"Europalia Georgia" : "L'Avant-Garde en Géorgie 1900-1936", à "Bozar", jusqu'au 14 Janvier

écrit par YvesCalbert
le 28/10/2023

Au lendemain d’une ouverture officiellehonorée par la présence de la Reine Mathilde et du Roi Philippe,  le  jeudi 05 octobre, s’ouvrait, au public, la première exposition d’ « Europalia Georgia »« L’Avant-Garde en Géorgie 1900-1936 », nous attendant jusqu’au dimanche 14 janvier 2024, à Bruxelles, au « Palais des Beaux-Arts »  (« Bozar »).

C’est en 1918, à la suite de la chute de l’Empire russe et de la révolution d’Octobre, dans un contexte mondial tourmenté, que la Géorgie proclama son indépendance, cette parenthèse enchantée s’achevant en 1921, avec l’invasion soviétique. Néanmoins, en trois trop courtes années, une foisonnante et inspirante création d’avant-garde s’était déployée.

« Il était très important pour l’avant-garde géorgienne non seulement d’étudier l’art et de construire des institutions pour faire des recherches sur l’art, mais aussi de l’utiliser comme méthode dans leurs pratiques très avant-gardistes . C’est ce qui rend l’avant-garde géorgienne très exceptionnelle, avec ce lien entre le passé, le futur et les traditions », explique Irine Jorjadze, l’une des commissaires de l’exposition.

Voici donc une intéressante mise en lumière d’un courant artistique peu connu, 350 affiches, dessins, documents,  extraits de films, maquettes de décors de théâtre, objets divers, peintures, photographies, … nous étant présentés dans les salles de « Bozar », sachant que nombre d’artistes, dont nous découvrons les oeuvres, furent déportés,  persécutés, voire exécutés, certains ayant vu leur  nationalité géorgienne changée en russe, par le pouvoir soviétique.

« Le souvenir est une interrogation sur le passé et une réflexion sur l’avenir … Comment gérer un certain passé ? Comment gérer le régime soviétique qui a encore un impact aujourd’hui. Il s’agit également des conflits du passé et de ceux qui se déroulent encore aujourd’hui en Géorgie, comme en Ossétie du Sud et en Abkhazie, en n’oubliant pas, bien sûr, la guerre en Ukraine, celle-ci ayant un impact en Géorgie« , nous confia, le mercredi 04 octobre, Dirk  Vermaelen, directeur artistique d’ « Europalia ».

Ce dernier et Eva Bialak, coordinatrice des expositions d’ « Europalia Georgia », à l’occasion de leur premier voyage d’études en Géorgie, en 2019, avant la Covid, découvrirent le travail d’un artiste qui leur était inconnu, David Kakabadze (1889-1952), érudit, graphiste, peintre géorgien d’Avant-Garde, pionnier en photographie et  cinématographie, qui réalisa des décors pour l’ « Opéra », à Tbilissi, et pour le cinéma, ayant enseigné à l’ « Académie des Beaux-Arts » de la capitale, avant de devoir s’adapter au dogme du réalisme soviétique. Cette découverte et celles d’autre oeuvres d’artistes géorgiens furent à la base de la présente exposition.

Au sein de l’une des salles, consacrée à Niko Pirosmani (1862-1918), une peinture de grandes dimensions attire notre attention, célébrant l’un des piliers de la culture sociale géorgienne, le « supra » (« nappe », en français), un banquet traditionnel, agrémenté de mets et de vins géorgiens, sachant que les premières traces de viticulture  et de  vinification, en Géorgie, datent d’il y a 8.000 ans, des découvertes archéologiques amenant les historiens à considérer ce pays comme étant le berceau mondial de la vigne domestiquée et du vin.

Notons que Niko Pirosmani, contrairement à nombre de ses collègues artistes, fut mis en valeur sous l’ère soviétique, Eva Bialak nous confiant : « Son travail arrangeait bien les Russes de l’époque, vu qu’il ne développait  aucune idée intellectuelle, mais représentait des scènes de la vie quotidienne. Il y avait quelque chose de brut, de ‘bon sauvage’ chez lui. Rien d’inquiétant. »

A l’opposé, un certain nombre d’oeuvres ont été détruites ou partiellement censurées, un visage pouvant ainsi disparaître, comme nous pouvons le découvrir dans la dernière salle.

Evoquons encore Gigo Gabashvili (1862-1936), dont les peintures symbolistes, découvertes après l’ère soviétique, en font, selon Eva Bialak, « l’un des représentants les plus précoces et majeurs de ce courant artistique en Géorgie. »

Ainsi, dans une atmosphère érotique et spirituelle, empreinte de mythologie et philosophie fin de siècle, nous découvrons des démons de la mélancolie, des êtres androgynes songeurs, des anges virevoltants, …

Pour la plupart des oeuvres exposées, il s’agit de leur première présentation à l’extérieur de la Géorgie. C’est notamment au sein des nombreuses tavernes et cafés à Kutaïssi et à Tbilissi, que les artistes géorgiens se rencontraient, se regroupaient, et y organisaient des événements multidisciplinaires, donnant corps à de nouvelles pratiques artistiques.

Dès le début du XXè siècle, la circulation des personnes et des idées s’intensifie au sein d’une société géorgienne de plus en plus cosmopolite. Le symbolisme s’y exprime littérairement au sein de l’œuvre de Grigol Robakidze  (1880-1962) et du « Groupe des Cornes bleues » (dissous en 1931). Les œuvres des peintres Gigo Gabashvili  (1862-1936) et Alexander von Salzmann (1874-1934) nourrissent les premières recherches d’Avant-Gardes. Les  influences sont multiples et les échanges avec les autres centres de création internationaux sont nombreux, notamment avec Paris, Munich et Saint-Pétersbourg.

Laboratoire artistique du Caucase, Tbilissi sera aussi un lieu de repli pour les artistes russes fuyant la guerre civile, comme pour Lado Goudiashvili (1896-1980), Aleksei Kroutchonykh (1886-1968), Sergeï Soudeïkine (1882-1942),  Igor Terentiev.(1892-1937).  Dès la fin des années 1910, les artistes géorgiens sont aussi présents à Paris, autre centre majeur des mouvements d’Avant-Garde, Elene Akhvlediani (1901-1975), Lado Goudiashvili,  David Kakabadze, Ilia (1894-1975) et Kirile (1892-1969) Zdanevich y côtoièrent les artistes internationaux de l’époque et y découvrirent les Cercles d’Avant-Garde de l’Ouest.

Les nombreuses collaborations prirent de multiples formes et mélangèrent traditions géorgiennes et influences de l’Orient et de l’Occident. Des mouvements artistiques aussi divers que le cubisme, le cubo-futurisme, le dadaïsme, l’expressionnisme, le futurisme, le (néo-)symbolisme, le toutisme et le zaoum y cohabitèrent dans une  effervescence créatrice inédite.

Ouverture : jusqu'au dimanche 14 janvier, du mardi au dimanche de 10h à 18h. Prix d'entrée : 16€ (8€, pour les moins de 30 ans / 0€, pour les moins de 12 ans et les détenteurs du "museumPASSmusées"). Catalogue : Ed. "Hannibal Books". Contacts : 02/507.82.00. Site web : https://europalia.eu/fr.

Egalement à « Bozar », jusqu’au dimanche 14 janvier 2024, nous pourrons découvrir une installation cinématographique – « Deda Ena » de la cinéaste géorgienne Meggy Rustamova Adeishvili (°Tbilisi/1985), qui explore les relations qui s’enchevêtrent entre souvenirs et événements individuels ou colectifs, évoquant, notamment les déportations forcées de minorités ethniques, qui se sont produites sous le régime soviétique, dont celle des Assyriens, qui s’étaient installés en Géorgie.

Trois des films de cette même réalisatrice – « (Dis)Location », « My Assyrian Mother » & « Babel » – seront projetés, du jeudi 09 jusqu’au samedi 11 novembre, à « De Singel », à Antwerpen.

Dans le cadre d’ « Europalia Georgia », ne manquons pas de visiter – jusqu’au dimanche 18 février, au « Musée Art & Histoire »au « Cinquantenaire » – l’exposition « Géorgie : une Histoire de Rencontres ». En ce même musée, grâce à une seconde exposition, « Andro Wekua – Un Etranger au Paradis », l’art contemporain est également évoqué, avec l’artiste géorgien Andro Wekua (°Sochumi/1977).

Andro Wekua s’est formé à l’ « École d’Art international », à Soukhoumi, dès 1991, à l’ « Institut Gogebashivili », dès Tbislissi, dès 1994, et à l’ « Ecole d’Arts visuels », à Bâle, dès 1999. Plusieurs expositions solo lui ont été consacrées dans des institutions prestigieuses tels que le « Camden Arts Center », à Londres, le « Centre national d’Art contemporain Le Musée », à Grenoble, le « Castello di Rivoli », à Turin, le « Frans Halen Museum », à  Haarlem,  le « Garage Museum of Contemporary Art », à Moscou, le « Kölnischer Kunstverein », à Cologne, les  « Kunsthalle », à Zürich & à Vienne, le « Musée Benaki », à Athènes, le « Museum Boijmans van Beuningen », à  Rotterdam, le « Tank », à Shangai, le « Wiels », à Bruxelles …

Autres expositions d’ « Europalia Georgia » :

** « Andro Eradze », jusqu’au dimanche 31 décembre, au « Wiels »à Forest.

** « Elene Chantladze & Nata Jamberidze/Keti Totoraia », jusqu’au dimanche 07 janvier 2024, au « M HKA »à  Antwerpen.

** « Karlo Kacharava (1964-1994) », du 02 décembre 2023 jusqu’au dimanche14 avril 2024, au  « S.M.A.K »à  Gent.

** « Soie აბრეშუმი », de Jean Luc Petit, Tamuna Chabashvil & du « Musée de la Soie » de Tbilisi, jusqu'au samedi 16 décembre, aux « Drapiers », à Liège.

** « Thea Djordjadze, the Ceiling of a Courtyard », jusqu’au dimanche 07 janvier 2024, au « Wiels »à Forest.

Toujours dans le cadre d' "Europalia Georgia", de nombreux spectacles nous seront, également, proposés, tant en Belgique qu'en France, à Orléans et à Valenciennes, et aux Pays-Bas, à Den Haag.

Parmi ceux-ci notons les prestations de l' "Ensemble Basiani", déjà présent, lors de la Soirée d'Ouverture, à "Bozar", que nous retrouverons à la "Salle Philharmonique", à Liège, le vendredi 17 novembre, et dans la grande salle du "Namur Concert Hall", au "Grand Manège", à Namur, le jeudi 16 novembre.

Originaire de Tbilisi, fondé en 2000, cet ensemble de15 hommes, aux voix splendides, s’accompagnant, eux-mêmes, aux sons de leurs instruments traditionnels, est l'un des choeurs géorgiens les plus renommés, son répetoire s’étendant du VIIè au XIIIè siècle.

Ce groupe étant le gardien du riche et très ancien patrimoine de chansons folkloriques des bergers, de chants monastiques, d’hymnes religieux et de ballades épiques de Géorgie, soulignons que le chant polyphonique géorgien - plus ancienne tradition chorale polyphonique au monde - figure, depuis 2008, sur la liste du "Patrimoine culturel immatériel de l’ UNESCO".

Programme complet sur le site web : https://europalia.eu/.

Yves Calbert.

 

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