"De la Sainte Face à la Tête de Viande", d'Olivier de Sagazan, au "CCN", à Namur, jusqu'au 22 Février

écrit par YvesCalbert
le 02/02/2025

« En face de ma peinture, je suis sur un ring, avec des mouvements d’allers et retours, c’est, tout à la fois, un combat et une forme de manducation. Je la dresse et la nourris ! Je l’entraîne avec moi dans une danse, je la serre au plus près, afin qu’elle garde en résonance l’empreinte de ma propre image. Une peinture est une compression des mouvements du corps dans une image cadrée et figée. Ce dédoublement et mise à distance de ma propre personne me donne à voir, ce que je ne peux voir d’où je suis » (Olivier de Sagazan).

*** Son exposition : « De la Sainte Face à la Tête de Viande » :

Si des références manifestes aux œuvres de Francis Bacon (1909-1992), Pieter Breughel l’ancien (vers 1525-1569 , James Ensor (James Sidney Edouard, baron Ensor/1860-1949) ou Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669) sont évidentes, il n’en reste pas moins vrai que la stupéfaction reste identique : drôle, intense, sauvage & théâtrale.

Olivier de Sagazan, lors de la visite de presse, insista sur le fait que la plupart de ses oeuvres exposées ont été créées pour la présente exposition, l’une d’elle datant de la veille de notre entrevue. De grands formats, colorées, elles présentent des thèmes choraux, nous apparaissant comme un condensé de tous les médiums et expériences qu’il a parcourus durant une trentaine d’années.

Réalisées à partir de marionnettes de taille humaine, qu’il confectionne, avec de l’argile, du chanvre, de la peinture et/ou des tissus, ses toiles deviennent, subitement, un plateau de théâtre imaginaire. Après multiples agencements et déformations, sa toile et ses personnages qui la recouvrent ayant été, ensuite, recouverts de peinture, chaque tableau, en trois dimensions, représentant une scène, mise à la verticale, que la peinture aurait figée, en unifiant les sculptures sur la toile.

Il nous confia : « A part trois oeuvres plus anciennes, tous les tableaux présentés ici sont directement liés à ma prochaine création scénique, ‘Y’a quelqu’un ?‘, que je compte créer, en Belgique, durant l’automne, mon idée étant d’évoquer un atelier d’artiste, avec des oeuvres en construction et d’autres terminées.

Lors de votre visite, ne manquez pas, écoutant les commentaires de l’artiste, de regarder un excellent documentaire de « France 3 », nous montrant Olivier de Sagazan, outre sa rencontre avec des villageois africains, pour qui il se met en scène avec son travail de l’argile, sur son visage et son corps. Vous le verrez, ensuite, sur une plage, en Grèce, où il travaillait avec un groupe, chacun se transfigurant, grâce à l’argile, des duos se constituant, deux têtes pouvant ne plus en former qu’une seule …

Insistons sur le fait que la volonté de cette exposition est de rendre compte du processus créatif de l’artiste, nous dévoilant des œuvres créées dans son atelier de Saint-Nazaire, aussi bien que la plupart, crées « in situ », nous donnant à voir et à comprendre les différentes étapes mises en œuvre dans son travail d’artiste du geste premier aux dernières finitions.

Ouverture : jusqu’au samedi 22 février, du mardi au vendredi, de 14h à 18h, le samedi, de 10h à 18h, ainsi qu’un heure avant chaque spectacle. Entrée libre. Catalogue : 35€. Site web : https://www.tccnamur.be/.

*** Lui-même :

Né à Brazzaville, au Congo, Olivier de Sagazan (Olivier Le Moniès de Sagazan/1959) ayant terminé un master en  biologie et en philosophie, refusant le service militaire, obligatoire à l’époque, il pu remplacer par de la  coopération, au Cameroun.

Ayant visité, au préalable, le « Rijksmuseum », à Amstedam, il fut d’office impressionné par le travail de Rembrandt, estimant qu’il avait « tout compris du vivant », travaillant avec ses mains dans la matière, tout en s’intéressant à l’intériorité, ce dont on ne parle pas en biologie. Ainsi, à son retour d’Afrique, il n’hésita pas à se lancer dans la  peinture et la sculpture, poursuivant son étude du vivant.

Aussi, il quitte ces discours établis pour s’installer dans une pratique de l’art, qu’il espère plus féconde pour toucher au réel de la vie, sa part d’innommable. De fait, l’art semble s’imposer à lui comme une synthèse, son espace de  travail, celui du tableau qu’il produit, pour évolutif qu’il soit, visant à rejouer et faire apparaître, sans cesse, l’instant  où s’esquissent les premiers surgissements de ce que nous nommons « vie ».

Olivier de Sagazan est le père de la chanteuse française Zaho de Sagazan (Zaho Le Moniès de Sagazan/°Saint-Nazaire/1999), lauréate, en 2024, de 4 « Victoires de la Musique », qui, un jour, tint ce propos, plein de profondeur : « Être sensible, c’est être vivant, et nous ne sommes jamais trop vivants. »

Dès 2008, l’artiste français Olivier de Sagazan, par la radicalité qu’impose son geste inaugural, poursuivit sa carrière en direction des arts vivants, passant de la solitude de son propre corps à la rencontre avec la multitude des autres chairs. Dans « La Messe de l’Âne » – qui, selon Rosita Boisseau, pour « Le Monde » est un spectacle qui « a soulevé des foules à la « Biennale de Venise » – ou « Nos Cœurs en Terre » – en duo avec son compatriote David Wahl -, il n’est donc plus seul mais accompagné d’acteurs, de danseurs, avec lesquels il façonne et rythme l’espace vivant d’un tableau scénique, où des corps en mouvement, expressifs, portés aux limites de leurs conditions, annoncent ce qui ne peut, pourtant, se dire, touchant aux hors-sens de la vie.

A l’époque de ce spectacle en duo, produit par le « Festival d’Avignon », David Wahl écrivit : « Olivier de Sagazan  comme moi sommes obsédés par les métamorphoses, les transformations. Sa matière à lui, c’est l’argile. Il la sculpte, s’en fait une nouvelle peau, un corps à écrire … Ce travail avec Olivier de Sagazan est l’occasion d’explorer le minéral, l’origine de notre monde. Les récits mythiques font de l’argile la matière de la création … Et si les dernières découvertes scientifiques révélaient des liens inattendus et poétiques entre les espèces minérales et les écosystèmes biologiques ? »  

L’œuvre d’Olivier de Sagazan s’offre à qui veut bien le voir, comme une preuve du caractère insaisissable, irréductible, de la vie, et du même coup, de la puissance innommable des vivants.

*** Son seul en scène « Transfiguration » :

Ayant déjà accueilli son seul en scène « Transfiguration », en 2023, sur la scène du « Théâtre royal », les responsables de la programmation de ce haut lieu culturel namurois ont eu l’excellente idée de l’inviter à réinterpréter son spectacle dans le quartier namurois de Bomel, la salle du « CCN » (« Centre Culturel Namurois »)  jouxtant son exposition « De la Sainte Face à la Tête de Viande ».

Donnant vie à ses oeuvres en argile, exposées à Namur, jusqu’au samedi 22 février, Olivier de Sagazan permet, ainsi, à ses sculptures de prendre une autre dimension, celle du mouvement réel.

Cette performance, expressive et totale, créée en 1998, jouée plus de 350 fois, dans une trentaine de pays, est un voyage, à la fois fascinant et terrifiant, qui explore le désir inassouvi d’un sculpteur de donner vie à sa création. Dans un geste de désespoir, celui-ci entre dans sa matière pour devenir une créature « mi-homme mi-sculpture », nous emmenant à sa suite, durant 50 minutes, à l’intérieur de sa psyché torturée.

Peintre, sculpteur et performeur, Olivier de Sagazan est l’auteur d’une œuvre multiple, hantée par la métamorphose et les figures improbables, violemment arrachées à la normalité des apparences.

Dans une semi obscurité, l’artiste, en veston-cravate, entame un rituel, tournant en rond sur la scène, avant d’enfin arrêter sa marche d’échauffement, pour s’immerger dans l’argile, laissant ses mains, pleines de peinture, danser sur sa tête. En noir, il place et replace deux yeux dans l’argile, alors qu’en rouge, il y pose et repose des lèvres, profitant de la malléabilité de l’argile, qui, mouillée et mêlée à des éléments de la nature (branches, paille, …), devient la  source d’extensions instinctives et d’enveloppes difformes, façonnées à l’aveugle par nombre de surmodelages  et d’effacements successifs. Se noue, alors, un jeu d’hybridités, animales et monstrueuses,  de  disparition totale du visage humain, pour mieux laisser émerger ses perceptions intimes et profondes, les identités cachées, qui le possèdent.

Sculpture vivante, Olivier de Sagazan éructe et psalmodie à la limite de l’audible, en malaxant sa prochaine mue, toujours en quête de découvrir qui il est sous ses masques et qui est le marionnettiste : « Je suis sidéré de voir à quel point les gens pensent qu’il est normal d’être en vie. Tout mon objectif est de rendre compte de l’étrangeté même d’être là. La défiguration, en art, est pour moi un moyen, par la puissance même des images qui peuvent apparaître, d’accéder à cette prise de conscience », nous dit-il.

A notre collègue Jean-Marie Wynants, pour « Le Soir », il confia : « Biologiste de formation, dans ‘Transfiguration’, je déchire constamment l’enveloppe d’argile, dont je me couvre. Ouvrir un corps, comprendre ce qu’il y a dedans, c’est ce qui m’intéresse … l’argile, pour un peintre-sculpteur, c’est quelque chose de fantastique. Avec une rapidité folle, on peut créer un univers. Et puis, en tant que biologiste, ça me touche beaucoup, puisque la théorie semble dire que, il y a quatre milliards d’années, il n’y avait qu’une grosse boule d’argile et que tout d’un coup, la vie est sortie de là. Avec ‘Transfiguration’, je ramène le vivant sur l’organisme qui l’a fait naître. Il y a une grande histoire, une  grande filiation entre l’homme et l’argile, qu’elle soit symbolique, biblique ou biologique. »

Et l’artiste de poursuivre : « En travaillant en aveugle, je vois avec mes mains et c’est quelque chose de bien plus profond qui apparaît. Et puis, je ne juge plus, puisque mes yeux ne voient pas ce que je fais. Donc, je donne une chance au hasard. Et le hasard est à l’origine du vivant. Pour uun biologiste, c’est une évidence. sans le haasrd on serait encore des bactéries. »

Dans « Transfiguration’, avec une infinie énergie, se recouvrant le corps et le visage d’argile, Olivier de Sagazan  quitte son identité, pour, à travers ses transformations, s’en inventer d’autres, animales, hybrides, monstrueuses. Il efface et dénoue les couches de son visage dans une quête sans entrave, une forme de rituel entre dérision, danse  et transe. La stupéfaction éprouvée est pareille à celle qui jaillit lorsque soudain se révèle une vision totalement imprévue de nous-mêmes, aberrante, drôle, sauvage.

Yves Calbert.

 

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