"Witches. Histoires de Sorcières", à l’ "Espace Vanderborght", à Bruxelles, jusqu'au 16 Janvier
« Nous sommes des petites filles de sorcières que vous n’avez pas pu brûler », écrivaient-elles en 1968, alors qu’elles descendaient dans la rue, en manifestant, pour revendiquer la libre disposition de leurs corps.
« Sorcières ! Tremblez, elles sont de retour … », lisons-nous en titre de l’introduction du catalogue. Poursuivant, en page 16 : « Ni vaincues, ni soumises, … ni brûlée. Quand les sorcières renaissent de leurs cendres. »
« Renaître de leurs cendres », de fait, puisqu’ « à partir du XIIIè siècle, ce qui relevait de la superstition (et donc pardonnable) devint progressivement un crime. Dans un contexte plus large de crise politique et d’affirmation du pouvoir pontifical, l’Eglise inaugure un vaste projet de lutte contre les déviations de l’orthodoxie, c’est à dire les hérésies, en se dotant d’une institution spécifiquement dédiée à ce projet, l’Inquisition. Le transfert de la sorcellerie comme hérésie implique explicitement un pacte avec le diable et l’invocation des démons. Dans ce schéma, les sorcier.e.s encourent alors la condamnation au bûcher … » (catalogue, page 58)
« Si la chasse aux sorcières ralentit puis s’arrête officiellement aux XVIIè siècle et XVIIIè siècles, leurs empreintes marquent indéniablement les imaginaires des générations à venir. Les Arts s’emparent des sorcières, les représentent. Elles continuent ainsi de vivre, de peupler nos esprits. Elles sont représentées souvent vieilles et maléfiques sur les gravures, les photographies, dans le théâtre, la danse, l’opéra, les contes de fées ou encore la BD … » (catalogue, page 87).
Présentée par l’ « ULB », à l’ « Espace Vanderborght » – sis à Bruxelles, face aux « Galeries Saint-Hubert » -, l’exposition temporaire « Withches. Histoires de Sorcières », vaut, assurément, le détour, pour quelques jours encore, jusqu’au dimanche 16 janvier.
Conçue par un comité scientifique multidisciplinaire, en co-production avec la Ville de Bruxelles, cette exposition, présentée sur deux étages, rassemble plus de 400 œuvres et objets ethnographiques, issus des collections d’une cinquantaine de musées et galeries.
« L’invisibilisation et la stigmatisation des femmes dans l’Histoire constituent le fil rouge de cette exposition, fruit du travail scientifique rigoureux de l’ ‘ULB’ et scénographiée avec soin par les étudiants de l’ ‘ENSAV – La Cambre’. La figure de sorcière nous questionne sur le sort réservé aux femmes qui dérangent l’ordre établi, qui vivent en dehors des prescrits sociaux, … qui sont libres, tout simplement. Elle nous interpelle de manière frontale sur la place des femmes dans notre société patriarcale. Il n’est jamais trop tôt pour prendre conscience du chemin qui reste à parcourir pour parvenir à l’égalité femmes-hommes et à une justice de genre. Une véritable société démocratique, en somme. Longue vie aux sorcières ! », déclarait Delphine Houba, échevine de la Culture et féministe assumée, à l’occasion de la visite de presse,
Cette exposition vise à établir un dialogue entre les sorcières d’hier et d’aujourd’hui. Grâce à l’art, aux archives, au cinéma, à la danse, à la chanson, à la BD, aux marionnettes, à la performance filmée et à un brin de magie, « Witches. Histoires de Sorcières » questionne la figure de la sorcière, en dessine la cartographie de son imaginaire, de sa représentation à travers les siècles et éprouve sa résonance actuelle.
Parmi les artistes et écrivains exposés notons Evelyne Axell (1935-1972), Pierre Brueghel l’Ancien (vers 1525-1569), Francisco de Goya (José de Goya y Lucientes/1746-1828), James Ensor (1860-1949), Victor Hugo (1802-1885), Armand Rassenfosse (1862-1934), Félicien Rops (1833-1898), Jean-Claude Servais (°Liège/1956), David Teniers II (1610-1690), Antoine Wiertz (1805-1866), mais, également, nous trouvons des enluminures du Moyen Âge, des planches d’images d’Epinal, des marionnettes, trois géants aux effigies de sorcières, des vidéos, un corbeau empaillé, une grenouille dans du formol, une paire d’entraves, un chaudron, des archives de procès en sorcellerie, un montage d’extraits de films (réservés aux adultes), du matériel de voyantes, des photographies, des BD que l’on peut compulser, …
En page 118 du catalogue, nous lisons : « La figure de la sorcière focalise l’imaginaire cinématographique occidental dès l’invention de l’industrie du cinéma. Marqué par la culture foraine, ‘Chez la Sorcière’ (1901) est l’un des premiers courts métrages réalisés par Georges Méliès (1861-1938/ndlr), consacré à cette figure maléfique. Il adopte une iconographie souvent commune chez les illustrateurs européens pour représenter un personnage omniprésent dans les contes de fée de Charles Perrault (1628-1703/ndlr) et des frères Grimm (Jacob 1785-1863 & Wilhlem 1786-1859/ndlr). Vieille, rabougrie, armée d’un bâton, coiffée d’un châle ou d’un chapeau à large bord et en guenilles sombres. Premier grand film d’animation mettant en scène une sorcière, le conte ‘Blanche Neige et les sept Nains’ (1937) de Walt Disney (1901-1966/ndlr) universalise le stéréotype. »
Si un certain nombre de gravures et peintures de l’artiste plasticien namurois Félicien Rops – dont « L’ Incantation », prêtée par le « Musée provincial Félicien Rops » – sont exposées, nous notons que le cinéaste Thierry Zeno (°Namur/1950) est cité, pour avoir réalisé le film « Les Muses sataniques » (1983), inspiré de l’oeuvre de Rops.
Dans un genre fort différent, les 254 épisodes télévisés de 25′ de « Ma Sorcière bien aimée » sont cités, cette amusante sorcière, Samantha (Elisabeth Montgomery), nous changeant totalement de le représentation habituelle des sorcières.
Toujours dans le registre de l’amusement – outre l’exposition d’un jeu de l’oie original et de marionnettes prêtées par le « Musée des Arts de la Marionnette » de Tournai, -, une petite section est consacrée à la place des sorcières dans nos carnavals européens, comme, à Vielsam, une Ville réputée pour son « Sabbat des Macrales ».
Selon la tradition, notons que leurs balais servent à chasser symboliquement l’hiver et les démons, leur présence ne pouvant être que bénéfique, puisqu’au Moyen-Âge, leur fonction initiale était de guérir, comme nous le précise le catalogue, en page 126. Néanmoins, quelques lignes plus loin, nous lisons : « Les sorcières dans les carnavals peuvent également être associées aux forces démoniaques et néfastes … (Leur) personnage est alors affublé de toutes les fautes de la communauté, jugé et condamné à mort … »
Moins amusante que l’ambiance des carnavals, au second étage, nous sommes mis dans celle d’un monde de démence, avec la copie d’une eau-forte de Paul Marie Louis Pierre Richer (1849-1933), anatomiste, historien de la médecine, illustrateur, neurologue et sculpteur français, élève de l’académicien, neurologue français Jean-Martin Charcot (1825-1893), découvreur d’une maladie neurodégénérative, à laquelle nom, « maladie de Charcot », a été donné dans la littérature médicale francophone.
En 1881, Paul Richer publia ses « Etudes cliniques sur l’Hystéro-Epilepsie ou grande Hystérie », une maladie causée par le stress et diagnostiquée spécifiquement chez les femmes, ce qu’il illustra, en 1885, par une eau-forte, illustrant une crise mixte hystéro-épileptique, avec révulsion oculaire, protrusion de la langue et posture dystonique asymétrique, mettant en scène un aspect démoniaque sexualisé.
Un autre médecin, germano-suisse – dont le nom est cité, en 1965, dans la série télévisuelle française « Belphégor ou le Fantôme du Louvre », également astrologue, astronome, chimiste, écrivain, aturaliste, pharmacien, philosophe et théologien -, Paracelse (ou Paracelsus/né Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim/1493-1541), écrivit, ce qui n’engageait que lui : « rien n’irrite plus un homme qu’une femme qui danse », … cette citation n’ayant pas n’empêché nombre de médecins humanistes de reconnaître l’intérêt de nombreux remèdes paracelsiens issus du monde minéral, à condition qu’ils soient préparés par des procédures chimiques, prouvant que beaucoup de maladies mentales peuvent être traitées avec des remèdes spécifiques.
Ainsi, en page 80 du catalogue, nous lisons, ce que certains pensaient au XVIIè siècle : « Femme et mouvement sont associés dans la négativité. Les qualités de mouvement exigées pour la femme par les traités de danse et de bienséance … sont la modestie, la mesure, la gravité et la retenue, signes extérieurs de la vertu intérieure, selon les règles disciplinaires d’origine monastique … Au contraire le mouvement excessif, décomposé, convulsif et incontrôlé est symptôme du prévaloir de la nature animale, et est souvent associé à une forme spécifique de folie féminine … Selon Platon (428/427 – 348-347 avant notre ère/ndlr) l’utérus (du grec ancien ‘hustera’, racine d’hystérie) est un animal qui a une vie autonome à l’intérieur du corps féminin et qui se nourrit de l’assouvissement sexuel … »
Aussi, bien davantage que d’évoquer les sorcières de toutes époques, cette exposition démontre le combat que, même dans nos pays occidentaux, les femmes ont dû – et doivent toujours – mener, pour être reconnues comme étant égales aux hommes, ne fut-ce que sur le plan salarial, sans oublier la fin des violences sexuelles et conjugales, alors que, dans certains pays, il est toujours besoin de revendiquer le droit à l’avortement, de pouvoir disposer librement de son corps, pourquoi pas entre femmes, …
A noter que si nous voulons lire tous les textes et regarder toutes les vidéos, nous pouvons planifier au minimum trois heures, pour découvrir l’ensemble de cette intéressante exposition. Aussi, afin d’approfondir le sujet, il est vivement conseillé d’acheter le catalogue, abondamment illustré, proposé au prix abordable de 24€.
Ouverture : jusqu’au dimanche 16 janvier, du mercredi au lundi, de 10 à 18h. Prix d’entrée : 12€ (9€, pour les seniors / 8€, pour les étudiants / 30€, pour un pack famille, composé de deux adultes et de deux jeunes). Préventes : http://www.visitbrussels.be. Catalogue (Ed. de l’ « Université de Bruxelles »/18 auteurs/broché/208 p.) : 24€. Obligation sanitaire : port d’un masque buccal (dès 06 ans).
Yves Calbert.