Loin des mosquées, d’Armel Job
En principe, on entre dans un livre par la première phrase de la première page.
En principe, celle-ci doit être géniale de par sa banalité.
En principe, le lecteur se dit qu’il aurait pu l’écrire lui-même.
En principe, un corbillard n’a jamais d’accident.
Ainsi commence le dernier roman d’Armel Job.
Principium, en latin, veut dire : le commencement, l’entrée en matière d’un discours, l’en-tête…
Cette première phrase commence par une lapalissade; elle a l’humour d’un clin d’œil qui invite à entrer dans du grave.
Comme la première, bien des lignes, bien des phrases de Loin des mosquées sont à lire plusieurs fois, pour en saisir l’opportunité, la richesse, l’ambiguïté, l’idonéité. La légèreté et la profondeur.
Au titre du livre Loin des mosquées, on a compris que les héros prendront peu ou prou leurs distances avec l’Islam, sa zone géographique, ses pôles, sa culture, ses traditions.
Pour employer des mots épouvantables et rebattus qui horrifieront sans doute l’auteur autant qu’il nous pèse d’y recourir, le thème du roman apparaît comme étant la problématique de l’intégration des arabes chez nous. Il faudra lire plusieurs pages pour comprendre que ces arabes ne le sont point : ce sont des Turcs. Ce qui en dit long déjà sur les confusions des ignares que nous sommes entre ethnies et religions de nos voisins de palier qu’est la Méditerranée.
Du levant au ponant, tout n’est qu’un Rubic’s cube. Les tons vifs en moins.
Le destin enchevêtre, le destin déboîte, le destin emmêle, le destin débrouille. Conséquent et capricieux. Sophocle aurait aimé : nul ne pourra nous contredire…
Il intéressera peut-être nos lecteurs de l’Est de la Belgique de savoir que l’auteur bastognard a campé son histoire dans deux localités à forte communauté turque. Cologne d’une part. D’autre part une ville francophone d’où l’on navette pour aller travailler à Luxembourg, avec un quartier de la Tannerie, et une rue des Remparts… Bastogne?
Le principe du livre - on s’écarte ici de l’acception ambivalente du début- est un peu celui du Nouveau Testament : quatre personnages vont raconter la même histoire -une histoire d’amour insolite d’un triangulaire qui l’est tout autant- telle qu’ils l’ont vécue chacun selon son point de vue. Dans le Nouveau Testament, les narrateurs, les évangélistes, ne sont pas les vrais auteurs de l’histoire, lequel est en l’occurrence Dieu, dont ils sont les instruments. Ici, les quatre évangélistes ont nom René, Evren, Derya et Yasemin. Dieu, le principe suprême, c’est Armel Job.
L’écrivain écrit ce qu’ont écrit d’autres écrivains. Une histoire en abyme, qui renforce le vertige de quiconque s’y plonge.
Tout roman a un incipit, un début, dont on peut faire usage dans la promo.
Basta, n’y revenons plus.
De la fin du roman jamais on ne peut parler.
Les dernières pages renverseront tout pressentiment qu’aura pu se faire le lecteur. Il se dit et se répète qu’Armel Job nous y a habitués. Soit. Mais une fin imprévue peut-elle appartenir au prévisible ? Le livre ne se terminera d’ailleurs par d’autre point final qu’un point d’interrogation.
Entre le lever et le coucher du soleil, le lecteur est soumis à un feu de morceaux d’anthologie.
En voici quelques échantillons. Pas for amusement only, car ils ne peuvent appartenir qu’à l’histoire dont ils sont les ornements. Des phrases riches de mots et de sens.
- L’amour est la pire illusion du mariage.
- Une fois que le malheur est dans la place, il peut commencer à se rendre intéressant.
- Elle me broyait le cœur comme on écrase un insecte.
- J’avais vingt et un ans. Jusqu’alors, ce que je prenais pour le désir n’était que l’exaspération diffuse que l’autre sexe insinue à nos sens. Je confondais l’appétit et la famine.
Puisque humour il y a même quand le contexte est grave…
Du faux banal ? En voilà ! Le premier protagoniste du roman est un croque-mort. Il s’appelle René. Banal. Un prénom choisi au hasard ? Non point. « Un passeur des morts ne pouvait que s’appeler “rené” du participe de renaître... », nous écrit Armel Job.
L’auteur s’en démarque, toujours est-t-il qu’il impose aux lecteurs de l’Hexagone un douteux calembour qu’aucun, même parisien, ne pourra comprendre. Un entrepreneur de pompes funèbres s’appelle Kerkove. Soit. (Note : cimetière chez les Flamands). La publicité de ce marchand de bières est illustrée d’un cyprès. Soit. Son slogan est « Kerkove… si près ». Là, même Hoegaarden n’y aurait jamais pensé pour ses sous-bock.
René Dislaire
photo
... Derya, la fierté de la maison. Elle avait dix-sept ans. Elle était vive comme le feu. Sous ses sourcils en lames de sabre, ses yeux noirs étincelaient. Mais c’est quand elle sortait, qu’elle passait son voile autour de son visage, qu’elle était la plus belle. Comment peut-on penser que le voile emprisonne la beauté féminine ? Une femme laide masque sa laideur par une coiffure savante. Le voile épure la beauté de la femme belle. Il offre dans un écrin ses traits dépouillés de tout artifice.
Armel Job, Loin des mosquées, page 43