"La Carte postale, Objet de Collection, Oeuvre d'Art", au "Delta", à Namur, jusqu'au 18 Août
Incroyable collection de cartes postales, que celle rassemblée au « Delta », à Namur, au sein de l’exposition « La Carte postale Objet de Collection, Oeuvre d’Art », accessible jusqu’au dimanche 18 août, nous montrant tout l‘impact que la carte postale a pu avoir sur la société et la scène artistique, dès la seconde moitié du XIXè siècle.
En bord de Sambre, sur deux étages, près de 1.500 cartes postales nous sont, ainsi, présentées, dont certaines sont des oeuvres d’art de Marcel Broodthaers, Marcel Duchamp, Paul Éluard, Gilbert & George ou encore René Magritte, voire d’un artiste namurois, exposant souvent dans nos contrées, Bernard Boigelot, spécialiste de l’art postal, invitant, parfois, des tiers, pour qu’ils interviennent, également, sur ce format de 10 x 15 cm, cet artiste namurois étant l’un des membres du Comité d’Administration de la « Galerie Détour », à Jambes, une galerie d’art, qui fêta son 50è anniversaire, en novembre 2023.
À l’heure où des images protéiformes circulent sur les réseaux sociaux et où nos échanges se réduisent à quelques
signes, « Le Delta » nous rappelle toute l’importance qu’a eu la carte postale au niveau de nos relations sociales, alors que l’on écrivait quelques mots sur le verso et que le recto nous offrait l’une ou l’autre jolie vues.
Ainsi, en 1889, l’ « Exposition universelle », à Paris, semble véritablement constituer un tournant dans la popularité de la carte postale, près de six mille cartes d’un emblème de l’ère nouvelle et de l’avancée des innovations techniques, la Tour Eiffel, ont été vendues quotidiennement, lançant l’ère de la modernité, dont les cartes postales deviennent l’un de ses fleurons les plus populaires.
Ce support léger, produit massivement, s’imposa rapidement auprès de toutes les classes sociales, la carte postale
étant devenue une image-objet à portée symbolique multiple, qui, passant de main en main, ouvre les portes de
l’imaginaire.
Par son format, elle permet, aussi, la constitution d’archives personnelles ou l’agencement d’images sur les murs ou les espaces de travail, devenant un outil pour l’artiste ou l’historien de l’art, constituant un véritable point de départ de pratiques et d’usages protéiformes : art postal, collages, films, installations, objets, peintures, photographies, …
« Deux œuvres de Marcel Broodthaers (1924-1976) sont exposées, basées sur une carte postale trouvée qu’il a transformée en 1972, année bénie, en un merveilleux court-métrage de 4 minutes et en une œuvre sérielle minimale, dans laquelle la carte postale est combinée plusieurs fois, comme sur un échiquier, avec la reproduction de cette carte postale. Le titre, ‘Chère petite sœur …’, est la salutation de la carte postale, qui correspond de manière désarmante à la mer qui, outre le romantisme, peut aussi s’enflammer dans une tempête de violence naturelle dévorante et menaçante pour l’homme.
Le fait que Marcel Broodthaers prenne une carte postale banale et statique comme base d’un film dynamique a alors été présenté dans les arts visuels, comme une méthode innovante de production d’images associatives« , écrit Luk Lambrecht, conservateur au « NHISK » (« Hoger Nationaal Instituut voor Schone Kunsten » {« Institut National Supérieur des Beaux-Arts« }), lauréat, en 2020, du « Prix Ultima de la Culture flamande », dans la catégorie « Arts visuels ».
Impossible de citer ici tous les artistes présents mais on ne peut passer sous silence les images de l’artiste et agrégé d’art français Eric Manigaud (°Paris/1971), reproduisant, en grand format, la violence coloniale présente dans sa collection de cartes postales et dans celle de l’ « AfricaMuseum », à Tervuren.
De son côté, Valérie Mréjen (°Paris/1969) nous propose ses diptyques décalés, alors que Nicole Gravier (°Arles/ 1949) s’est photographiée sur les sites les plus clichés. Quant à Michel Peetz, professeur d’arts plastiques à l’ « IATA » (« Institut des Arts, sciences et Techniques Artisanales »), à Namur, il utilise tous les codes du genre pour vanter Charleroi, Namur ou la Fête nationale belge, collectionneur de cartes postales, il photographie des lieux atypiques, et les reproduits à la manière des cartes postales, mais en peinture et en grand format, sous signature « Pemi », écrite à la manière des anciennes cartes « Iris ».
Lors de la visite de presse, les deux commissaires, Virginie Devillez, experte et conseillère en art, détentrice d’un Doctorat, décerné par l’ « ULB » et Isabelle de Longrée, du « Delta », ont attiré note attention sur l’oeuvre du peintre avant-gardiste français Francis Picabia (Francis-Marie Martinez de Picabia/1879-1953), qui détourna la carte postale dans le domaine de l’art, s’inspirant de cartes postales pour créer ses tableaux. Plus besoin, donc, de se déplacer, puisque d’autres s’en sont chargés pour lui, sa démarche postimpressionniste conceptuelle marquant le début des avant-gardes du XXè siècle.
Notons d’ailleurs, dans un domaine non exploré par l’exposition, qu’« Hergé » (George Remi/1907-1983) ne se déplaçait pas pour découvrir les pays où son héros de papier, « Tintin », allait évoluer, utilisant, notamment, des cartes postales, pour créer ses décors de bandes dessinées, de l’ancien Congo belge à Chicago, en passant par l’Amazonie, l’Egypte ou Shangaï.
Lisons le propos des deux commissaires, concernant leur exposition (texte adapté) : « Durant la Première Guerre mondiale, des artistes allemands précurseurs du ‘Dada’ se lancent dans des photomontages pastiches de l’imagerie officielle, inspirés par des cartes postales de fantaisie, une technique reprise par les artistes allemands Kurt Schwitters (1887-1948) et surtout Hannah Höch (1889-1978), mais aussi, dans les années 1960, par l’artiste plasticien français et créateur d’événements artistiques performatifs, Jean-Jacques Lebel (°Paris/1936). »
« À leur instar, le surréaliste français Paul Éluard (1895-1952) possédait une importante collection de cartes postales vintage et considérait ce médium comme un art tout court. D’autres membres du groupe usaient plutôt de ses effets d’adresse collective, tel le graphiste français Georges Hugnet (Eugène Émile Paul Grindel/1906-1974) ou encore notre compatriote René Magritte (1898-1967), initiant une forme de ‘Mail Art’ (‘Art postal’) avant la lettre. »
Carte à Herman J. Daled (levé à 9h08, à New York) © On Kawara
« Un principe que l’on retrouve chez l’artiste japonais On Kawara (1932-2014), qui jouait, également, sur la dimension temporelle de la carte postale, cet artiste ayant communiqué ‘à la cadence du temps’, par courrier, télex ou télégramme (principalement), qu’il était vivant ou qu’il accomplissait une action telle que ‘se lever le matin’ (sur ses cartes, indication de l’heure où il s’est levé et en quel lieu, à l’attention du collectionneur belge Herman J. Daled {1930-2020}), ayant, ainsi, réussi à formaliser sa production artistique, dans un format existentiel simple et répétitif. »
« Quant à l’artiste française Marcelle Cahn (1895-1981), elle transforme les monuments les plus célèbres (Tour Eiffel, Arc de Triomphe, …), en y ajoutant de petites pastilles colorées. »
« De par sa nature, la carte postale impose aussi un classement qui met en exergue sa catégorisation du monde et de la société via un condensé d’archétypes : art, exotisme, femme, folklore, paysage, tourisme, …, autant de clichés constituant un axe de réflexion majeur pour les artistes. Dans les années 70, l’artiste photographe française Nicole Gravier (°Arles/1949) dénonce ainsi avec ironie le pouvoir visuel des mass media. L’artiste plasticien belge Damien Deceuninck se focalise sur l’imagerie romantique qu’elle véhicule, inspirée du peintre paysagiste allemand Caspar David Friedrich (1774-1840). D’autres artistes en explorent le potentiel narratif (Valérie Mréjen), ses faux-semblants (Michel Peetz), ses clichés touristiques (Marcelle Cahn) ou encore ses potentialités sculpturales (Gilbert & George). »
« Enfin, l’apparition au début du 20e siècle de cartes postales reproduisant des chefs-d’œuvre de musées a eu un impact majeur sur les artistes et les historiens de l’art ; en témoigne ‘L’Atlas Mnémosyne’, le travail titanesque de l’historien de l’art allemand Aby Warburg (1866-1929), qui fait écho à la réflexion de l'artiste français Marcel Duchamp (1887-1968) sur son œuvre avec sa ‘Boîte-en-Valise’ («Tout ce que j'ai fait d‘important pourrait tenir dans une petite valise »/1934), conçue comme un musée portatif de ses créations, un principe ayant aussi inspiré l’artiste plasticienne belge Joëlle Tuerlinckx (°Bruxelles/1958), qui nous présente, dans une vitrine, une boîte de cartes postales, celles-ci pliant sa pensée, pour le spectateur, qui continue d’observer comment la simplicité maximise la richesse de la pensée. »
« Ce principe de l’image, comme constitution de l’œuvre en soi, porte également la genèse du projet artistique du plasticien et poète belge Marcel Broodthaers, autour de son ‘Musée Museum’, composé entre autres d’une série de cartes postales reproduisant des œuvres de Gustave Courbet (1819-1877), Jacques-Louis David (1815-1891), Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Ernest Meissonier (1915-1891), … »
« Le travail post-conceptuel de l’artiste belge Jacqueline Mesmaeker (1929-2023) invite aussi à regarder autrement les œuvres d’art qu’elle associe par paire. L’artiste conceptuelle britannique Susan Hiller (1840-2019), tout en rendant hommage aux photographes anonymes, les réinscrit quant à elle dans une histoire de l’art encore lacunaire. »
« La plupart de ces artistes ont en commun d’être des collectionneurs de cartes postales. En 2009, l’artiste conceptuel américain Allen Ruppersberg (°Cleveland/1944) considérait que ‘la collection précède l’œuvre d’art’, comme celle rassemblée par l’artiste autrichienne Aglaia Konrad (°Salzbourg, 1960), qui nous présente une installation de table, composée de cartes postales maintenues dans des supports, rendant hommage à l’architecte italo-brésilienne Lina Bo Bardi (Achillina Bo/1914-1992) ; ou encore les cartes éditées par l’artiste américain Peter Downsbrough (°New Brunswick/1940), qui témoigne de son parcours institutionnel à travers les vues de lieux qu’il a investis, sa série de cartes postales touristiques, montées sur étagères, nous présentant ses ajouts minimaux, tels que deux lignes verticales et/ou des mots subtils, qui relient notre pensée d’une manière imaginaire. »
« L’exposition se clôture par la nouvelle installation de l’artiste espagnol Oriol Vilanova (°Manresa/1980), produite spécialement pour l’occasion. Tout et rien. Rouge et noir, privilégient une approche picturale et esthétique : il agence sa collection de cartes postales par couleur, les illustrations perdant ainsi leur fonction et leur sens initiaux pour laisser la place à véritable expérience rétinienne. Ce faisant, Oral Vilanova semble répondre à Francis Picabia, qui avait, en quelque sorte, sonné le glas du métier d’artiste, rendant ses lettres de noblesse à la peinture, dont l’aura aurait périclité du fait de la reproductibilité de l’image. »
En conclusion, reprenons le propos de Jean-Marie Wynants, pour « Le Soir » : « On a tous envoyé une carte un peu kitch, d’un lieu de vacances ou d’un voyage scolaire. Une carte qui témoignait d’un moment, qui voulait dire ‘j’y étais’, … De Picabia à Peter Downsbrough en passant par Magritte, Broodthaers ou Martin Parr, cet objet touristico-littéraire a généré de nombreuses variations artistiques … D’une richesse impressionnante, le parcours, baptisé ‘La Carte postale, Objet de Collection,Oeuvre d’Art’ parvient à utiliser toutes les potentialités d’espaces pourtant compliqués dont on a, cette fois, l’impression qu’ils ont été totalement et remarquablement repensés. »
Ouverture : jusqu’au dimanche 18 août, du mardi au vendredi, de 11h à 18h, le samedi et le dimanche de 10h à 18h. Prix d’entrée : 5€ (3€ & 1€, avec le « Pass Delta »). Catalogue (Gillian-Joy Bailly-Cowell, Anne Berest, Isabelle de Longrée, Virginie Devillez & Marie-Aude Rosman/Ed. « Fonds Mercator »): 25€. Contacts : info@ledelta.be & 081/77.67.73. Site web : http://www.ledelta.be.
*** Trois stages pour nos enfants, au « Delta », du lundi 12 jusqu’au mercredi 14 & le vendredi 16 août, de 09h à 16h :
Prix des 4 jours (incluant une visite guidée de l’exposition & un petit déjeuner d’accueil, le lundi 12 août, à 09h, ainsi qu’un verre de l’amitié de clôture, le vendredi 16 août. Prix : : 48€ (des réductions sont possibles, suite à une sollicitation, via mediation@ledelta.be).
- « Sous l’Océan », pour les 04 à 06 ans : Un stage pour plonger dans les profondeurs sonores sous-marines et découvrir un monde musical plein de surprises. Formateur.trice.s : membres des « Jeunesses musicales de Namur« .
- « Mail Art », pour les 07 à 09 ans. Se plonger dans l’univers de la carte postale, avec, au programme : collage, découpage, dessin, gravure, montage, … Formatrices : Madeleine Delvaux & Pauline Tonglet, médiatrices culturelles du « Delta ».
- « Tou.te.s timbré.e.s », pour les 10 à 12 ans. Un stage pour partir en voyage dans différentes disciplines autour du thème de la carte postale, leur proposant du collage aventureux, de l’écriture poétique, du graphisme miniature, de la photographie urbaine, … Formatrices : Marie-Aude Rosman & Elsa Wittorski, médiatrices culturelles du « Delta ».
*** Exposition au sein de l’espace muséal du « Delta », "60 ans de la Maison de la Culture", jusqu’au dimanche 29 septembre :
Première du genre sur le territoire belge, l’ancienne « Maison de la Culture » de la Province de Namur, édifiée en bord de Sambre, sous la conduite de l‘architecte belge Philippe Samyn (°Gent/1948), fut inaugurée le 24 mai 1964, il y a plus de 60 ans, d’où l’organisation d’une petite exposition, jusqu’au dimanche 29 septembre, à 18h.
Rebaptisée « Le Delta », suite à une extension ayant ajouté un étage au bâtiment historique, un nouvel édifice circulaire, le « Tambour », ainsi que deux petites salles de spectacles et une vaste terrasse panoramique, face à la Citadelle, cet important Espace culturel provincial fu réouvert le 21 septembre 2019.
Au sein de la présente exposition, nous découvrons des affiches, maquettes, plans d’architecture, tableaux & sculptures, ainsi qu’une vitrine nous présentant l’un des trophées de celui qui fut le premier Festival cinématographique belge, consacré exclusivement aux Courts-Métrages, « Média 10/10 », qui, dès 1972, connut plus de 40 éditions.
A l’heure où certains politiciens régionaux évoquent, à nouveau, la disparition des cinq provinces francophones, ou, du moins, des Députés provinciaux, dès 2030, comment ne pas souligner l’importances des Provinces, avec, pour Namur, non seulement ses « Musées TreM.a » (« Arts anciens du Namurois », qui expose, jusqu’au dimanche 20 octobre, son « Trésor d’Hugo d’Oignies », au « Musée national du Moyen Âge de Cluny », à Paris) & « Félicien Rops » ; mais aussi ses écoles, dont la mondialement réputée « Ecole Hôtelière » ; son « Domaine de Chevetogne »; ou encore son implication dans les soins de santé & dans les zones de seours.
Yves Calbert.