17è "One World Festival", à Bruxelles
Le vendredi 19 avril, le Festival tchèque de films documentaires « One World Festival » organisait sa « Soirée de Clôture », à Bruxelles, dans la superbe salle de la « Prague House », cette maison de maître, ancien « Hôtel particulier Résimont », d’inspiration néo-classique, ayant été édifiée, en 1897, par les architectes belges Constant Bosmans (1851-1936) et Henri Vandeveld (1851-1929).
Après quelques mots de satisfaction, quant au succès bruxellois de ce événement, prononcés par le coordinateur tchèque des médias, Lukáš Ondřej, le long métrage lauréat du « Prix One World », fut annoncé :
*** « Patrol » (« Patrouille »/Brad Allgood & Camilo De Castro Belli/Nicaragua-Etats Unis/2023/82’/film lauréat, en 2024, du « Prix Spirit of Activism », au « Wild & Scenic Film Festival », à Nevada City et à Grass Valley, en Californie, ainsi qu’en 2023, du « Prix du Choix du Réalisateur » pour le « Courage dans la Réalisation de Films », au « Woods Hole Film Festival », à Woods Hole, dans le Massachusetts)
Synopsis : « Au Nicaragua, des communautés sont en première ligne d’un conflit environnemental, qui s’intensifie. D’un côté, nous découvrons les Amérindiens Rama, en alliance avec la communauté afro-descendante Kriol, qui se battent pour empêcher les éleveurs illégaux de détruire les forêts tropicales vierges de la réserve biologique « Indio Maíz ». Au cours des dix dernières années, des milliers de personnes ont été déplacées de leurs terres et plus de 70 autochtones, dont des femmes et des enfants, ont été tués ... »
Motivations du Jury : « Le documentaire illustre la nature systémique de la destruction de l’environnement et son lien avec les violations des droits de l’homme et vice versa, créant une boucle de rétroaction destructrice. Le cycle de la criminalité environnementale et des violations des droits de l’homme liés aux produits de base conduit à la déforestation, qui, à son tour, accélère le changement climatique et une perte de biodiversité, entraînant un environnement de plus en plus inhabitable, pour de nombreuses espèces, y compris les humains. Ces problèmes ne sont pas isolés au Nicaragua, mais sont courants dans des régions comme celles de l’ Amazonie, de grandes parties de l’ Afrique et de l’ Asie du Sud-Est, où des modèles similaires d’exploitation et de dégradation se produisent. »
Ayant pris la parole, à la « Maison de Prague », après avoir reçu son Prix, Camilo De Castro Beli – titulaire d’un baccalauréat en histoire, décerné par la « Columbia University », à New York – écrivit : « J’ai commencé à couvrir le pillage des terres autochtones il y a près de 20 ans, lorsque je parcourais le pays en tant que journaliste à la télévision nationale. En tant que descendant d’un topographe immigré italien, qui a mesuré et confisqué les terres indigènes à la fin du XIXè siècle, le sort de ces communautés m’a pesé lourdement. En discutant avec des chefs autochtones et religieux, j’ai appris des atrocités passées qui ont été effacées des livres d’histoire. De retour dans la capitale, Managua, les puissants ont ignoré les cris venant des montagnes, préférant saluer l’ouverture de nouveaux marchés et la hausse des prix des matières premières. »
« Aujourd’hui, les sociétés forestières, de café et de caoutchouc du passé ont été remplacées par des industries florissantes de l’or et de la viande bovine, dont les bénéfices ont augmenté de plus de 400 pour cent au cours des dix dernières années. La majeure partie du bœuf du Nicaragua est destinée aux États-Unis, où les entreprises ferment les yeux sur les violations flagrantes des droits humains dans le pays. »
« Malgré les risques, j’ai choisi d’agir et de m’exprimer. En 2012, j’ai cofondé ‘Mision Bosawas’, un mouvement environnemental qui a travaillé en étroite collaboration avec des dirigeants autochtones et des jeunes pour sensibiliser à leur lutte et à leur rôle dans la protection des dernières étendues de la forêt tropicale, au Nicaragua. Nous avons emmené des étudiants universitaires dans des communautés autochtones, au cœur de la jungle et avons, également, exploité le pouvoir du cinéma, pour faire entendre la voix des peuples autochtones aux quatre coins du pays. »
« ‘Patrol’ raconte l’histoire révélatrice de gardes forestiers indigènes Rama et issus de la communauté afro-descendante Kriol, qui se battent pour protéger leurs terres et leur mode de vie, alors qu’ils mènent de dangereuses patrouilles dans les forêts vierges de la réserve biologique Indio Maíz, au Nicaragua, l’une des plus grandes étendues de forêt tropicale, sise au nord de l’Amazone. »
« Au cours des six années de tournage, j’ai appris à connaître intimement les courageux hommes et femmes qui sont à l’avant-garde de la lutte pour sauver leurs terres ancestrales. Leur travail est périlleux et la mort n’est pas rare. Mais ils vont de l’avant, animés par l’amour de la nature et de la communauté. Ce sont des gens forts et admirables et, pour de nombreuses raisons, le monde a besoin de connaître leur histoire. »
« Leur objectif est de stopper l’afflux croissant d’éleveurs illégaux qui rasent la forêt tropicale à un rythme alarmant. Ces colons sont parfois liés à de puissants réseaux de trafic de bétail, d’exploitation forestière et de terres, qui opèrent en toute impunité, grâce au fait que le gouvernement ignore délibérément leurs activités. »
« La situation s’est aggravée depuis 2018, lorsqu’un soulèvement citoyen a été violemment réprimé par le gouvernement, entraînant la mort de 355 personnes et l’emprisonnement de milliers de manifestants. En raison de la violence et des difficultés économiques, plus de 250.000 Nicaraguayens ont fui le pays et des dizaines de militants et d’écologistes, comme moi, ont été contraints à l’exil. En février 2023, le régime d’Ortega m’a déchu de ma citoyenneté, a confisqué ma maison et m’a accusé de trahison, ainsi que 93 autres Nicaraguayens. »
Aux futurs spectateurs de suivre quelques gardes forestiers sur l’écran, tels Armando John, un courageux et calme jeune homme, Margarito, un père philosophique de six enfants, et Rupert Allen Clair Duncan, l’un des dirigeants les plus reconnus du territoire, sans oublier Christopher Jordan, un défenseur américain de l’environnement, ainsi que l’évocation de Carmen et Chacalin, deux éleveurs illégaux, qui se sont enfoncés dans la jungle.
Camilo De Castro Belli, fondateur, en 2010, de « CaLé Producciones », une entreprise de communication pour le changement social, qui oeuvre, avec les organisations de la société civile, pour renforcer leur travail de plaidoyer, ce réalisateur a reçu, en 2008, le « Prix d’Excellence en Journalisme Pedro Joaquín Chamorro » – le plus important au Nicaragua –, pour « Emergencia en el Bosque », un documentaire sur l’exploitation illégale des forêts, au Nicaragua. En 2010, il a reçu ce Prix, une deuxième fois, pour une enquête sur la corruption, au sein du Conseil suprême électoral, remportant également, la même année, le « Prix national de Journalisme et de Communication María José Bravo ».
Notons que le jury du « One World Fesival » a décerné une « Mention spéciale » à :
*** « Who, if not Us, The Fight for Democracy in Belarus » (« Qui, si pas nous ? Le combat pour la Démocratie en Bielorussie »/Juliane Tutein/Allemagne/2023/77′)
Synopsis : « Avec Darya, Nina et Tanya, trois femmes en première ligne, nous nous retrouvons en 2020, lors des manifestations massives qui se déroulèrent en Biélorussie, contre la dictature d’Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 30 ans … »
Ces manifestations étaient les plus importantes de l’histoire de la Biélorussie, mais le régime de Loukachenko les a brutalement réprimées. Durant une année entière, le film suit ces femmes exceptionnelles de différentes générations, qui continuent toutes à se battre sans relâche pour une Biélorussie démocratique.
Motivation du Jury : « Le jury félicite le film pour avoir montré la résistance et la résilience continues dans l’environnement restrictif, en Biélorussie, et les implications plus larges d’un isolement croissant. Il montre l’importance de soutenir les mouvements démocratiques et de protéger les droits de l’homme dans les régimes oppressifs. »
Trois portraits sont dressés, ceux de :
- Nina Baginskaya, une militante intrépide de 74 ans, qui a connu l’ère soviétique et qui, depuis les années 1980, milite sans relâche pour une Biélorussie démocratique.
- Tanya Hatsura-Yavorskaya, qui – fondatrice, à Minsk, du Festival de films documentaires « Watch Docs Belarus » – risque une peine de prison imminente, en raison de son travail audacieux et inébranlable en faveur des droits humains.
- Daria Roubleskaïa, une militante des droits de l’homme de 22 ans, qui a dû fuir à l’étranger, afin d’échapper à une peine de prison imminente, et qui cherche, aujourd’hui, à attirer l’attention sur le sort des nombreux prisonniers politiques de Vilnius.
Alors que d’innombrables personnes innocentes, descendues dans la rue pour une Biélorussie libre et démocratique sont en prison, ce documentaire se termine au milieu de la guerre d’agression destructrice de la Russie en Ukraine, soulignant, de manière impressionnante, le sort inséparable de la Biélorussie et de l’Ukraine, de nombreux Biélorusses partageant la conviction que sans une Ukraine libre, il ne pourra jamais y avoir d’avenir démocratique pour la Biélorussie.
Lauréate de plusieurs Prix pour ses différents documentaires, diplômée comme journaliste-réalisatrice, par la « Filmakademie », à Baden-Württemberg, Juliane Tutein a réussi une maîtrise en ethnologie, jurisprudence et pédagogie, à l’ « Universität Tübingen », à Hamburg.
Le jury se composait de Ziga Factor, directeur adjoint et chef du bureau bruxellois d’ « Uropeum » ; Eurico Pedrosa, administrateur au Secrétariat du Parlement européen, chargé d’aider les députés européens à poursuivre la stratégie de soutien aux droits de l’homme et à la démocratie ; & Nora Wehofsits, chargée de plaidoyer international à la « HRHF » (« Human Rights House Foundation »).
Le lundi 15 avril, après quelques mots de Son Excellence Madame l’Ambassadeur de la République tchèque auprès de l’ U.E., Milena Vicenova, la grande salle du « Ciné Galeries » étant comble, la Soirée d’Ouverture nous avait proposé la projection de :
*** « 20 jours à Marioupol » (Mstyslav Tchernov/Ukraine/2023/93’/film lauréat, en 2024, de l’ « Oscar du meilleur Documentaire », du « Prix du meilleur Documentaire », à la « BAFTA » et du « Prix Directors Guild of Améica », ainsi qu’en 2023, du « Prix du Public », au « Festival du Film de Sundance » et au « Festival DocuDays UA », à Kiev, remportant, également, le « Prix du Jury » de ce dernier Festival)
Synopsis : « En février 2022, une équipe de journalistes ukrainiens de l’ ‘Associated Press’, piégée dans la ville assiégée de Marioupol, filme les atrocités de l’invasion russe. Seuls reporters internationaux sur place, ils capturent ce qui deviendront plus tard des images marquantes de la guerre. Au plus près des civils, le réalisateur Mstyslav Chernov et son équipe, récompensés du ‘Prix Pulitzer’, livrent un témoignage capital sur la réalité de la guerre qui déchire leur pays. Ils offrent un récit puissant et déchirant des civils pris au piège, ainsi qu’une réflexion sur la responsabilité d’un reporter en zone de conflit et sur l’impact d’un tel journalisme à l’échelle mondiale … »
Dans "Le Monde", Mstyslav Tchernov témoigne : "Les Russes nous traquaient. Ils avaient une liste de noms, dont les nôtres, et ils se rapprochaient. Nous étions les seuls journalistes occidentaux encore présents dans Marioupol, et cela faisait plus de deux semaines que nous documentions son siège par l’armée russe. Nous étions en train de faire un reportage à l’hôpital quand des hommes armés se sont mis à arpenter les couloirs. Les chirurgiens nous ont donné des blouses blanches en guise de camouflage."
Notons, néanmoins, que les médias ont refusé de publier une grande partie des images, qui montrent des enfants mourants, des charniers et le bombardement d’une maternité, entre autres atrocités. Ce sont des images que personne ne veut voir, mais que tout le monde devrait voir. Le film montre non seulement la situation des gens ordinaires, en temps de guerre, mais aussi la difficulté de la documenter, les journalistes mettant leurs propres vies en danger.
Le dimanche 21 avril, à « Brussels Expo », se terminait le « BIFFF » (« Brussels International Fantastic Film Festival »), où le public aimait rire, entre autres, de fictions d’ « horreur ». Dans le cadre du « One World Festival », au « Ciné Galeries », impuissants, nous venions d’assister à l’authentique horreur, vécue pas des milliers de civils ukréniens … Plus question, ici, du moindre sourire … Et si la tradition, lors de Festivals, veut que nous applaudissions les films projetés, ce soir là, aucune personne n’avait envie d’applaudir, face à de telles tristement réelles atrocités, vécues depuis février 2022 … Dans la salle, le silence était total ! …
Lors de la remise des « Oscars », le réalisateur, Mstyslav Tchernov, déclara : "J’aurais aimé ne jamais faire ce film. J’aimerais pouvoir échanger cela avec une Russie qui n’aurait jamais attaqué l’Ukraine, qui n’aurait jamais occupé nos villes … Mais je ne peux pas changer l’histoire, je ne peux pas changer le passé. Le cinéma forme les souvenirs, et les souvenirs forment l’histoire … Merci d’avoir fait ce film avec moi. Merci de m’avoir aidé dans ce voyage. C’est le premier ‘Oscar’ de l’histoire ukrainienne. Et j’en suis honoré … Merci à tous. Merci à l’Ukraine. Slava Ukrain".
En différents lieux de la capitale européenne, 7 autres longs-métrages furent projetés, 9 films sur 10, ayant été suivis de débats sur les films eux-mêmes, mais aussi sur leurs sujets tels que la guerre sur notre continent, le journalisme d’investigatio, l’activisme politique ou encore la discrimination sexuelle.
Reconnu par l’ « UNESCO », pour ses efforts de sensibilisation aux droits de l’homme, le « One World Festival » a été créé, en 1999, par l’organisation tchèque humanitaire et de défense des droits de l’homme « People in Need ».
Ainsi, dans des dizaines de Villes tchèques, ainsi que dans leurs écoles primaires et secondaires, des documentaires, sur les droits de l’homme sont projetés, chaque année, de même qu’à l’étranger, notamment à Bruxelles.
Lisons enfin le propos du fondateur tchèque de cet important Festival, Igor Blaževič, en 1999, lauréat, pour ses activités en faveur des droits de l’homme, des « Prix Alice Garrigue Masaryk », « Frantisk » & « Irène », directeur du Festival, depuis 2017 : « Dès le début, nous voulions faire un grand Festival, nous voulions faire quelque chose qui soit important non seulement ici, en République tchèque, mais aussi au-delà des frontières de la République tchèque. »
Mission accomplie, Monsieur Blaževič !
Si vous voulez en connaître davantage sur les programmes éducatifs de l’association tchèque « People in Need », aidant les personnes dans 40 pays à travers le monde, et son « One World Festival », n’hésitez pas consulter le site web : https://www.peopleinneed.net/what-we-do/education-and-documentaries-in-c....
Yves Calbert.