(La Grande Mademoiselle) (Kate Middleton): le mariage du siècle
Si vous aimez les lettres et la belle lecture, délectez-vous.
1670. Voici ce qu’écrivit Madame de Sévigné à Madame de Coulanges, sa grande amie épistolière de Lyon. Elle annonce le prochain mariage de Monsieur de Lauzun, bellâtre et séducteur volage, avec… devinez qui ? Car ce fut la grande surprise, à l’époque.
Cette lettre est pleine de suspens, et se termine avec un regard critique amusé sur l’événement.
A cette heure où l’on nous les rebat avec les deux tourtereaux de Londres, ce texte démontre qu’il fut un temps où les commérages se disaient en termes plus élégants.
René Dislaire
Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus digne d'envie : enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés, encore cet exemple n'est-il pas juste ; une chose que l'on ne peut pas croire à Paris (comment la pourrait-on croire à Lyon ?) ; une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie Mme de Rohan et Mme d'Hauterive ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi.
Je ne puis me résoudre à la dire ; devinez-là : je vous la donne en trois. Jetez-vous votre langue aux chiens ? Eh bien ! Il faut donc vous le dire : M. de Lauzun épouse dimanche, au Louvre, devinez qui ? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix ; je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit : voilà qui est bien difficile à deviner ; c'est Mme de La Vaillière. Point du tout, madame. C'est donc Mlle de Retz ? Point du tout, vous êtes bien provinciale. Vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est Mlle Colbert ? Encore moins. C'est assurément Mlle de Créquy ? Vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche, au Louvre, avec la permission du Roi, Mademoiselle, Mademoiselle de... Mademoiselle...
Devinez le nom : Il épouse Mademoiselle, ma foi ! par ma foi ! ma foi jurée ! Mademoiselle, la grande Mademoiselle ; Mademoiselle, fille de feu Monsieur ; Mademoiselle, petite-fille de Henri IV ; mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans ; Mademoiselle, cousine germaine du Roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur.
Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous pensez que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures : nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous.
Marquise de Sévigné
Note historique
Mademoiselle, née Anne Marie Louise d'Orléans, était la cousine germaine de Louis XIV.
Son père, fils d'Henri IV, frère cadet de Louis XIII, était appelé "Monsieur". D'où le nom de "La Grande Mademoiselle".
Sa qualité de fille à marier la plus riche de France, et le rang de son extraction le plus élevé qui soit , firent d'elle une fille à ne pas pouvoir se marier. Elle fut l'objet d'intrigues, de marchandages, de surenchères... Combien de Grands d'Europe ne la convoitèrent-ils pas? Louis XIV fut son prétendant, mais Mazarin s'interposa. Espérant convoler avec le duc de Lauzun, cadet de Gascogne, elle eu la surprise de le voir emprisonner pour dix ans sur le bon plaisir de Louis XIV. S'ils se sont mariés, ce fut secrètement, et on doute même que le mariage eût lieu. Et s'il eut lieu, il ne dura pas longtemps.
Ses contemporains ont consacré de nombreuses pages à sa vie amoureuse, et à celle du duc de Lauzun. Elle-même écrivit ses mémoires.
René Dislaire