MALMEDY se souvient : les bombardements de la ville
Sept vétérans US se souviennent...
Pour ce rappel d'un épisode dramatique de la bataille des Ardennes, sept vétérans américains avaient fait tout exprès le déplacement.
Crime de guerre marqué à jamais dans la mémoire collective, le massacre de Baugnez doit servir d'exemple aux générations de la paix. C'est pourquoi, 65 ans après, les manifestations du souvenir mise en oeuvre à Malmedy revêtaient une signification particulière. Pour l'occasion, sept vétérans rescapés avaient fait le déplacement sur le site de cet odieux carnage perpétré par de sanguinaires SS aux abois. Et pour mieux exorciser le malheur, ils l'accomplissaient ce retour sur le champ de bataille en compagnie de jeunes étudiants américains, avides de comprendre l'histoire de cette guerre. C'est le 17 décembre 1944 que ces soldats US du 285e Bataillon d'observation font mouvement vers Saint Vith pour rejoindre la 7e Division Blindée. À hauteur du carrefour de Baugnez, ils se heurtent aux redoutables SS de la tristement célèbre colonne Peiper, Dépourvus d'armes lourdes face à un ennemi puissamment équipé, les Américains n'ont d'autres choix que de se rendre. C'est alors que les événements se précipitent. Pour une raison inconnue, les prisonniers américains sont passés par les armes par les SS sans scrupules, qui invoquent pour couvrir leur geste une tentative d'évasion. Le bilan sera lourd avec 84 prisonniers américains qui n'en réchapperont pas. Et pour mieux masquer leur forfait, les nazis s'empressent de mettre le feu au café dans lesquels auraient trouvé refuge quelques soldats en plein désarroi.
Ils ne seront pas nombreux, les rescapés, mais c'est en surmontant leur douleur et pour faire passer le message de l'absurdité de la guerre auprès des jeunes générations que ces sept vétérans se retrouvaient ce week-end sur le théâtre des opérations.Y.H.
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Les époux Élisabeth Kreutz et André Théatre évoquent pour nous ces moments de grande détresse.
De quoi se souvient Élisabeth Kreutz, 65 ans plus tard ? « J'avais alors 10 ans et demi et le 16 décembre, nous étions à la maison au n° 12 de la rue de la Gare. Notre famille était de souche germanophone et papa, revenu fin août, considéré comme déserteur de l'armée allemande, était de retour sous couvert d'un certificat médical. Un tank américain stationnait devant la maison qu'on nous a fait quitter car on se trouvait dans la ligne de tir. Nous avons trouvé refuge dans la cave voûtée chez ma tante, où nous sommes restés jusqu'au 23. Une bombe est alors tombée sur la grange à côté de la maison de la rue du Commerce. Nous avons gratté et déblayé les débris pour sortir. En face, la maison de ma grand-mère était démolie. Sur la place Albert 1er, les gens criaient et couraient dans tous les sens. Nous nous sommes dirigés vers l'abri près de la cathédrale et les Américains nous ont refoulés, disant que les Allemands allaient revenir ».
La famille quitte la ville et emprunte alors la route de Bellevaux. « Quelle tragédie ! Malmedy flambait. Nous avons été accueilli vers 18 h par M. et Mme Zangerlé où se trouvaient plein de connaissances. Leur fils, secrétaire de la Croix Rouge, apportait des biscuits. Ses parents ont tué un mouton pour pouvoir nourrir tout le monde. Puis le 4 janvier, il avait beaucoup neigé et un obus a été tiré de Bernister. Nous avons ensuite trouvé refuge dans la cave de l'hôpital où nous aidions les bonnes soeurs en enroulant des bandages ». Lorsque tout s'est terminé, fin février, Élisabeth retrouve son papa et la maison de la rue de la Gare qui n'avait pas été bombardée mais entièrement vidée. « Mais, depuis, les images des destructions ne me quittent plus. je pleure ma grande mère et ma tante restées ensevelies sous les décombres de la maison, et que je suppose enterrées dans la fosse commune au cimetière de Malmedy. »
De son côté, quel souvenir précis André Théatre retient-il de cette période ? « J'ai vécu la poussière, les débris. J'habitais rue Cheminrue et les premiers obus sont tombés sur la ville le 16 décembre à 6 h du matin. Nous sommes allés chercher maman à l'arrière de la maison et avons traversé la cuisine qu'un obus allait fracasser quelques secondes plus tard. Je me souviens de ma tante et de ses deux filles extraites in extremis des ruines de leur maison ».
Durant toute cette période affreuse, c'est-à-dire dès le début des tirs d'artillerie, beaucoup meurent asphyxiés ou brûlés dans les décombres. « On retirait des cadavres qui n'avaient plus d'ongles tant ils avaient gratté le sol pour tenter de s'en sortir. J'ai un ami qui a vu les cadavres de Baugnez arriver sur une locomotive, les mains sur la tête. Le premier était un médecin américain tué d'une balle dans la tête. Ces images sont indélébiles. » Y.H.
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La terrible méprise des avions US
Un Noël de feu et de sang marque à jamais la mémoire des habitants de Malmedy en cette veille de Noël 1944
La Bataille des Ardennes fait rage et les bombardiers américains, cloués au sol par le mauvais temps, viennent de reprendre du service. En ce 23 décembre 1944, une escadrille de 28 bimoteurs de type Marauder décolle de Beauvais (France), avec pour mission la destruction du noeud ferroviaire de Zülpich, en Allemagne.
Le plafond est bas et la visibilité médiocre. Privés de systèmes de localisation efficaces, déviés par la défense antiaérienne très agressive et qui fait des dégâts, les avions partent à l'aveuglette pour déverser leur cargaison. Les conditions sont exécrables et l'erreur de navigation n'est pas loin. Elle se produit à 15 h 26, au moment où les Malmédiens, qui acclament les aviateurs alliés en survol, assistent avec consternation au bombardement de leur ville. Au total, 86 bombes de 250 livres dévastent dans un souffle ardent tout le périmètre entre la place de Rome, la place Albert 1er et Chemin Rue. Partout, des conduites de gaz éventrées crachent des flammes. C'est la pagaille qui s'installe. Les bulldozers et autopompes entrent en action dans le brasier.
À nouveau
Le 24 et 25 décembre Pour les habitants comme pour les GI du 120e régiment d'infanterie, c'est la colère. De son PC à l'hôtel de ville, le colonel Howard Greer avertit le général Hodges de cette tragique méprise. Aussitôt, des banderoles de couleur orange sont étendues aux abords de la ville et sur les toits des principaux édifices importants, afin d'identifier une ville aux mains des américains. Mais rien n'y fait.
Le lendemain, alors que la ville panse ses plaies, le lieutenant Francis W. Towers, venant de Francorchamps, assiste au survol de Malmedy par une formation de dix-huit quadrimoteurs Liberator dont les bombes écrasent cette fois la rue Cavens, l'hospice Sainte Hélène et la salle Nicolet. Les lignes téléphoniques sont coupées et la nouvelle de cette bavure ne parvient pas au QG de la division.
La nuit de Noël sera longue et pénible pour une population désormais privée de tout. Mais cette escadrille, qui visait Bitburg et Cochem, n'est hélas pas la dernière à sévir à Malmedy. Le 25 décembre, une formation de 36 Marauder se dirige vers Saint-Vith. La même erreur d'appréciation se reproduit et 64 bombes de 250 livres dégringolent sur le pont de Warche, la rue des Arsilliers et la rue Abbé Peters.
Le cauchemar dure trois jours. Le bilan en vie humaine est très lourd, et plus de 800 des 1 600 maisons que compte alors la ville sont totalement détruites ou inhabitables. Y. H.
Source : « Stavelot et Malmedy dans la tourmente », un ouvrage écrit par Hubert Laby.
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Leur Noël d'apocalypse, il y a 80 ans
C'était il y a 80 ans tout juste, en décembre 44. Dans la plus grande confusion, et trois jours durant, les escadrilles américaines déversaient sur la ville de Malmedy leur cargaison de bombes. Dans notre édition du 24 décembre dernier, les époux Élisabeth Kreutz et Adrien Théâtre, évoquaient ce Noël d'apocalypse de feu et de sang qui les marqua à jamais. Ils tiennent aujourd'hui à faire quelques précisions quant à certaines informations. « La première chose à rectifier, c'est que la météo n'était pas exécrable du tout ce jour là !, précise la Malmédienne. C'est vrai qu'il avait fait exécrable les huit jours avant, mais tout à coup, le ciel s'était totalement éclairci et il faisait très dégagé ce jour-là, où l'on est sorti de la cave et on a vu les avions ! » Ce 23 décembre 1944, les bombes commencent à tomber, forçant Élisabeth et sa maman à fuir. Elles tenteront de trouver refuge dans le « bunker », un abri creusé par les Allemands et jamais terminé, mais elles se feront refouler par les Américains. « Ils nous ont dit de nous en aller, en criant "qu'ils allaient revenir bombarder", mais sans dire s'il s'agissait des Allemands ou de leurs propres troupes ! » . La preuve que la confusion était totale. « Au poste frontière de l'Eau Rouge, d'ailleurs, les Américains renvoyaient ceux qui voulaient revenir à Malmedy, en faisant savoir que les Allemands y étaient, explique Adrien Théatre. Ils ignoraient donc qu'il y avait toujours des unités américaines ! » La famille d'Élisabeth quitte alors la ville et emprunte la route de Bellevaux où elle sera recueillie par M. et Mme Zangerlé. « Leur fils n'était pas secrétaire de la Croix Rouge, mais bien simple bénévole. C'est lui qui allait chercher les provisions ». De son côté, Adrien Théatre se souvient très bien lui-aussi de ce terrible Noël 44 où il a failli perdre sa maman. « Elle se trouvait à la cuisine à l'arrière de la maison lorsque nous avons commencé à nous chamailler, avec mon frère. Maman est alors venue nous calmer dans nos chambres à l'avant de la maison. C'est à ce moment-là qu'un obus est tombé et a fracassé l'arrière du bâtiment où elle se trouvait juste avant », raconte le Malmédien.
Pour les époux Théâtre-Kreutz, les souvenirs sont toujours bien vivaces. Ils se rappellent parfaitement, aussi, de toutes personnes mortes asphyxiées ou brûlées dans les décombres. « Dès le début des tirs d'artillerie, il y a eu des morts. Mais ce n'est que dès le 23 décembre, que les gens sont morts piégés dans leurs caves. Par ailleurs, ce n'est pas sur une locomotive que sont arrivés les cadavres de Baugnez, mais pas camions américains GMC qui les ont déposés dans la remise des locomotives ! D'ailleurs, il n'y avait pas de chemin de fer depuis Baugnez et les trains ne circulaient de toute façon pas. » Le genre de souvenir que ces témoins de première ligne ne pourront jamais oublier.