« Au Brésil, les intérêts économiques sont plus forts que la vie des gens » selon Mgr Rixen,
Né à La Calamine, Mgr Eugène RIXEN est évêque à Goias, au Brésil depuis fin 1998. Il évoque la crise sanitaire très complexe au Brésil.
Monseigneur Rixen, vous avez partagé, cette semaine, une lettre du frèBetto parle d’un véritable génocide avec, en date du 20 juillet, près de 80 000 morts du coronavirus au Brésil. Le pays est, après les États-Unis, le second pays le plus touché au monde. Comment vivez-vous la situation sur place?
De fait, on parle de génocide car notre propre gouvernement fédéral n’a pas pris des mesures suffisantes au début de la pandémie. Il a mis toutes les responsabilités sur les gouverneurs des États, qui eux ont mis cette responsabilité sur les bourgmestres des communes. Et chaque bourgmestre prend des mesures différentes, c’est pour ça qu’au Brésil les chiffres augmentent très fort, par absence de cohérence.
De plus, le président ridiculise les mesures de protection, il dit qu’il n’y croit pas. Et il ridiculise l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il accepte, par exemple, de prendre de la chloroquine et en fait la propagande, alors que l’OMS déconseille d’en prendre. La situation est très complexe, et elle l’est d’autant plus pour les plus pauvres, pour les peuples indiens par exemple qui sont plus vulnérables. Les communautés les plus pauvres, au Brésil, sont dans une situation dramatique. Il y a des communautés indiennes qui ont une immunité beaucoup plus basse que la nôtre, et dans ces communautés c’est la catastrophe. Il y a beaucoup de morts, principalement en raison du coronavirus.
Plus que les chiffres qui sont avancés par les autorités ?
Pour avoir des contacts directs et réguliers avec ces communautés, je peux affirmer que les Indiens sont très préoccupés. D’autant que le président a mis son veto sur des propositions de lois qui visaient à les protéger. N’oublions pas que nous sommes aussi face à une grande croissance de la déforestation de l’Amazonie, la destruction des forêts ne fait qu’augmenter (nous sommes dans une période de sécheresse). Quand un scientifique divulgue des données sur cela, le président le met de côté… Il n’accepte pas d’entendre la vérité, c’est assez dramatique.
Frère Betto parle de mesures de précaution et de restrictions qui, si elles avaient été adoptées, auraient pu sauver des milliers de vies. Est-ce à dire qu’aucune mesure n’est mise en place ?
Si, il y a des mesures qui sont prises par les Communes. Où je vis, à Goiás, on doit se laver les mains avec du gel hydroalcoolique, on doit préserver les distances, on doit porter un masque… Mais ces mesures ne sont pas toujours bien respectées car le mauvais exemple vient d’au-dessus. Le peuple est assez désorienté, même si c’est obligatoire dans mon État. Au centre du Brésil, les chiffres sont encore à la hausse avec près de deux millions de cas positifs et près de 80 000 morts.
Frère Betto utilise des termes forts, allant jusqu’à avancer qu’il s’agit, au Brésil, d’une politique nécrophile visant à sauver l’économie et non les vies… Il ajoute: «Les raisons de l’intention criminelle du gouvernement Bolsonaro sont évidentes. Que les personnes âgées meurent, pour sauver les ressources de la sécurité sociale […] Laisser mourir les pauvres, pour économiser…»
Son discours est très fort. Mais ça correspond en bonne partie à la réalité. Ce mercredi 22, avec une centaine d’évêques, nous adresserons une lettre qui va dans ce sens. Les propos seront peut-être un peu moins forts. Nous sommes très préoccupés par le manque de politique fédérale. Dès le début, le président a dit que le plus important était l’économie, qu’il ne croyait pas au virus…
L’Église garde-t-elle de l’influence au Brésil ?
Oui, en général elle dispose encore d’un pouvoir d’influence. On se base sur un travail critique pour nos propos mais dès le début, de notre côté, on a dit que la vie était plus importante que l’économie. En ce sens, on colle aux propos du pape François qui défend la vie humaine face à une économie qui essaye de prévaloir sans rien respecter. D’ailleurs, le Covid est probablement dû à un équilibre de la nature…
Le masque est-il imposé, dans la mesure où les lois locales se confrontent aux décisions du gouvernement ?
En effet, c’est la raison pour laquelle beaucoup ne respectent pas les mesures. Ici, le gouverneur de l’État a pris la décision de tout fermer pendant 14 jours, puis de tout rouvrir pendant 14 jours, etc. On verra si ça marche… Chaque Commune a la liberté d’appliquer les mesures qu’elle veut. Il eut été beaucoup plus efficace d’avoir une politique fédérale en respectant l’OMS. Mais les intérêts économiques sont plus forts que la vie des gens…
En prenant position de la sorte, Frère Betto s’expose-t-il à quelconque forme de représailles de la part des autorités en place ?
Je ne pense pas. Il est fort connu ici et il a toujours porté un discours très fort. Il a été emprisonné pendant la dictature militaire de 1964 à 1985, en raison de ses positions contre la dictature. On a certes beaucoup de militaires au sein du gouvernement, mais je ne pense pas qu’on soit dans une phase semblable.
Pensez-vous, aussi, que «seule la pression de l’étranger sera en mesure d’arrêter “ le génocide”» ?
C’est très important d’avoir une pression internationale. L’Europe, surtout la France, a déjà fait beaucoup de choses, notamment sur la question de l’Amazonie avec des positions contre la politique actuelle (sur les déboisements pour des raisons économiques). La pression internationale compte, et s’il y avait par exemple un boycott asiatique sur la consommation de viande du Brésil, ce serait une mesure très forte. ( Pierre LEJEUNE - L'Avenir )
NB. Parmi les photos reprises en annexe apparaît le Père Pedro Recroix. Au monastère de Goias, un Mémorial à son nom a été érigé en 2009 devenu un musée d'art dont l'objectif est de préserver la mémoire d'un de ses fondateurs, le Père et sculpteur français Pedro Recroix https://www.youtube.com/watch?v=edikv9Xl-sc
© François DETRY