Houffalize. La révolution des poubelles
Houffalize. Les nouvelles poubelles sont installées. Comme promis, pour le début des vacances. Des poubelles à canettes en canettes. À la polychromie anarchique.
Ahurissantes. Une horreur pour les uns, un prodige pour les autres.
Ceci est une fiction.
L’interview du bourgmestre
• Monsieur le bourgmestre, que se passe-t-il ? Tout était tranquille (rires).
Non, les canettes et bouteilles en plastique sont un cauchemar. Le mal est là, abyssal. Comme solution, J’ai dès lors imaginé une mise en abyme (rires).
• Ah ?
Oui. C’est le succès de la Vache qui rit.
• Ah ?
Mettre soudain à chaque coin de rue les gens face au vertige de l’infini.
• Ah ?
Une boite de fromage la Vache qui rit est affolante : ses boucles d’oreilles sont des boites de fromage avec des Vache qui rit qui portent elles-mêmes des boites aux oreilles et ainsi de suite, à l’infini.
• Et ?
Ça s’appelle le concept de la mise en abyme, que j’ai appliqué ici : une poubelle dont le contenant et le contenu soient les mêmes. C’est avec des canettes de récup qu’on a fait des poubelles pour y mettre des canettes de récup.
Les gens sont attirés par les couleurs, certes, mais aussi influencés, aspirés par la nature de l’objet.
• Et ça va marcher ?
Monsieur Lebrossu ! Cette mise en abyme interpelle. Elle est insolite. Elle est comique. Elle s’impose irrésistiblement.
Un laboratoire
• Il y a aussi vos poubelles aux entrées de la ville.
Mes poubelles, c’est laid ? C’est du trivial utilitaire ? Les canettes-déchets, c’est sale ? Des choses qu’on cache et dont on ne parle pas, comme les WC ?
Oui, C’est ainsi que nous avons été élevés, dans la répugnance.
Mais Houffalize est devenu le laboratoire d’une révolution copernicienne.
Et il s’indique d’en faire l’affirmation dès l’entrée à chaque visiteur dans la ville.
Poubelles extra muros. Why?
• Et sur les chemins de promenade ?
Premièrement, en promenade, ces poubelles invitent à une conversation qui va s’engager dans l’esprit des gens, et les gens qui cherchent le calme de la nature ont besoin qu’on leur parle sans qu’ils le sachent. L’air de rien nous leur imposons un sujet de haut niveau dans le vent.
• Dans le vent ?
Au sens figuré, rien à voir avec la sphère éolienne qui donne à mes administrés le sang chaud (rires).
Ensuite, quand les touristes s’engagent dans une promenade, pour des raisons psychologiques, il faut renoncer à les exposer à des messages écrits par une autorité considérée comme moralisatrice sur des panneaux, et à des pictogrammes interdisant l’abandon des canettes ou obligeant à ne les point abandonner. Les gens, de plus la plupart non francophones, ont horreur des contraintes dans leur moment de liberté par excellence, les promenades en forêt.
Le profil
• Quel est le profil du buveur de canettes ?
Il faut faire la distinction. Les canettes, c’est en général des buveurs de bière, des mâles testostéronés. La bouteille en plastique, qui relève du même concept, contient des softs et de l’eau.
Mais un psychologue réputé, le professeur Momo la Soudure, m’a dit que même les buveurs d’eau peuvent être déviants (rires), et sur ses conseils j’ai déjà porté plusieurs plaintes contreX (rires).
Le professeur dit également que le buveur à la canette trouve dans l’orifice de celle-ci un renvoi au cunnilingus. Les accrocs à la Jupiler sont des hommes qui savent pourquoi ils le sont (rires).
En revanche, celui qui boit l’eau à la bouteille, c’est parce qu’ainsi elle a un meilleur goût, l’eau (rires).
Le spécialiste de la canette
• Vous êtes vraiment un spécialiste de la canette !
Oui, les gens aiment les canettes, et après un seul usage, ils vont devoir s’en séparer. Antinomie cornélienne.
Ce n’était pas le cas avec des gourdes (rires).
Des œuvres d’art. J’ai osé
• Ils les aiment ?
Oui, chaque canette est une œuvre d’art. Elle est le fruit du travail d’un grand artiste.
Regardez par exemple les inimitables deux « C » de Coca Cola. Il est prouvé qu’ils ont été inspirés par une oreille de Van Gogh dans tous ses autoportraits.
• Laquelle ? (rires)
Et dans chaque poubelle en abyme, il y a des œuvres d’art à l’infini.
J’ai hésité au début. Mais c’est comme un écho qui m’a dit : au nom de l’art, ose ! (rires), et j’ai osé.
Grâce à l’Arbache
• On dit que vos poubelles n’ont pas coûté cher à la commune. Votre légendaire chasseur de subsides ?
Non point. Des canettes vides abandonnées ont été ramenées par des enfants à l’Arbache. Et ses élèves ont procédé au montage.
• L’Arbache, c’est une école de guitare ? (rires).
L’Arbache est un acronyme. Le merveilleux acronyme de l’Athénée Royal de Bastogne Houffalize (rires). L’euphonie et les couleurs réunies.
Mais vous m’excuserez, Monsieur Lebossu, l’interview est terminée, un limier…
Ah ! Promener votre chien… (rires).
Non, le limier, c’est un enquêteur. Toujours l’affaire Lalouch. Mais vous prendrez bien une aspirine ?
René Dislaire © Houffalize, le 28 juin 2018