La bataille des caillebotis
Faute de moyens, le DNF ne parvient plus à financer l’entretien des caillebotis, si caractéristiques des Hautes Fagnes. Il entend en remplacer certains par des sentiers empierrés. À moins que d’autres budgets ne se libèrent, ce qui pourrait être le cas.
Depuis plusieurs années, le sujet est sur la table: comment maintenir le réseau de caillebotis caractéristique des Hautes Fagnes et d’autres belles fagnes, si appréciées des randonneurs ? Le DNF (Département de la Nature et des Forêts de la Région wallonne) n’en a plus les moyens, il souhaite par exemple remplacer des caillebotis de la fagne de Malchamps par des sentiers empierrés. «Sur 50 ans, je considère qu’un chemin empierré est dix fois moins cher qu’un caillebotis », a déclaré, à la RTBF, Nicolas Denuit, chef du cantonnement DNF de Spa. «Certains caillebotis sont vétustes et dangereux, l’administration ne peut pas suivre en terme de réparations.
Pour éviter le piétinement
Ces poétiques sentiers de bois sont victimes de leur succès, en particulier durant la pandémie. «Initialement, ces caillebotis ont été conçus dans le but premier d’épargner le milieu naturel du piétinement et pour per[1]mettre de guider le public en toute sécurité à travers la réserve naturelle des Hautes Fagnes. Mais comme nous avons tous pu le constater, l’afflux touristique y augmente chaque année, ce qui engendre une augmentation des travaux d’entretien», a indiqué la ministre Céline Tellier, en charge de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal, en mars dernier, à une question parlementaire de Charles Gardier, député régional. Le problème est que le budget du DNF n’arrive pas à suivre. «Une évaluation précise de l’état des caillebotis dans les Hautes Fagnes a été réalisée cet hiver par mon administration, notamment par les deux chefs de cantonnement du DNF concernés », continue la ministre. « L’estimation de la somme nécessaire pour les réparations de ces caillebotis est estimée à 2 251 540 euros. Il est évident que le budget des cantonnements n’est pas suffisant pour une telle tâche. » Elle parle de «dégager des solutions concertées » avec Valérie De Bue, sa collègue en charge du tourisme.
Jusqu’à 150 euros par mètre
Le DNF renâcle car les budgets des caillebo tis viennent grever ceux de sa mission principale, la conservation de la nature. N’est-ce pas plutôt une question de tourisme? Les caillebotis coûtent plus cher que des sentiers car il faut les entretenir assez souvent : ils sont peu durables. Un caillebotis en résineux tient environ dix ans et revient à 100 euros par mètre. « La tendance actuelle, dans les Hautes Fagnes, est d’utiliser plutôt du chêne, qui résiste mieux aux feux de broussailles, mais ça revient plus cher, à 150 euros le mètre, plus sans doute avec la hausse du prix des bois », dit Étienne Lorent, de Stoumont, qui est un des quatre ou cinq fournisseurs de caillebotis des Hautes Fagnes. « Je travaille un peu partout en Wallonie et pose de 200 mètres à 2 ou 3 kilomètres de caillebotis par an, mais nous faisons surtout des choses plus complexes, comme des constructions pour observer les oiseaux. » Étienne Lorent a installé l’énorme réseau de piquets et de plaques d’informations des points-nœuds de randonnée des cantons de l’Est, qui couvre en partie les Hautes Fagnes. La perspective de voir les caillebotis réduits dans les Hautes Fagnes et la fagne de Malchamps fait contraste avec les sentiers de bois qui se multiplient un peu partout en Flandre. «Il y a plus de contribuables en Flandre, puis ce sont des caillebotis moins longs» nuance Étienne Lorent. «Dans les Fagnes, il y a plus de dix kilomètres, avec des largeurs qui vont de 40 à 120 centimètres, selon la fréquentation de l’endroit. »
La province de Liège promet 150 000 euros
Au niveau politique, certains élus cherchent à trouver des ressources alternatives pour éviter que le bois ne soit remplacé par des empierrés. C’est le cas du député provincial Claude Klenkenberg de Welkenraedt, aussi président de la Fédération du tourisme de la province de Liège. « Le dossier me passionne, j’aime me promener dans les Hautes Fagnes. Je souhaite éviter les sentiers empierrés partout, même si le DNF dit que cela ne pose pas de problème pour le biotope», dit-il. Sans remettre en cause le DNF. « Il n’a pas des moyens énormes et a perdu des agents, je ne la critique pas ». Il estime néanmoins que les caillebotis sont indispensables pour conserver une bonne attractivité des Fagnes, pour attirer des visiteurs. «Pour le touriste, la diversité, le caillebotis est essentiel dans les Fagnes, les gens viennent pour cela. » Où trouver l’argent ? La Province de Liège a consenti un subside de 150 000 euros. « Il devrait permettre de reconstruire quasiment un kilomètre de caillebotis, en chêne pour qu’il dure plus longtemps, au moins 15 ans », estime Claude Klenkenberg. C’est un début. Ce segment se situe dans la vallée de la Helle, sur la commune de Baelen. « J’espère qu’on pourrait trouver les moyens de financer un deuxième kilomètre. Après ça, nous verrons si les Hautes Fagnes obtiennent le statut de parc national, cela pourrait arranger les choses » (lire ci-dessous). «Sinon, j’ai d’autres pistes... »
Des planches amenées par hélicoptère
La pose de caillebotis n’est pas, en tant que tel, un travail complexe, il est même peu créatif par rapport à d’autres œuvres de menuiserie. Il consiste à planter des pieux qui supportent deux « rails » de bois sur lesquels sont visées des planchettes. « Les piquets ont une hauteur de 80 centimètres à 3 mètres, car il faut aller chercher la couche minérale à travers le tourbe», dit Étienne Lorent. La tâche la plus lourde est logistique. Il faut amener les planches en quantité sur des terrains difficiles. «Pour les amener sur le site, nous utilisons des quads à six roues », continue le menuisier. «Nous avons même eu recours à un hélicoptère. C’est intéressant car cela va très vite, il amène le bois par 500 kilos toutes les trois minutes. »
Qu’est-ce qui fait l’usure? Le passage. Chaque marcheur fait vibrer les piquets. « Les caillebotis restent plans s’ils sont bien faits, sinon ils ondulent. » Cela peut poser un risque par temps humide. « Ils peuvent être glissants s’il y a un développement d’algues, dû à une faible fréquentation. Le mieux, toujours, est que les caillebotis soient régulièrement fréquettés », continue Étienne Lorent. Il y a moyen de limiter les risques de glissade en ajoutant du grillage de poules sur le bois.
© Robert van Apeldoorn ( Magazine GR Sentiers Hiver 2022 )
----------------------------------------------
La perspective d’un parc national
Les caillebotis pourraient-ils être sauvés, voire développés, si les Hautes Fagnes obtenaient le statut de parc national ? Cette hypothèse n’est pas exclue, car l’asbl Région de Verviers a introduit un dossier pour obtenir ce statut. « Il donnerait accès à un budget d’environ 13 millions d’euros », dit le député provincial Claude Klenkenberg, qui espère qu’une partie de la somme ira aux caillebotis, puisque le statut de parc national associe la protection de la nature et la gestion de l’écotourisme. L’Exécutif wallon a lancé un appel à candidatures pour créer deux parcs nationaux, un dossier géré conjointement par la ministre de l’Environnement, Céline Tellier, et celle du Tourisme, Valérie De Bue. Au total, sept dossiers ont été déposés: ceux de la vallée de la Semois, de la Famenne-Ardenne, de la forêt d’Anlier, des forêts du Brabant, des Hautes Fagnes, du massif de Saint-Hubert et de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
En décembre 2022, la Wallonie se dotera de deux parcs nationaux dont la création fait partie du Plan de relance de la Wallonie, et plus particulièrement des projets soutenus dans le cadre du Plan européen pour la reprise et la résilience. L’ensemble du projet bénéficie d’une enveloppe totale de 28 millions d’euros.
La création de ces deux parcs poursuit un double objectif : d’une part, valoriser les espaces naturels remarquables de Wallonie et contribuer au développement de la biodiversité, de l’autre créer une opportunité touristique et économique exceptionnelle.
Sur proposition de la ministre de la Nature, Céline Tellier, et de la ministre du Tourisme, Valérie De Bue, le Gouvernement de Wallonie a validé le choix des quatre projets qui bénéficieront d’une subvention pour concevoir un plan directeur et opérationnel dans le cadre de l’appel à projets Au 1er novembre, sept candidatures avaient été rentrées dans le cadre de la première phase de l’appel à projet. Les quatre lauréats sont : les projets Entre-Sambre-et-Meuse, Forêt d’Anlier, Hautes Fagnes et Vallée de la Semois. Les trois autres projets, soit Famenne-Ardenne, Forêts de Brabant et Massif de Saint-Hubert, n’accéderont pas à la phase 2 du processus de sélection.
Nouvelle sélection
Les porteurs des quatre projets retenus ont maintenant jusqu’à octobre 2022 pour présenter le détail de leur projet qui sera à nouveau évalué par le jury.
Sur base de cette nouvelle évaluation, le gouvernement de Wallonie annoncera les deux parcs lauréats en décembre 2022. Les deux autres candidats n’auront pas la reconnaissance de Parc national, mais pourront mettre en œuvre une partie de leurs projets grâce à un budget dédié.
« Les quatre projets retenus pour l’étape de sélection suivante ont démontré un potentiel majeur pour valoriser la nature exceptionnelle présente sur leur territoire. Qu’ils soient encouragés à poursuivre durant les prochains mois afin de concrétiser leurs ambitions au bénéfice de toute la Wallonie ! » », commente la ministre régionale de l’Environnement Céline Tellier, citée dans un communiqué. Pour la ministre du Tourisme Valérie De Bue, « les quatre projets retenus s’inscrivent pleinement dans les objectifs de la Stratégie 2030 pour le Tourisme wallon. Ils proposent de développer quelque chose de nouveau en capitalisant les spécificités et les forces de chaque territoire. »
Verdict dans un an !
( Extrait du GR 233 • Hiver 2022)
-------------------------------------------------------
Soutenez les Sentiers GR... et contribuez ainsi aux frais d’entretien du balisage des sentiers GR. Cotisation annuelle (365 jours, de date à date): 20€ (28€ pour l’étranger). Compte: BE48 0882 8373 7927 ou paiement en ligne. Vérifiez votre adresse sur votre virement. Indiquez en communication vos adresses mail et postale.
Remboursement éventuel de votre affiliation. Lors de la réception de votre premier MAG GR Sentiers, vous recevrez par mail ou par la poste votre nouvelle carte de membre et un formulaire prérempli avec le montant de 20€ pour un remboursement accepté par des mutuelles.
Prolongez votre découverte. Chaque semaine, retrouvez toute l’actualité des sentiers GR sur www.grsentiers.org. Abonnez-vous gratuitement à notre lettre d’information mensuelle sur le site et soyez informé(e) de nos activités.
Éditeur responsable: Marc Vrydagh – Rue Nanon, 98 – 5000 Namur