Houffalize. Canettes sauvages. Idée de génie
Nouveauté. À Houffalize, l’œuvre d’art auréolée de bleu qui dominait le donjon et donnait au ciel de la cité médiévale un caractère aussi étrange qu’indéfinissable a chu dans les oubliettes de l'Histoire.
Les Houffalois ne s’y attendaient pas.
Mais ils n’ont pas perdu au change.
Voici le sommet du donjon investi désormais d’une mission grandiose : un remède inouï contre les incivilités, cauchemar de toutes les autorités civiles dans les pays civilisés.
Adieu les canettes et bouteilles en plastique qu’on abandonne sauvagement n’importe où.
Entretien avec le bourgmestre.
Ceci est une fiction
Monsieur le bourgmestre (NDLR le journaliste est Christophe Deborsu), nous voici au sommet du donjon, tout Houffalize est à vos pieds.
Oui, je ne vous le fais pas dire.
J’ai devant moi des canettes et des bouteilles à l’état de détritus que vous avez décidé de hausser au rang d’œuvre d’art à portée universelle et abolir ainsi leur statut d’ignominie dans l’environnement.
Quelle est votre démarche fondamentalement au niveau du concret ?
C’est bien sûr quelque part, de pair avec ma longue expérience politique, mon sens aigu de la psychologie enrichi par mes recherches en thérapies cognitivo-comportementales et en criminologie de l’adolescent qui m’a conduit à entreprendre ce projet qu’en toute modestie je qualifie de génial.
Génial ?
Oui, et j’ai même fait protéger ce concept qui va intéresser tous les pays du monde. Même Trump que j’ai eu au téléphone hier m’a dit…
Restons à Houffalize s’il vous plaît
Je veux faire de Houffalize une ville propre. D’ailleurs dans le centre-ville nous allons renouveler les poubelles neuves qui ont été installées il y quelques années à peine. Les Houffalois sont ravis.
Et ce projet dit "Rocher Kerger" où nous sommes ?
Oui. Mes prédécesseurs avaient édifié une œuvre dite d’art au sommet de l’ancien donjon du château féodal. Poétique, en parallèle avec la fresque de céramique qui couvre le pignon donnant sur la place du tank, attraction majeure pour tous les photographes. Ici, c’était une échelle qui montait vers l’infiniment haut et descendait vers l’infiniment bas.
Une mise en perspective abyssale, comme on dit chez La vache qui rit. Au sommet de l’échelle, une grande couronne de néon bleue. Ce que j’ai voulu supprimer.
Pourquoi ?
Parce que je dirige maintenant la commune avec les socialistes, et c’était leur exigence que Houffalize ne soit plus dominée par un phare bleu.
Et votre idée anti-dépôt sauvage de canettes et bouteilles ?
J’avais remarqué que les nombreux visiteurs du sommet du donjon -c’est le seul sightseeing outdoor de la ville durant les années de rénovation de notre tank- jetaient ces récipients au-delà de la balustrade, dans la verdure.
Et vous avez assaini le site ?
Oui, mais pas moi. Ce sont les militaires du Génie de Amay qui sont venus le bien nettoyer. Même mes pompiers n’auraient pas voulu s’y risquer.
Nous sommes à un endroit très fréquenté, et je ne vois pas de poubelle…
Pourquoi il n’y a pas de poubelle ? C’est du passé. Vous irez demander à mon prédécesseur bourgmestre honoraire.
Parlons du présent et du futur. Mon projet génial qui se réalise.
Voilà un mot qui éveille la curiosité…
Oui, au lieu d’emporter les détritus vers la déchetterie, je les ai accumulés juste au milieu de la tour.
Vous allez les y laisser ?
Justement. Cette œuvre d’art, échelle vers l'infini, a coûté une fortune. Personne ne l’a jamais admirée, même pas les Flamands.
Sa mutation en poubelle est le résultat dans ma tête d’une révolution copernicienne.
Ma volonté va se substituer à celle des gens, comme le Spectre dans James Bond.
Aucun touriste ne jettera plus sa canette au-delà de la balustrade, il la déposera respectueusement dans cette poubelle-tabernacle à laquelle, j’en rêve, la postérité donnera mon nom.
Oui, mais ce ne sera jamais qu’un rêve !
Ah ? Regardez le préfet Monsieur Poubelle à Paris… Je fais le pari que…
Et la couronne au sommet de l’échelle ?
Auparavant ce sommet était éclairé par un néon bleu, comment dire, intrinsèque. Maintenant la lumière vient d’un projecteur pour ainsi dire au niveau du sol.
Et le projecteur est dirigé vers… ?
Vers le cercle euclidien qui enserre un grand miroir mat, au sommet de l’échelle, perçu comme aussi grand que six fois la lune.
Ce miroir renvoie une lumière blafarde comme le visage de Marlène Dietrich dans Notre-Dame de Paris. Unique.
Et le symbole ?
Le symbole est clair. Il s’imposera à tout touriste, je dis bien à tout touriste- va-t-en, Lassie, va-t-en (NDLR il s’adresse à sa chienne qui s’approchait des détritus) il s’imposera à tout touriste même flamand qui lèvera les yeux au ciel la nuit, la conviction que les Houffalois savent réfléchir.
Avez-vous tiré des enseignements de votre récolte des canettes ici au sommet du donjon ?
Absolument. Sur 100 canettes, pas un seule de Cara pils. Aussi ai-je chargé mon échevin socialiste de faire de la promotion touristique pour Houffalize à Charleroi .
Des Carolos à Houffalize ? Et vous ne craignez pas que… ?
Je vous vois venir avec vos stéréotypes fachistes.
Là aussi, le fin criminologue que je suis…
Vous êtes criminologue ?
Criminologue patenté. J’ai vu tous les Derrick.
Donc j’ai trouvé la formule. Nous avons racheté la vieille FIAT de Mgr Léonard, et tous ces mécréants carolos se feront une joie perverse à ramener de leurs promenades leurs canettes de Cara pils et autres détritus pour les catapulter par la fenêtre dans le véhicule de ce prétentieux homophobe.
Et pour les gens bien, les aristocrates ?
Nous avons dans la commune un spécialiste des relations avec la haute, ancien roi carnaval lui-même. Il m’a envoyé un sms ce matin : « j’ai écrit au roi ».
Et vous croyez que… ?
Absolument, il a déjà réuni 2 mille signatures l’an passé, pour une bonne cause.
2 mille signatures ?
Oui avec l’appui du bon home. Le CPAS n’a pas son pareil pour ratisser large s’agissant de récolter des voix.
Le projecteur est à la portée de main de tout un chacun, son accès est aisé par des escaliers bien éclairés, l’endroit est sans voisinage habité. Ne craignez-vous pas que des plaisantins viennent, par exemple, arroser le carreau du projecteur d’un petit pot de peinture indélébile ?
Fini l’éclairage du miroir, symbole du Houffalois qui réfléchit.
Cela pourrait prouver au contraire que vos électeurs sont dépourvus de la qualité de réflexion que vous leur prêtez…
Non mais là, vous me vexez ! Croyez-vous, non mais croyez-vous que je n’y ai pas pensé ?
Exactement…
Croyez-vous, non mais croyez-vous que je n’y ai pas pensé ?
Et puis excusez-moi, Monsieur Lebossu, c’est l’heure de promener Lassie. Je suis le bourgmestre de tout le monde, même des animaux.
Notre entretien est terminé.
Oups !
René Dislaire © Houffalize, le 4 avril 2019.
Important : copie strictement interdite. Les droits ont été cédés à la revue « Sois Belge et tais-toi ».
Note sur les photos. Elles sont de mauvaise qualité. Une meilleure présentation est en cours.
L’essentiel est de démontrer la facilité de mettre dans l’obscurité totale ce fier symbole, lumière repère pour toutes les générations à venir.
La légende des photos. Tout caractère autre que les latins (ou anglais) est interdit. Donc pas de « é » pas de «ç » etc.
Du même auteur : Liens vers les publications de l’auteur en 2018
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