La fraude fiscale : tout le monde le fait
Fabiola. Et si le message de la reine de cœur était citoyen, d’intérêt public, et qu’il puisse s’exprimer comme suit ?
« En 1993, le gouvernement Dehaene a pris la décision populiste de me donner sous forme de dotation une pension de veuve de 60 millions de francs belges par an sans que j’y aie droit, sans que je l’aie demandé, sans que j’en aie besoin. Lorsque l’émotion créée par le décès de mon mari est retombée, on n’a pas cessé de critiquer cet acte. Je suis bien d’accord. C’est pourquoi aujourd’hui je ne tiens pas à ce que mon argent retourne à l’État qui l’utiliserait pour une autre gabegie ! »
Voilà une réflexion que l’on peut se faire à la lecture du livre de Michel Maus qui vient de paraître en français (1): Tout le monde le fait ! La fraude fiscale en Belgique. Les trucs, les chiffres, les combines juteuses et très juteuses.
Car tous ceux qui sont scandalisés par la Fondation Fons Pereos reconnaissent qu’il s’agit d’une ficelle parfaitement légale, transparente qui plus est, et ne peuvent faire à la fondatrice qu’un reproche d’ordre moral, lesquels baignent toujours dans la subjectivité du temps et de l’endroit où nous vivons.
La reine n’a pas fraudé : elle a tiré sur une ficelle que le peuple belge lui a mise entre les mains. Autrement dit elle a bien fait : elle a fait ce qu’il fallait faire pour arriver à des fins dictées par sa conscience.
Elle pourrait même se justifier par un argument d’autorité : la politique de Ronald Reagan, nous rappelle Michel Maus, a appliqué le principe selon lequel les gens sont capables de gérer leur argent mieux que l’administration (l’État) ne le fait.
Un dernier mot du professeur Maus : « On n’hésite pas à traiter les droits de succession comme un impôt pour les crétins, c’est à dire ceux qui auraient omis d’élaborer une construction fiscale (…) ». À noter que tous ces propos ont été écrits bien avant qu'on parle de l'affaire de la Fondation.
Justine. Elle remporte la coupe à Roland Garos en 2003. Nul n’a fait reproche au roi Albert d’être monté sur le court pour la lui remettre, une coupe remplie de pièces d’or qui allaient prendre la route de Monaco. Le roi était flanqué du ministre des finances, Didier Reynders, dont la présence pourrait être qualifiée de populiste, dans l’acception de démagogique que couvre ce terme.
En fait, avoir son domicile à Monaco pour y payer moins de taxes n’est pas de la fraude fiscale ni de l’évasion fiscale, qui sont des délits, mais de l’optimisation fiscale, parfaitement légale, nuance Michel Maus, et l’optimisation fiscale peut être considérée comme un devoir se raccrochant à la notion de gestion de ses biens en bon père de famille.
Toutefois, ajoute l’auteur toujours en nuances, la différence entre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale n’est que l’épaisseur du mur de la prison.
Il faut pas cacher par ailleurs, dira-t-il, que tous les états se font une concurrence pour sans cesse faire évoluer les règles internes d’un pays de manière à séduire les étrangers à y faire de l’optimisation en toute légalité. Les Français (qui ne peuvent pas aller à Monaco !) savent qu’en la matière les Belges ne sont pas en reste.
Le livre de Michel Maus
Il commence en rappelant ce que tout le monde admet : nous vivons dans un État-providence (soins de santé, éducation scolaire notamment) et pour chacun il est normal de payer des taxes. Nous payons donc beaucoup de taxes, mais dans un pays où nous vivons très bien.
Quoi qu'il en soit la Belgique se situe à la 5e place du palmarès mondial de la fraude fiscale.
Dans le championnat d’Europe de l’argent en noir, les Belges occupent la 5e place, après la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Les pays qui connaissent les problèmes financiers les plus graves : il n’existe pas de meilleure motivation pour réagir, moralise l’auteur.
Bien sûr que ce sont les politiques qui doivent prendre leurs responsabilités. S’ils ne le font pas d’une manière drastique, ce n'est pas nécessairement par un souci d'électoralisme. Ainsi, prendre des mesures trop efficaces contre le travail au noir dans tous les secteurs frapperait immédiatement d’une manière catastrophique deux pans essentiels de notre économie : l’horeca et la construction.
S’agissant de toutes les mesures qu’il passe en revue pour déterminer les voies sur lesquelles les politiques pourraient s’engager, Michel Maus terminera son livre par une phrase devenue célèbre : on peut mener un cheval à la rivière mais on ne peut l’obliger à boire…
Trucs, combines…
Le livre en présente en veux-tu en voilà. Ou il les imagine, ou il cite des extraits de presse.
« Le responsable d’une paroisse expliquait que la vente de cierges se déroulait en noir pour sa majeure partie tandis qu’un prêtre reconnaissait que le produit de la quête lors des enterrements allait directement dans sa poche. »
« L’achat d’une tondeuse à gazon par un jeune consultant en informatique qui avait installé son bureau dans le grenier de ses parents en
échange de la tonte de sa pelouse a été accepté par le tribunal comme un frais professionnel déductible. »
« Si une alarme est fiscalement déductible, pourquoi pas un doberman ou un pitbull ? »
« La déduction des frais de mariage, de communions (…) : si on ne déduit pas l’entièreté des frais mais uniquement les dépenses liées à une liste limitée d’invités à titre commercial, il n’y a dans la plupart des cas pas de problème. »
« Une profession libérale exerçant son activité à domicile ne se gênera sans doute pas pour déduire fiscalement les frais d’installation et
d’entretien et de son allée d’accès. Pour mettre en confiance sa clientèle, il (sic, pensant vraisemblablement à un avocat, qui incarne la profession libérale la plus douée…) doit en effet toujours veiller à ce que ses clients ne soient pas confrontés à un jardin en friche pendant leur consultation. »
[Het Laatse Niews titrait le 17 novembre 2010 : « Les avocats partent skier aux frais du contribuable » (l’explication : quelques orateurs ont été censés faire un exposé professionnel durant ces vacances).]
« Les avocats ne sont pas tétanisés par le fisc lorsqu’il s’agit d’encaisser leurs honoraires.»
« Si l’on démontre que le fait d’être membre d’un club de golf, du Lions club ou d’un club de tennis… a pour conséquence de ramener des
clients, rien en soi n’exclut la déductibilité. »
« Les corps de police et les pompiers fournissent les meilleurs peintres et les meilleurs tapissiers.»
« On peut déplorer, en vertu d’une sorte de sentiment de justice fiscale, que les professions libérales (…) puissent fonder une société
unipersonnelle pour s’éviter de payer des impôts, mais la législation le permet entièrement.»
« Pour la plupart des criminels, le paiement des impôts est précisément la formule par excellence pour blanchir de l’argent sale en le
réinjectant dans l’économie régulière.».
Bons mots, expressions
« Ces gens ne font pas un abus de la législation fiscale mais un usage des failles de cette législation. »
« Un peuple libre n’acquitte que des contributions, un peuple esclave paie des impôts » (un député à l’Assemblée nationale française, en
1789).
« La fraude fiscale est à l’impôt ce que l’ombre est à l’homme (Georges Pompidou). »
« La fraude ancillaire » (les menus travaux de « servante ») : l’administration leur applique le même principe que pour les excès de vitesse :
une tolérance jusqu’à un certain seuil…)
« Once you go black, you never go back » (« Si une fois tu as eu recours au noir, tu ne reviendras jamais en arrière »). L’expression signifie en fait qu’une une femme blanche qui a fait un pas sur le côté avec un homme noir ne pourra plus s’en passer… Le noir prodigue(rait) des satisfactions, sexuelles ou fiscales selon les cas, incomparables.
(1) Michel Maus est avocat expert fiscal. Il enseigne dans trois centres universitaires à Bruxelles et en Flandre. Son livre en français vient de sortir de presse. Édition Corporate Copyright s.a.
René Dislaire