"James Ensor. Inspired by Brussels", à la "KBR", jusqu'au 02 Juin
« Je devins rapidement un révolutionnaire détestant instinctivement la forme trop correcte et la blancheur immaculée des plâtres académiques … » (letre de James Ensor {James Sidney Edouard Ensor/1860-1949} à l’écrivain belge Pol de Mont {1857-1931}).
Fruit d’une collaboration entre les « MRBAB » (« Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique ») et la « KBR » (« Koninklijke Bibliotheek-Bibliothèque royale »), c’est au sein de cette dernière institution que se poursuit, pour une dizaine de jours, jusqu’au dimanche 02 juin, l’intéressante exposition « James Ensor. Inspired by Brussels ».
Alors que le dimanche 14 avril, les portes se refermaient, dans sa ville natale, Oostende, sur l’exposition « Rose, Rose, Rose à mes Yeux. James Ensor et la Nature morte en Belgique, de 1830 à 1930 », que nous présentait le « Mu.ZEE, Musée Art-sur-Mer », à Bruxelles, au « Palais des Beaux-Arts » (« Bozar »), se poursuit, jusqu’au dimanche 23 juin, l’exposition « James Ensor. Maestro », l’an 2024 ayant été décrété « Année Ensor », à l’occasion du 75è anniversaire du décès de l’artiste ostendais (1860-1949).
« James Ensor, Inspired by Brussels » nous permet d’apprécier, pour ce 75ème anniversaire, 75 de ses oeuvres : 18 peintures, 24 dessins et 33 estampes, « sorties des riches collections, remontant aux années 1890, de la « KBR » et des « MRBAB », qui furent les premières institutions publiques à acquérir des œuvres de James Ensor. Ils en possèdent, au total, plus de 200.
Si cette exposition bénéficie, aussi, de quelques prêts de collections privées belges, nous apprécions que certaines estampes nous soient présentées avec leurs dessins de conception, ainsi que leurs formes d’impression, ce qui nous permet de découvrir un aperçu exceptionnel du processus créatif de cet artiste. Nous pourrons, ainsi, admirer des œuvres inédites du maître et découvrir des aspects moins connus de son travail. Par exemple, la présente exposition offre une occasion rare de découvrir un grand nombre de ses dessins, ceci étant exceptionnel, l’œuvre dessinée de James Ensor étant rarement exposée, en raison de sa grande fragilité.
A noter qu’en 1977, cette collection presque complète d’œuvres graphiques de l’artiste ostendais s’est enrichie de 16 plaques d’impression originales. Mais la « KBR » n’en reste pas là, continuant à enrichir sa collection, l’acquisition la plus récente étant « Le Torse de Laocoön » (1878/820 x 580 mm), un dessin réalisé, à 18 ans, à l’occasion d’un concours de l’ « Académie des Arts de la Ville de Bruxelles ». Troisième de sa classe, ce dessin fit écrire à Daan van Heesch, conservateur du « Cabinet des Estampes » de la « KBR » : “Le dessin se distingue des autres œuvres, réalisées à l’Académie par James Ensor, par sa rareté exceptionnelle en tant que dessin de concours“.
De leur côté, les « Musées des Beaux-Arts de Belgique » ont acquis un dessin à la craie d’une vingtaine de centimètres de hauteur, intitulé, tout simplement, “Napoléon” (années 1910-1920), s’inspirant d’ ”Une Scène de l’Enfer” (1864), un tableau de l’artiste dinantais Antoine Wiertz (1806-1865), les « MRBAB » notant : “Le lien entre James Ensor et Antoine Wiertz, leur goût commun pour l’excentricité, l’humour et le colorisme, mais aussi leur attirance pour le macabre ou pour la figure de Napoléon Bonaparte, confèrent à cette acquisition un caractère tout particulier“.
Dès 1892, le « Cabinet des Estampes » de la « Bibliothèque royale » achetait 25 eaux-fortes. James Ensor était un habitué des lieux, y étudiant l’œuvre gravé de Rembrandt (Rembrandt Harmenszoon van Rijn/1606-1669). Ainsi, dans son dessin « Satan et les Légions fantastiques tourmentant le Crucifié » (1887/613 x 758 mm), nous retrouvons la charge dramatique et les contrastes entre la lumière et l’obscurité des compositions du maître hollandais.
« Satan et les Légions fantastiques tourmentant le Crucifié » (James Ensor/1886) © « MRBAB »
Soulignons que si, tout jeune, James Ensor fit ses premiers pas dans le dessin, durant une seule année académique, à Oostende, à la « KaZ » (« Kunstacademie aan Zee »), fondée en 1820, il arriva à Bruxelles, dès octobre 1877, à l’âge de 17 ans, intégrant, durant trois ans, l’ « Académie royale des Beaux-Arts » – « cette boîte à myopes », déclara-t-il à sa sortie, en 1880, alors même qu’en peintures, il finissait souvent … dernier -, où il côtoya Willy Finch (Alfred Guillaume Finch/1854-1930), Fernand Khnopff (1858-921) & Théo van Rysselberghe (1862-1926), avec qui, il fera partie du « Groupe des XX », fondé en 1883, dont les artistes exposèrent, dès 1887, dans les magnifiques salles du Palais de Charles de Lorraine, édifié en 1760, que certaines oeuvres retrouvent, actuellement, dans le cadre de « James Ensor, Inspired by Brussels ».»
C’est l’occasion de signaler qu’à l’époque, ce Palais abritait le « Musée d’Art moderne », lieu de rencontre, par excellence, de l’avant-garde au XIXè siècle, qui accueillit différents cercles artistiques, tels que « Le Groupe des XX », déjà cité, et « La libre Esthétique », qui lui succéda , de 1894 à 1914.
Sa présence à Bruxelles justifie le titre anglais de cette expo : « Inspired par Brussels », alors qu’il s’était installé, à 17 ans, dans une chambre d’étudiant, au N° 12 de la rue Saint-Jean, proche de l’actuel Mont des Arts. Fréquentant cabarets, cafés, galeries d’art, musées, restaurants, théâtres, … James Ensor découvrit de nouvelles idées, nouant des contacts importants et se faisant des amis pour la vie.
C’est à Bruxelles que James Ensor s’initia au réalisme, un mouvement artistique international qui donne de l’importance aux gens ordinaires, ce réalisme social étant tout le contraire de ce qu’il avait appris à l’académie. Peu après ce passage aux études, ce jeune artiste peint « Le Lampiste » (1880), qui, acquis, par les « MRBAB », en 1895, nous montre un garçon de la classe ouvrière entretenant des lampes à l’huile. Ainsi, contestant l’art académique, James Ensor s’illustre dans le réalisme social, critiquant la société bourgeoise et l’Eglise, ce tableau étant exposé dans le Palais de Charles de Lorraine,
Dans l’accueillante rotonde – devant laquelle, autrefois, les calèches déposaient les résidents et les invités du « Palais de Charles de Loraine », édifié en 1760 -, des extraits de films de la Ville de Bruxelles, à la « Belle Epoque », sont projetés par la « Cinematek » (« Cinémathèque royale de Belgique »), réalisés par Auguste (1862-1954) et Louis (1864-1948) Lumière, qui, en 1895, organisèrent, au « Grand Café », à Paris, la première projection cinématographique mondiale, avec « La sortie des Ouvriers de l’Usine Lumière ».
A regarder ces images de la place de Brouckère, de la Cathédrale, de la Grand’Place, …, l’on croit entendre Jacques Brel (1929-1978) : « C’était au temps où Bruxelles rêvait / C’était au temps du cinéma muet / C’était au temps où Bruxelles chantait / C’était au temps où Bruxelles bruxellait … » (« Bruxelles »/1962).
… Ceci pour nous rappeler à quel point Bruxelles a contribué à façonner le langage imagé et distinctif de James Ensor, un immense plan de la capitale, nous montrant la situation de 12 lieux qui furent fréquentés par l’artiste ostendais (« Académie », les appartements successifs de sa famille, la première Galerie d’Art {« Dietrich & Cie »} à avoir accueilli – en 1891 – une exposition personnelle, la maison familiale des Rousseau, le magasin où il achetait son matériel de peintre, la « Manufacture royale des Tapis de Turnay » où – en 1894 – fut oganisée sa première rétrospective, …
Prouvant son attachement à notre capitale, il écrivit, en 1887, à son ami Ernest Rousseau : « Il est probable que je n’irai pas à Bruxelles, car quand j’y suis, j’y reste et après , il faut beaucoup d’efforts pour me remettre à travailler. »
Signalons, aussi, la présence d’une reproduction de « L’Entrée du Christ à Bruxelles » (1888/258 × 430 cm), son œuvre la plus réputée, qui, ayant traversé l’Atlantique, intégra les collections du « Musée Getty », à Los Angeles, cette peinture nous montrant le Christ (7 avant notre ère-an 33), assis sur un âne, entrant dans notre capitale, la banderole « Vive la Sociale » donnant à cette scène de liesse populaire un air de marche de protestation.
Le dessin « La Belgique au XIXè siècle » (1889/1890) constitue une autre satire politique, des plus provocantes. De fait, ici, le roi Léopold II (1835-1909) regardant son peuple de haut, la rue étant le théâtre d’une manifestation, réprimée par les gendarmes, pour le suffrage universel et l’enseignement obligatoire. Un regard critique sur l’actualité politique d’une manière aussi pointue que ludique.
D’un dessin réalisé à la pointe sèche – James Ensor s’y représentant comme un scarabée, avec Mariette Rousseau , une libellule -, « Insectes singuliers » (1888), Vanessa Braekeveld, l’une des commissaires, écrit : » J’aurais aimé être moi-même une mouche pour sentir la tension qui devait y être palpable. Cette gravure est un petit chef-d’œuvre
C’est après son passage à l’Académie, que James Ensor passa beaucoup de temps avec son ami etterbekois, peintre & poète, Théo Hannon (Théodore Hannon/1851-1916), qui l’introduisit, non seulement dans les milieux artistiques d’avant-garde, mais aussi auprès de sa sœur, biologiste, Mariette et de son beau-frère, professeur de physique, Ernest Rousseau (1831-1908), professeur à l’ « ULB ». Ainsi commença une longue et profonde amitié, l’artiste ostendais se sentant tout à fait chez lui dans la famille Rousseau – qui lui acheta plusieurs oeuvres -, leur maison d’Ixelles étant devenue un lieu de rencontres pour de nombreux intellectuels, artistes & scientifiques.
Avec ses masques, ses couleurs vives et son atmosphère, « Les Masques singuliers » (1892/100 x 80 mm) sont on ne peut plus représentatifs de l’œuvre de James Ensor, ses marionnettes de chiffon carnavalesques nous rapellant les divertissements populaires, tels que l’artiste lui-même a dû en être témoin lors de son séjour à Bruxelles, Davy Depelchin ayant écrit : « Le décor médiéval imaginaire fait le lien avec l’œuvre littéraire d’un ami de James Ensor, l’écrivain molenbeekois Eugène Demolder. La performance est également intrigante et énigmatique. La mascarade et la palette de couleurs empruntées aux impressionnistes détournent l’attention de l’intrigue évoquée par la scène. Le regard inquiet de Pierrot vers les gardes de la ville en uniforme qui passent dans les rues suggère que les masques ont quelque chose à craindre. Ont-ils commis un crime ? Qu’est-il arrivé au violoniste étendu sur le sol ? »
Une autre peinture attire notre attention : « Les Masques scandalisés ». C’était la première fois, en 1883, que l’artiste ostendais incorporait des masques dans l’une de ses créations.
Les squelettes étant un autre sujet de prédilection, propre à l’artiste, comment ne pas évoquer, également, « Squelettes se disputant un Hareng saur » (1891/160 x 25 mm), une peinture emblématique de James Ensor figurant parmi les oeuvres à (re)découvrir au sein de cette bien belle exposition. dont la scénographie nous permet de prendre connaissance de quelques-unes de ses citations, reproduites sur les murs, avec des copies de sa propre écriture. »
A noter la présence d’une sélection de documents d’époque, comme des affiches de salons et des courriers que l’artiste échangea avec ses correspondants.
Fait Baron, par le roi Albert 1er (1875-1934), en 1929, James Ensor, très critique envers l’Église, comme il l’était envers la condition humaine, sur laquelle il pose un regard sombre : « l’humain est vaniteux et le monde absurde », écrivit-il. Ainsi, le peintre français André Masson (1896-1987) confia : « James Ensor était considéré comme un dément par son époque » (« Entretiens avec Georges Charbonnier »/Ed. « René Julliard »/Paris/1958/p. 36), l’artiste, lui-même, ayant déclaré : « Mes concitoyens, d’éminence molluqueuse, m’accablent. On m’injurie, on m’insulte : je suis fou, je suis sot, je suis méchant, mauvais … »
Au roi Léopold II, qui, découvrant ses oeuvres, lui demanda : « Que représentent ces tableaux ? », James Ensor répondit : « Ces tableaux, ce sont des symphonies ».
Dans la dernière salle du « Palais de Charles de Lorraine », outre une pointe sèche – « Les 3 Croix » (1653), de Rembrandt, nous trouvons des eaux-fortes, et trois plaques de cuivre, de James Ensor, qui appréciait pouvoir diffuser son art à des prix plus abordables, touchant, ainsi, un plus large public.
Aussi, à Ernest Rousseau, il écrivit, en 1892 : « Une nouvelle agréable : mes eaux-fortes sont acquise par le ‘Musée des Estampes’. Allez-y ou envoyez quelqu’un … Ne l’oubliez pas SVP, car je suis très impatient. »
De retour dans les locaux de la « KBR », nous terminons notre visite avec la découverte des rues et édifices de Bruxelles, croqués par James Ensor, l’ultime tableau présenté étant une copie (2008) de « L’Entrée du Christ à Bruxelles » (1888/258 × 430 cm), une œuvre particulièrement réputée, dont l’original, ayant traversé l’Atlantique, intégra les collections du « Musée Getty », à Los Angeles, cette peinture nous montrant le Christ (7 avant notre ère-an 33), assis sur un âne, entrant dans notre capitale, la banderole « Vive la Sociale » donnant à cette scène de liesse populaire un air de marche de protestation. Lui faisant face, nous découvrons une eau-forte éponyme, de dimensions nettement plus réduites.
Commissariat : Vanessa Braekeveld, responsable des expositions temporaires de la « KBR » et Daan van Heesch, responsable du « Cabinet des Estampes » de la « KBR ».
« J’ai donné un style très libre, le beau style de peintre, style reflétant mes mépris, mes joies, mes peines, mes amours : style de rappel harmonieux, style musical, style sonore, style de plume et de pinceau et mes masques sont venus d’ici et de la mer » (James Ensor).
Ouverture : jusqu’au dimanche 02 juin, du mardi au dimanche, de 10h à 17h. Prix d’entrée : 15€ (11€, dès 65 ans, étudiants dès 18 ans & par membre d’un groupe de minimum 15 personnes / 0€, pour les moins de 18 ans, pour les demandeurs d’emploi, pour les PMR & un.e acompagnateur.trice). Livre-Catalogue (« Ensor et Bruxelles »/Davy Depelchin, Daan van Heesch & Sarah Van Ooteghem/Ed. « Fonds Mercator »/2024/216 p.) : 35€. Contacts : 02/519.53.11. Site web & réservation en ligne : https://www.kbr.be/fr/evenement/expo-ensor/.
** Deux dernières animations programmées :
- « Concert de Midi », le vendredi 24 mai : avec Alexandra Cooreman, une violoniste belgo-polonaise.
- « Speakeasy speaks Ensor ! », le dimanche 02 juin : à la découverte du monde imaginaire de James Ensor
** « Crowdfunding » (jusqu’au dimanche 02 juin) :
Outre ses peintures, estampes et dessins, nous pourrons admirer un objet un peu particulier, appartenant aux collections des « MRBAB ». Il s’agit d’un album, témoin inédit d’une correspondance de James Ensor avec la famille Rousseau, avec sa grande amie Mariette Rousseau (Marie-Sophie Hannon/1850-1926) en particulier, cet album illustrant la créativité de l’artiste, déployée dans un contexte plus intime.
N’ayant plus été exposé depuis 2009-2010, au « MoMA », à New York, et au « Musée d’Orsay », à Paris, devenu particulièrement fragile, cet album – qui n’avait plus été exposé depuis 2009-2010, doit être restauré en profondeur. Ainsi, la reliure s’est décollée et le papier sur lequel sont collés les dessins, ainsi que les lettres s’est détérioré. Ouvert sur une seule page, il nous est proposé grâce à l’application de mesures préventives. Par ailleurs, grâce à un dispositif numérique, nous pouvons découvrir, sur un bel écran, les autres dessins de cet album exceptionnel.
Libre à nous de participer à ce « crowdfunding ». Pour plus d’infos, rendons-nous sur le site web : https://fine-arts-museum.be/fr/actualites/crowdfunding-pour-la-restaurat....
** Autre exposition consacrée à cet artiste, à Bruxelles :
- « James Ensor. Maestro », au « Palais des Beaux-Arts » (« Bozar »), jusqu’au dimanche 23 juin.
** A découvrir à Oostende :
- « Maison de James Ensor », au n° 29 de Vlaanderenstraat. Contacts : info@jamesensorhuis.be.
** Autres expositions de peintures, au sein de la Capitale européenne :
- « Histoire de ne pas rire. Le Surréalisme en Belgique », à « Bozar », jusqu’au dimanche 16 juin.
- « Imagine », aux « MRBAB », jusqu’au dimanche 21 juillet.
- « Magritte-Folon, la Fabrique poétique », au « Musée Magritte », jusqu’au dimanche 21 juillet.
- « Folon insolite », à la « Maison Autrique », à Schaerbeek, jusqu’au dimanche 29 septembre.
Yves Calbert.