d’ ‘assassiner la peinture’, qui peut sembler radical, doit en fin de compte s’appréhender avec, en toile de fond, un lien profond avec le passé, la tradition de son pays natal et les origines sacreés de l’art. »

L’historienne de l’art britannique, commissaire de l’exposition, la docteure Victoria Noel-Johnson, écrit en page 15 du catalogue : « Dans une interview donnée à la radio nationale française, en 1951, le journaliste George Charbonnier pose à Miró une simple question : ‘Que souhaite-vous ?’ Le catalan répond, à sa façon laconique : je souhaite un contact physique avec les gens, avec le peuple, avec les hommes. Jusqu’à un art collectif et anonyme, comme dans les grandes époques. »

« Miró poursuit résolument son idéal d’une ‘pure peinture’, une peinture ‘dépoullée de tout problème pictural et avec l’harmonieuse vibration des palpitations de l’esprit’ « , comme l’écrivait l’artiste, en 1917, « un esprit qui doit, à son tour, engendrer ‘une lumineuse liberté‘ « 

Au micro de Pascal Moreau, de la « RTBF », Xavier Roland déclara : « L’art de Miró, teinté d’onirisme n’est ni impulsif, ni abstrait. Il atteint la substantifique moelle de la forme en gommant tout élément superflu. Miró est un  calligraphe de la forme, qu’il conduit à la limite de la dissolution, sans jamais perdre l’identité de la figure à représenter. »

Ses premiers dessins, toujours conservés de nos jours, furent réalisés alors qu’il était âgé de huit ans. Dès l’école primaire, après ses cours réguliers, il suivit des cours de dessin, déclarant bien plus tard : “Ces leçons étaient pour moi comme une cérémonie religieuse. Je me lavais soigneusement les mains avant de toucher le papier et les crayons. Les instruments étaient comme des objets sacrés, et je travaillais comme si j’accomplissais un rite religieux. »

En 1917, Miró écrivait à Josep F. Ràfois : « Pour moi, l’art de l’avenir, après le grandiose mouvement impressionniste français et les mouvements libérateurs, post-impressionnisme, cubisme, uturisme, fauvisme, tend dans chaque cas à émanciper l’émotion de l’artiste et à lui donner une liberté absolue. »

Comme on peut s’y attendre de la part d’un créateur ayant reçu une formation artistique traditionnelle, les premières réalisations de Miró furent largement figuratives, comme nous le montre, dans la première salle, l’extraordinaire  « Portrait d’une Danseuse espagnole », une huile sur toile, peinte en 1921, qui, ayant appartenu à Pablo Picasso, se caractérise par le trait minutieux de l’artiste, mettant en exergue les plus petits détails : robe brodée, peigne à cheveux, boucles d’oreilles, les parties saillantes et les rides du visage étant ciselées, presque géométriques,  rappelant la manière du cubisme.

Au cours des années suivantes, Miró fit évoluer son œuvre vers une forme d’art pur et poétique. Faisant passer la
forme au second plan, il privilégie l’esprit poétique ou “l’essence” de la figure.

Ainsi, en 1922, il écrivait à son ami Roland Tual : “Nous devons, cher ami, faire des choses qui résisteront aux classiques … Tu connais déjà mes idées sur l’Art. Tu sais très bien que je n’attribue pas le mot ‘classique’ à ces malheureux qui ne voient que la couche extérieure du classicisme … et encore moins à ces académiques qui ne valent pas mieux que des imbéciles. Une bonne toile cubiste de Picasso est aussi classique qu’une œuvre de Raphaël et tient bien la route à côté d’elle. »

En 1924, il écrivait : « Quand j’ai fait le « Portrait de Madame Kim » (quiavait en fait pris la pose), j’avais l’intention de faire quelque chose de réaliste, mais j’ai commencé à éliminer, éliminer jusqu’à ce que j’en arrive à être complètement anti-cubiste. Alors, j’ai même expurgé le cubisme de mon œuvre.”

Dans la période qui suivit, entre 1924 et 1928, Miró s’engagea dans une nouvelle approche du genre du portrait, une approche intensément subjective et associative, qui complètait l’automatisme pur et onirique promu par le groupe surréaliste.

Au sein de l’exposition, nous trouvons une ancienne carte postale, en couleurs, qui, autrefois épinglée, pour son inspiration, au mur de son studio de Palma de Majorque, est une copie, en petit format, de « La Grande Vague de Kanagawa », une gravure sur bois, réalisée, en 1831, par Hokusai (Katsushika Hokusai).

Bien que ce soit à l’âge de 73 ans, en 1966, que Miró fit sa première visite au Japon, avant de s’y rendre une dernière fois en 1969, son second voyage au « pays du soleil levant » l’ayant inspiré, dans sa réalisation de  diverses créations d’inspiration japonaise, ayant cultivé, dès le début de sa carrière, un vif intérêt pour l’art d’Extrême-Orient, en particulier pour la calligraphie japonaise.

En cette même année 1969, un journaliste lui demanda s’il s’était inspiré de “la méthode de se concentrer jusqu’à un état de transe avant de mener une exécution à la vitesse de l’éclair”, une méthode propre aux calligraphes japonais, ce que Miró confirma : “Cela a influencé, sans aucun doute, mes propres pratiques. De plus en plus, je travaille dans un état de transe. »

Cette pratique de la calligraphie japonaise était particulièrement adaptée au désir de Miró d’aller au-delà de la peinture et d’atteindre la poésie. Notamment par la préparation japonaise de type rituel, impliquant une discipline
ascétique menée dans un état de méditation silencieuse et spirituelle et l’application de coups de pinceaux rythmés mais contrôlés.

Le souhait de Miró d’aligner ses pinceaux sur le rythme des “vibrations” (1917) et d’ « entendre la musique des brins d’herbe et des petites fleurs” (1918), s’inspire d’Hokusai et d’autres artistes japonais, ce qui le poussa à écrire, en 1928 : “Je pense que les seules personnes qui comptent sont celles qui sont vivantes, celles qui mettent leur sang et leur âme dans la ligne la plus fine, dans le point le plus infime. Hokusai disait vouloir que même le plus léger point, sur ses dessins, soit en vibration”

À propos de ses peintures détaillistes de 1919, comme « Vignes et Oliviers, Tarragone », Miró précisait, en 1962, qu’il s’agissait “d’œuvres très réfléchies et méditées, qui ne laissent presque jamais place à la spontanéité et à l’abandon. À cette époque, j’ai été influencé par l’art d’ExtrêmeOrient, et la miniaturisation de ma vision correspondait, naturellement, à une miniaturisation des moyens d’expression. L’arabesque est devenue une calligraphie.”

Avec sa série « Toiles brûlées », il exprima une forme de protestation, provoquée par les événements politiques d’alors, en Espagne. Ses toiles brûlées et lacérées sont des œuvres qui transmettaient la rage et la violence exercées lors de leur création. Si cette “attaque” contre la peinture pouvait être interprétée comme un rejet de la réduction de l’art à une culture des élites et à un produit économique, Miró voyait aussi le feu comme une force positive, écrivant : “J’aime travailler avec le feu … Il détruit moins qu’il ne transforme, il agit sur ce qu’il consumme avec une force créative qui recèle une magie.”

Deux tableaux lacérés et brûlés, sans titres, créés en 1973, témoignent, au « BAM », de cette « attaque »,  illlustrant, une fois de plus, l’inventivité des tentatives de Miró pour aller au-delà de la peinture.

Autre particularité des oeuvres de Miró , plusieurs furent réalisées, avec talent, à l’huile et à la gouache, avec,  comme simple support, du papier journal, telles, peintes en 1975, « Personnage » et « Sans Titre », ou encore, en 1976 : « Personnages dans un Paysage ».

A noter, la présence de dispositifs immersifs et interactifs ponctuant le parcours, afin de nous permettre de mieux
comprendre la manière dont Miró envisageait son processus créatif.

Notons que la « Fundació Pilar i Joan Miró » conserve une armoire issue de l’atelier que l’artiste avait à Palma de Majorque, emplie de petites figurines et autres objets, dont certains sont d’origines colombienne et japonaise.

Quelques-uns de ces objets personnels sont exposés au « BAM », de même qu’une sélection des cartes postales  qu’il écrivit, illustrées de photos d’architectures, d‘oeuvres d’art, voire d’un « Moai de l’île de Pâques », ainsi que quelques-uns des nombreux livres qu’il possédait, lui qui disait : « quand je ne peins pas, je lis ». Parmi ces derniers, nous trouvons, dans la première salle, un exemplaire du « Manifeste du Surréalisme » (1924), d’André Breton (1896-1966), un mouvement artistique au sujet duquel Miró écrivit : « Le surréalisme m’a permis de dépasser de loin la recherche plastique, il m’a mené au coeur de la poésie, au coeur de la joie. »

Concernant la céramique, il raconta comment, pendant plusieurs années, il “imagina” toutes les possibilités de  créations, avant d’entamer, en 1944, une collaboration avec son proche ami, le céramiste Josep Llorens Artigas,  début d’une série d’œuvres et de commandes extraordinaires. Dix-huit ans plus tard, en 1962, il écrivit : “Ce que j’aime, dans la céramique, c’est la façon dont vous devez surmonter les contradictions techniques. Et puis il y a  l’inattendu, la surprise. Pour moi, faire de la céramique, c’est un peu comme devenir alchimiste.”

Parallèlement à sa formation artistique traditionnelle et à sa période “fauve catalane”, Miró cultivait un profond intérêt pour les peintures rupestres préhistoriques , leur langage simple et universel de signes prélinguistiques rejoignant ses propres visées artistiques, sans oublier, non plus, son intérêt pour l’art précolombien, comme en témoignent plusieurs « Figures précolombiennes », en terre cuite, figurant au sein de sa collection d’objets personnels.

Une œuvre excentrique et unique, datant de 1970, ilustre for bien cela, réalisée sur une … une peau de vache,  figurant la technique du dripping, chère à Jackson Pollock (gouttes et jets de couleurs obtenus par à-coups), et  préfigurant certains motifs d’inspiration primitive. 

Parallèlement à sa formation artistique traditionnelle et à sa période “fauve catalane”, Miró cultivait un profond intérêt pour les peintures rupestres préhistoriques , leur langage simple et universel de signes prélinguistiques rejoignant ses propres visées artistiques.

“C’est dans la sculpture que je créerai un monde vraiment fantasmagorique, un monde de monstres vivants. Ce que je fais en peinture est plus conventionnel”, écrivit-il en 1941, quelques temps avant d’entammer une carrière de  sculpteur, qui durera près e quarante ans.

Dans la dernère salle de « Miró. L’Essence des Choses passées et présentes », nous découvrons, outre son « Oeuf de Mammouth » (1956) et son « Personnage et Oiseau » (1967), de petites et moyennes statuettes ressemblant à des déesses primitives de la fertilité, ce thème de la fertilité étant été ouvertement abordé, tant dans ses peintures que dans ses sculptures, lui ayant donné l’occasion, en 1941, d’émettre un commentaire fort et essentiel sur l’homme et la nature : “Rappelez-vous que chez les peuples primitifs, non décadents, l’organe sexuel était un signe magique dont l’homme était fier, loin de ressentir la honte qu’éprouvent les peuples déclinants d’aujourd’hui.”

Après avoir pu découvrir, au « BAM », de superbes expositions consacrées à Andy Warhol (Andrew Warhola/1928-1987), en 2013-2014, Niki de Saint Phalle (Catherine Marie-Agnès de Saint-Phalle/1930-2002), en 2018-2019, Roy  Lichtenstein (1923-1997), en 2020-2021, et Fernando Botero (°Medellin/1932), en 2021-2022, n’hésitons pas à nous émerveiller de l’oeuvre de Joan Miró., de préférence en réservant à l’avance, vu l’immense succès de « Miró. L’Essence des Choses passées et présentes ».

Au sortir des salles consacrées aux oeuvres et objets personnels de Joan Miró, une seconde exposition nous est proposée, intitulée « Le Voyageur et son Ombre. Les collections du ‘BAM’ vues par Xavier Noiret-Thomé », mettant en lumière des oeuvres issues des collections de Thomas Neyrinck et des époux Duvivier, en dépôt au « BAM »,  conservées à l’ « Artothèque de Mons ».

L’artiste français Xavier Noiret-Thomé (°Charleville-Mézières/1971), professeur à l’ « ENSAV »–La Cambre (« École Nationale Supérieure des Arts Visuels »), est le commissaire de cette exposition, qui nous présente outre une sélection de ses créations, des oeuvres d’une quarantaine d’artistes, dont Pierre Alechinsky (°Saint-Gilles/1927),  Karel Appel (1921-2006), Enrico Baj (1924-2003), Marcel Broodthaers (1924-1976), Jean Brusselmans (1884-1953) , Jo Delahaut (1911-1992), Eugène Leroy (1910-2000), Pablo Picasso (1881-1973), Peter Saul (°San Francisco/ 1934), et Serge Vandercam (1924-2005), ainsi que des textes du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900).

Avant de quitter le « BAM », n’hésitons pas à nous rendre au sous-sol, dans la « Salle des Piliers », où les écoles communales de Mons nous invitent à découvrir les travaux de leurs élèves, inspirés par les oeuvres de Joan Miró.

Ouverture : jusqu’au dimanche 08 janvier 2023, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Nocturne : le jeudi 08 décembre, jusqu’à 22h. Fermetures : les dimanche 01 et 25 décembre et le 01 janvier 2023, ainsi qu’à 16h, les samedis 24 et 31 décembre. Prix d’entrée (incluant un Guide du Visiteur de 32 pages) : 16€ (12€, en prix réduit / 0€, pour les moins de 12 ans). Catalogue : Ed. « Snoeck »/collectif sous la direction de Victoria Noel-Johnson/cartonné/ 224 p./plus de 150 photos/ 32€). Contacts : 065/33.55.80. Achats en ligne (recommandés les week-ends, vu la forte affluence) : www;visitmons.be. Site web : http://www.bam.mons.be. 

Animations programmées :

– Brunchs-Concerts : plongeons dans une ambiance espagnole traditionnelle, avec une visite guidée, un concert à la guitare et un brunch, le dimanche 11 décembre, de 09h30 à 13h. Prix : 35€.

– Au cinéma « Plaza Arthouse », à 400m du « BAM », après avoir visité l’exposition :

** atelier « Stopmotion », pour les 08-12 ans, le dimanche 11 décembre, de 14h à 16h30. Prix : 12€.

** « Art sur Toile », recommandé à partir de 12 ans : un film documentaire sur Joan Miró, suivi d’un apéritif convivial, le dimanche 18 décembre, de 09h30 à 12h30. Prix : 24€.

Yves Calbert.

 

Portrait de YvesCalbert
Yves Calbert

Yves Calbert