La chronique d’André Demarteau sur le Sâvadje-Cayèt avait fait hurler à Malmedy
« J’ai pris une ferme décision : cette année je boycotte le carnaval de Malmedy. » Voilà le début de la chronique de l’humoriste André Demarteau, qu’il a faite ce mardi sur les ondes de Tipik, la radio « jeunes » de la RTBF.
Et directement, il place la barre haut. « Ils abusent. On est en 2023 et ils ne veulent pas évoluer les mecs », dit-il au micro, faisant essentiellement référence au personnage du « Sâvadje-Cayèt », un des rôles traditionnels du Cwarmê.
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Suite à la chronique concernant le Sâvadje-Cayèt de la semaine passée sur Tipik, la RTBF a répondu à une plainte. Voici ce qu’elle explique.
On s’en souvient tous, la semaine dernière la chronique d’André Demarteau, sur la chaîne Tipik, avait fait grand bruit à Malmedy. L’humoriste s’interrogeait sur la présence de certains personnages du carnaval de Malmedy en 2023. En particulier, il s’attardait sur le personnage du « Sâvadje-Cayèt », qui représente un « sauvage » avec le visage maquillé de noir. Beaucoup de Malmédiens et défenseurs du carnaval avaient mal pris la chronique qu’ils jugeaient comme étant une attaque fondamentale contre leur tradition et leur folklore. Le Malmédien Dominique Théâtre a écrit à la RTBF afin d’avoir leur position.
OPINION ET LIBERTÉ D’EXPRESSION
La RTBF précise que l’humoriste exprime son opinion selon laquelle le blackface ne devrait plus être présent dans le folklore belge en 2023. Il s’interroge également sur le rôle joué par le boulanger « boldjî », qui touche les fesses des femmes avec « sa pelle en bois », et sur les connotations sexistes de ce personnage. L’objectif de la chronique est d’expliquer son point de vue et de questionner la présence de certains personnages dans le carnaval.
La chaîne publique affirme que la chronique d’André Demarteau reste dans les limites de la liberté d’expression. En revanche, le service marketing admet que la référence à Goebbels et au nazisme est maladroite. « Nous estimons toutefois que l’expression de son opinion à travers sa chronique répond aux principes de pluralisme et de liberté d’expression, tels qu’on l’entend dans notre société démocratique, principes que la RTBF défend. Comme tous sujets de société, le débat sur le folklore doit rester ouvert. Il a d’ailleurs lieu dans d’autres régions, notamment autour du carnaval d’Alost. »
TRADITION
Dominique Théâtre a alors répondu qu’il considère que le personnage du Sâvadje-Cayèt est un masque traditionnel qui est interprété par tous sans se préoccuper des origines, de l’appartenance, de l’orientation sexuelle, de l’âge… Il affirme que le rôle de ce personnage est interprété sans comportements déplacés ou insultants, et que le masque est joyeux, sautillant et souriant. Toutefois, il reconnaît que le sens donné au rôle dépend de la personne qui l’interprète, et que certains masqués peuvent donner une interprétation plus « sauvage. »
Le Malmédien déplore aussi le fait que la chronique est basée sur ce que l’on trouve sur Wikipédia. Il est persuadé que les références au nazisme sont faites précisément afin de rappeler le passé germanique de Malmedy qui est d’ailleurs redevenu allemand durant l’occupation.
Là dessus, on reste plus dubitatif, il semble que la remarque à juste pour but de faire rire et convaincre. Rien ne dit qu’André Demarteau est conscient de ce parallèle relativement douteux. D’ailleurs outre la phrase en question, il ne fait jamais de parallèle avec l’Allemagne.
De ce qu’on voit sur les réseaux sociaux et de cette discussion, jamais on n’arrivera à faire entendre à un Malmédien que le personnage puisse être offensant pour certains. Pas plus qu’on arrivera à faire entendre à d’autres qu’il n’y a rien de raciste sous ce personnage grimé en noir et qui s’appelle le sauvage. ( Adrien Renkin Sud Infos / Echos - Vlan )
«Nous estimons toutefois que l’expression de son opinion à travers sa chronique répond aux principes de pluralisme et de liberté d’expression» LA RTBF
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Jean-Paul Bastin ( bourgmestre de Malmedy : " Le Sâvadje-Cayèt ne procure aucun malaise"et souligne le côté positif du Sâvadje-Cayèt, à mille lieues d’un dénigrement d’autrui.
Jean-Paul Bastin, estimez-vous que l’initiative de Facebook va trop loin?
Facebook est une société américaine: là-bas, ils ont une actualité et un climat qui sont évidemment tout autres que ce qu’on peut connaître à Malmedy. Ils ont eu la mort d’un homme, filmée, qui a réveillé le passé esclavagiste du pays. Ça dépasse – et de très loin – le contexte carnavalisant malmédien. Je peux donc comprendre que des initiatives soient prises… mais la situation est à mille lieues de notre carnaval.
Le Sâvadje-Cayèt, avec «sa particularité», est régulièrement évoqué dans les médias: cela peut-il lui nuire, à la longue?
Il est évoqué à titre illustratif, mais rarement polémique. Je n'ai jamais eu affaire à des personnes de couleur qui me disent être choquées, humiliées par le personnage. Il est pris dans le tourbillon mondial du blackface mais, à notre échelle, ne procure aucun malaise. Il fait partir du carnaval, ce moment de rigolade, de farce, lors duquel les caractéristiques physiques sont exacerbées. Qu'on soit petit, grand, bronzé ou moins bronzé, etc. La fédération des boulangers ne nous tombe pas dessus car nous les représentons ventripotents, tapant les fesses des spectatrices. Pas plus que les roux, car le Cwapî a une perruque rousse et un gros nez. Le personnage du Sâvadje-Cayèt a un côté sympathique, positif. On aime le porter. Il ne dénigre personne et ne fait pas l'apologie du genre blanc.
Pas question de remettre en cause son existence, dès lors?
Il n'y a pas de raison, non. Il ne pose pas souci. Et ne se résume pas au blackface, puisqu'il y a tout un costume avec.
Parfois, on a l’impression que les traditions, de manière générale, sont intouchables, pour certains…
Je peux tout à fait entendre l'argument selon lequel la tradition ne se suffit pas à elle-même. Une pratique de chasse cruelle, par exemple, ne peut pas perdurer «parce qu'elle se fait depuis le Moyen Âge». Je n'ai d'ailleurs pas dit que nous conservons le Sâvadje-Cayèt uniquement par tradition. (A.V. / L’Avenir )