Houffalize. Le Juge de Paix n’aimait pas la musique

écrit par ReneDislaire
le 26/09/2022

Houffalize. Le Juge de Paix n’aimait pas la musique.
Un article très sérieux au départ, qui a tourné en canular

Prologue

Nous avons terminé notre précédent article (à suivre), par un hommage à tous les Houffalois qui ont rebâti leur ville après l'Offensive  et nous l'ont transmise, éreintés :
"Nous les Bordjeus, nous sommes leurs enfants et petits-enfants.
"Descendants de héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres.
"Ils nous ont instruits de ce que le monde ne s'était pas effondré.
"Or, jamais ils n’ont été honorés, célébrés par un titre ou une médaille" (à suivre)"

Le raisonnement
La suite logique était bien sûr l’octroi d’un titre ou d’une médaille à tous ces braves.
1. La feue Harmonie Royale les Bords de l’Ourthe, fondée en 1829 ( † dans les années 1970) société populaire de musique, ne s’est jamais composée que de travailleurs manuels bordjeus bien enracinés.
C’était salopette en semaine y compris le samedi, et costume/cravate souliers vernis le dimanche pour faire de la musique aux bords de l’Ourthe.
2. La commune cherche un nom pour le bâtiment de l’ex-justice de paix, qu’elle destine aux arts.
3. Voici l’occasion d’honorer durablement la feue Harmonie, au travers de la cinquantaine de ses excellents rebâtisseurs excellant en même temps dans l’art de la musique, l’art majeur (ce mot vient des Muses en mythologie).
À qui mieux qu’à la feue Harmonie Royale Les Bords de l’Ourthe,  qui pour la cause symbolisera tous les travailleurs du bâtiment, attribuer le patronage du lieu où souffleront dorénavant les muses ?  
Il y a là une opportunité évidente à saisir : « Les Bords de l’Ourthe » un beau nom à double sens : le physique, et le métaphysique (ce qui est au-delà du physique).
4. Couac. La décision de donner comme nouveau nom à la Justice de paix, celui de Justice de paix, aurait été prise (c’est tellement incroyable que nous conjuguons ce verbe au conditionnel). Le juge y était, le juge y reste : les décideurs ont décidé que le juge n’aimait pas la musique.

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Fin du prologue
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Les travailleurs des bords de l’Ourthe
Est-ce prendre trop de liberté que de dire que la masse laborieuse des Houffalois dans la construction, égrenée sur un siècle et demi, peut s’incarner dans le concept au sens large de l'Harmonie  "Les Bords de l’Ourthe » ?
Le Houffalize qui partageait ses doigts râpeux entre des manches d’outils et les touches de cuivres ou de bois ? L’art de la musique populaire pour son plaisir autant qu'assumant une mission sociale, dans une communauté peu alphabétisée ?.

Cette société fut fondée en 1829, donc avant que la Belgique existe, avant que l'instruction scolaire existe.
Les fondateurs se sont donné un nom génial : « L’Harmonie les Bords de l’Ourthe ». Ils furent des centaines à s'être succédé jusqu'à son extinction, en même temps que l'usage courant du wallon, leur langue, dans les années 1970.

Regardez-en une des photos classiques 

Vous distinguerez Willy Martin, Jules Darte, cultivateur, Jean et Fernand Dislaire, le chef de musique Jean Dislaire, Louis Bazar, Charlot Lesage, Constant Dislaire, le Momo Dubru, père de Marie,  Fernand Dislaire, la grosse caisse Guillaume, oncle de Léon Depierreux, et derrière, Joseph Depiereux son beau- frère (père de Léon et Alain), Albert Adam, oncle de Jean-Jacques, le fils de Prosper Martini, Raymondo Martini, frère de Roger et Alberto, le frère d’André Volvert, Edmond Wathelet, dit le grand Monmon avec son saxophone, Oscar Georges, Auguste Pirotte de la rue Chéravoie, avec son bombardon dans l’oreille de Jean Hastir, menuisier à Nadrin, Wathelet Léon (dit Billy), Joseph Adam, porte-drapeau, Willy Lamy, Henri Adam, Henri Depiereux, André frère de Léon, René Charles, puis  les trois trombones à coulisse Léon Dubru, chauffeur du tram,  Ghislain Danloy, X, Constant Dechâteau de Saint-Roch, Fernand Lamy, clarinette, X, Lucien Dislaire, René  Verheggen, messager, Jean Gatez, peintre, de la Chéravoie. Et moi, di-st-i Maurice Goerens. Et le saxo Lejeune.Tous hommes de métier dans la construction ou domaines annexes.
Avec ces noms nous remontent à la surface les compagnons qui faisaient concorde dans leurs durs travaux. Les tout aussi purs bordjeus Auguste Fraiture, Georges Dubé, Ludo Collin, Fernand Desset, Justin Dubru, Arthur Danloy, Louis Crins, Arsène Schluntz, Joseph Fudvoye, Georges Martin,  Fernand Simon… Et les René Jacqmin, Georges Dislaire, Léon Fudvoye, rentrés des camps des Prisonniers de guerre.

"Les Bords de l'Ourthe", notre musique…

… qui fit escorte aux processions et dont les notes graves et lentes du Lauda Sion ont colmaté chaque année les murailles séculaires du soubassement de l'ancienne rue du Haut-Pont. C'était à la Ville Basse, en face de la quincaillerie Mathurin.

… qui suivit le cours de l'eau avenue de la Gare, faisant une halte là où va se présenter le pont Lanham "de la route de Liège". Et ce sera pour reprendre dans la joie et avec entrain "Vieux Camarade" aux sonorités de l'Oktoberfest, dont frémissent encore les feuilles du lierre grimpant sur l'abrupte paroi schisteuse soutenant Ste-Anne.

… qui dans l'entre-saison, à la retraite aux flambeaux, enjoya les cramignons d'éphémères "galants et galantes" munis d'une lanterne à bougie chinoise chamarrée. Spectacle maboul de boules rondes en zigzags tout en ondulation entre l'église et la Villa.

C'était cela, l'Harmonie royale Les Bords de l'Ourthe.
Qui ne l’aura pas vu aura été privé d'une des plus pures émotions qu'il fût donné à vivre dans la cité de Thierry et Ramilphus.

Qui reste-t-il, que reste-t-il?
Sont-ils trois ou quatre cents Bordjeus à qui un âge avancé a permis d’être encore dépositaires de la nostalgie de ces moments heureux ? Ils sont répartis çà et là, où la vie les a conduits. Ou demeurés cloisonnés dans leur ville, parfois entre un fauteuil et un lit.
Parmi ces aînés, nombreux sont-ils à l’écart des nouvelles technologies de la communication. Les manettes du temps qui passe sont pour eux interdites.

Ah ! S’ils avaient pu, les aînés ! Être mis au courant et disposer de moyens de se faitre entendre! 
Ils en auraient rêvé de s’éteindre en sachant que leurs successeurs portant le titre de Bordjeus fiers, forts, fidèles ont pérennisé leur fugace bien immatériel dans un nom qui aurait pris le relais de celui de la Justice de Paix.
Autrement dit, si le bâtiment de l’ex-Justice de Paix avait pour l’avenir l’enseigne de « Les Bords de l’Ourthe »
Pour abriter, car c’est bien l’affectation publique promise à cet immeuble, l’art.  L’imagination, la création au pouvoir.

Les bords de l’Ourthe

La maison des Muses propriété des Houffalois aurait pu porter le nom de nos aïeux qui ont fait résonner l’écrin de l’Ourthe durant cent cinquante ans. Un nom en relation avec ce sanctuaire culturel qu’on a promis prestigieux.  

L’alternative sera les âcres odeurs du code civil demeurées en suspens entre tous les murs, la réminiscence des angoisses des couples qui se sont déchirés, de la raideur des créanciers intransigeants, de l’intolérance des voisins revêches, de la crucifixion d’ainsi nommés par la loi handicapés mentaux, de la détresse de guignards à l’os et autres blédars casos.

C’est ainsi que les hommes vivent.

René Dislaire © Houffalize, le 26 septembre 2022

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Fin de l'article
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Post scriptum

Vieux camarade. Alte Kameraden.  Marche allègre allemande jouée en bien des circonstances, des joyeux banquets aux enterrements. Ecoutez-la sur Youtube, vous réentendrez « Les Bords de l’Ourthe » des concerts sur le kiosque ou en promenade dans votre jeunesse.
Elle fut créée en 1889 à Ulm, la ville natale d’Einstein.

Vieux Camarade. Anecdote houffaloise.
Il s’agit d’une marche allemande pur jus, impossible de se tromper.
Dans l’immédiat après-guerre, dans Houffalize la sinistrée, l’endeuillée, il fut évidement question, chez les musiciens, de savoir si cette marche allait rester à leur répertoire.
Il ne fallut guère de palabres pour que la position du chef de musique soit partagée : « c’était un beau morceau de musique avant la guerre, pourquoi ne le serait-il plus après ? »

« Les Bords de l’Ourthe »
1. Philologie, morphologie. Nous l’avons écrit, cette expression qui est née dans un public peu cultivé, sous l’époque hollandaise, est géniale (90 pour cent des gens ne parlaient que le wallon).
C’est une trouvaille qui pourrait être analysée sur des pages par un philologue.
Quatre pieds, deux par deux, accent tonique chaque fois sur le deuxième. Le tiers d’un alexandrin parfait. 
Une prosodie remarquable.
Victor Hugo avait 27 ans…
Quatre pieds comportant quatre consonnes liquides, deux paires dans le même ordre. Pour ceux qui ont fait du grec : lambda et rhô, les deux consonnes les plus liquides des quatre que comporte l’alphabet grec.
Cet auteur devait être oulipien bien avant l’existence de ce mouvement au milieu du XXe siècle : quatre consonnes liquides pour parler d’un cours d’eau !

2. Un lieu unique. Bien sûr qu’on ne peut parler de bords de l’Ourthe que le long des deux rivières portant ce nom.
Après recherches, nous avons constaté que cette expression n’existe nulle part ailleurs. Nous avons retrouvé « les bords de l’Ourthe », nom d’une société dont l’objet est difficilement identifiable, qui serait caduque depuis une cinquantaine d’années.
C’est important de choisir un nom qui n’est pas protégé.
Si vraiment « Justice de paix » est retenu, il s’agit d’un service public judicaire, où on dit ce qu’est la loi, et on  peut se demander  si c’est bien légal…
Un lieu unique que « les bords de l’Ourthe », alors que des "justice de paix" il doit y en avoir des centaines en Europe. Et seule celle de Houffalize pourrait être considérée comme faux et usage de faux (rires)
3. Le mot « Ourthe » est devenu tendance. En 1829,   combien de  Houffalois connaissaient ce nom ? En tout cas, il y a 70 ans, presque personne : c’était la « grande èwe » en wallon, la rivière en français. Phénomène fréquent dans les petites villes à l'époque d'une certaine autharcie: ça sert à quoi de connaître le nom du cours d'eau qui passe? 
Puis il y a eu « Ol fosse d'Outh » dans les années 70, sous le maïorat de Charles Mathurin : c’est la première fois que nous lisions et entendions ce nom, déniché dans le cadastre.
Dans les dernières décennies, le nom a eu la vogue à Houffalize : parc naturel, organisme de tourisme, centre de vacances sportives, nom d’une résidence pour seniors, et récemment cabinet vétérinaire.
Donner le nom de « Les Bords de l’Ourthe » dans un lieu à haute visibilité renforcerait l’identité de la ville, tant pour ses habitants que pour les touristes. Surtout depuis que le pré du Lion est aménagé, il ne faut jamais rater une occasion d'associer  "Houffalize et Ourthe".
R. D. ​©
 

 

  • XIXe s. Coll. pr.
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