Prix du lait: Afrique, Europe

écrit par ReneDislaire
le 28/12/2012
Jago, le "lait quotidien",  pur sucre et graisse.

Panier de la ménagère au Togo
Nous avons « réduit » dans cet article l’Afrique à l’Ouest, précisément au Togo ; l’Europe à la Belgique. Surprenantes comparaisons : le lait est trois fois plus cher en Afrique !
Juste avant les abondantes chutes de neige de ce début décembre 2012 en Belgique, les agriculteurs européens ont pris les devants, déversant des quantités de lait « à Bruxelles », actes médiatiques spectaculaires de par le caractère symbolique du produit destiné aux égouts. Notre intention n’est pas ici de commenter, ni d’analyser les raisons, ni d’intervenir directement dans le débat de politique intérieure européenne.
Vivant depuis quelques mois au Togo au sein du milieu populaire de la banlieue de Lomé, accomplissant au quotidien le travail de la ménagère remplissant son panier, nous livrons simplement quelques observations que la vague d’émotion de Bruxelles nous inspire de livrer.
Après l’allaitement maternel, plus jamais une goutte de lait
Ici, bien des enfants ne boiront plus une goutte de lait de leur vie après le sevrage du lait maternel, et presqu’aucun connaîtra jamais le goût d’une goutte de « vrai lait » de vache en bouteille ou en Tetra Brik.
Tellement il est cher. Il est impossible de trouver un litre de lait dans aucun des petits « commerces » de quartier, la seule structure commerciale censée fournir de quoi satisfaire les besoins de élémentaires de la population.
Le « vrai lait »
Le « vrai lait » ne se trouve qu’en Tetra Brik (ou tetrabrik), dans les supérettes (notamment les « boutiques » des stations d’essence.
Pour un litre de lait demi-écrémé, il faut payer au moins 1,60 euro (1050 francs CFA). Il vient de France. En Belgique, ce litre coûte moins de 0,50 euro.
Le lait entier quant à lui coûte exactement 2 euros (1300 francs CFA)
Autant dire qu’il n’y en a que quelques litres dans les rayons, et que ce n’est pas tous les jours qu’on en vend. Et quand il n’y en a plus, le réapprovisionnement peut durer plusieurs semaines…
Ce lait est hors de prix, outre qu’à une température ambiante de 40 degrés, le « frigidaire » est indispensable pour le conserver, et que presque personne n’en a un. Pas même l’électricité.
La poudre
Les gens aisés achètent du lait en poudre. Il est bon, peut se préparer au fur et à mesure des nécessités, et se prête à toutes les préparations culinaires.
Pour boire le lait, la poudre doit toutefois être mélangée à de l’eau préalablement bouillie. Et bouillir de l’eau n’est pas une tâche facile, si on ne dispose que d’un feu au charbon de bois.
La marque omniprésente, y compris dans les petits, tout petits commerces, est Peak, « made in Holland ». Nido, de chez Nestlé, est également très visible. Nous reparlerons de Incolac.
Le lait en poudre se vend en plusieurs conditionnements. En boîtes « en fer blanc » généralement, dont le couvercle se referme hermétiquement.
Le prix est évidemment inversement proportionnel au poids. 5 euros pour 400 grammes (un peu plus de 2,5 litres); 10 euros pour 900 grammes ; 26 euros pour 2,5 kilos (16 litres).
26 euros, ce n’est pas loin du salaire mensuel de bien des gens (30 euros, soit 20.000 francs CFA).
Les pauvres gens ne s’offriront 400 grammes qu’aux grandes occasions : le prix de revient sera de 2 euros le litre. Acheter par boîte de 2,5 kg ramène le prix du litre à 1,55 euro.
Maître achat : Incolac, Belgian Quality
Difficile à trouver, nous l’avons rencontré uniquement dans une petite chaine de supérettes tenues par des Indiens. Le lait Incolac, « Belgian Quality », appellation partagée avec les frites surgelées…
Les boîtes de ce lait en poudre sont nettement moins chères que celles de la concurrence. En outre, et ce serait une exclusivité d’Incolac, la poudre est vendue en « recharges économiques », si on peut utiliser cette expression que nous utilisons en Europe pour la poudre… à lessiver.
Dès lors Incolac, à condition d’en trouver et d’y consacrer le prix de gros, peut proposer du lait à un prix de revient d’un euro le litre.
Incolac fait partie du groupe Belgomilk, un des gros exportateurs européens de lait en poudre, dont les points de vente se répartissent dans plus de 50 pays en voie de développement.
Le site d’Incolac nous apprend que ses véhicules-citernes pour lait sont équipés de matériel d’échantillonnage : la traçabilité du lait est garantie par un système de données uniforme relié à un système GPS, ce qui permet d’associer chaque litre de lait collecté à une entreprise laitière spécifique. Une technologie que les ménagères africaines, auxquelles nous nous associons, n’imaginent certainement pas !
Le lait concentré
Plus bas il n’y a pas. Ce qu’il peut être cher pour ce qu’il offre !
Comme en Europe, il se vend en petites boîtes. Nous l’utilisons pour adoucir notre café d’un « nuage » de lait.
Les africaines y ont recours parce qu’une fois la boîte ouverte, la haute teneur en sucre en permet une conservation de quelques jours sans frigo.
C’est le lot des familles les plus pauvres, les plus nombreuses, qui ne servent du lait à leurs enfants qu’avec une très grande parcimonie, presque symboliquement peut-on dire.
Les boîtes se vendent dans les marchés par des commerçants qui ignorent tout, aussi bien que les clients, de la notion de la date de péremption, qu’ils seraient d’ailleurs pour beaucoup d’entre eux incapables de lire. Elle est souvent allègrement dépassée. Des boîtes cabossées sont couvertes de poussières dont il est impensable qu’une partie n’aboutira pas dans l’estomac des enfants.
Si Peak en propose, c’est Jago qui apparemment est en haut de l’échelle, au point que « Jago » est dans le langage quotidien le nom de marque générique du lait en boîte.
La composition affichée de Jago n’est guère ragoûtante : « sucre 46.1% extrait sec dégraissé 16% , matière grasse au moins 8%. » Sic pour la ponctuation : comprenne qui pourra. Le mode d’emploi est bourré de fautes d’orthographe et « souffre » d’une syntaxe qui le rend incompréhensible. Un lait « fabriqué au Panama » et « packed in Malaysia »( !).
Il revient au bas mot à 1,25 euro le litre, mais peut-on dire que c’est un litre de lait ?
C’est le lait de tous les jours pour des enfants qui n’en boivent pas tous les jours.

Lomé, le 4 décembre 2012
René Dislaire

  • Jago, le "lait quotidien",  pur sucre et graisse.
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  • Incolac, lait en poudre made in Belgium, maitre achat
  • Incolac, lait en poudre, recharge en sachet
  • Du "vrai lait" liquide, tetrabrik, hors de prix.
  • Lait en poudre, importation de Hollande.
  • Nido, lait en poudre de Neslé.
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  • Un montage, petit commerce en plein air.
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