Cinéma : « L’Aurore », « La Belle et la Meute » et « Le Marquis de Wavrin »
Ce mardi 09 janvier, 0 12h et 20h, au « Caméo », à Namur, le « Service Cinéma » de la Province de Namur nous propose – avec, sous l’écran, un accompagnement au piano, comme prévu, à la grande époque du cinéma muet, – sa première projection de l’année 2018 : « L’Aurore » (« Sunrise, A Song of Two Humans »/Friedrich Wilhelm Murnau/ USA/97′), un film qui fit d’un insipide drame conjugal, une authentique fresque lyrique.
Synopsis : « Une femme de la ville, qui passe ses vacances dans un petit village, séduit un fermier et le convainc de tuer son épouse. Mais au moment de noyer l’épouse dans le lac, le fermier ne s’y résout pas et sa femme s’enfuit attrapant un tramway qui passe. Le fermier la suit, et le tramway amène les deux époux à la ville. Là, progressivement, ils se retrouvent, découvrant le rire et la fête dans l’atmosphère urbaine, avant de s’en retourner chez eux. Mais une violente tempête les attend sur le lac. Le fermier, se croyant le seul survivant du naufrage et son épouse morte pour de bon, tente de tuer la séductrice de la ville. Mais sa femme a pu être sauvée et, au moment où l’aurore se lève, les deux époux se retrouvent dans leur amour, alors que la femme de la ville s’enfuit… »
De cette oeuvre en noir-et-blanc, due au réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau (né Friedrich Wilhelm Plumpe/1888-1931), François Truffaut (1932-1984) écrivit : « c’est le plus beau film du monde ». Confirmant cet avis du réputé cinéaste français, « L’Aurore » obtint trois prix lors de la première cérémonie des « Oscars », en1929, ceux de la « meilleure valeur artistique » (un prix qui ne fut attribué que cette année là), de la « meilleure Actrice » (pour Janet Gaynor) et de la « meilleure Photographie » (pour Charles Rosher et Karl Struss), ce dernier prix soulignant la qualité du tournage des scènes nocturnes, qui constituent l’essentiel de ce film dépeignant une situation-type et des sentiments universels.
De fait, ici, le réalisateur, se gardant d’avoir tourné une fable moraliste, ne souhaitait pas raconter l’histoire particulière de deux personnages, mais bien opposer, sur l’écran, sentiments purs et séduction vénéneuse, fidélité rassurante et dangers de la passion possessive. Ce qui intéresse Friedrich Wilhelm Murnau, inscrivant ses personnages dans des plans composés comme des tableaux et, parfois même, inspirés directement de peintres, tel Edvard Munch (1863-1944), ce sont les forces qui dominent l’homme et peuvent le ramener à la lumière ou, malheureusement, … le faire sombrer dans les ténèbres.
Notons que c’est à l’invitation du producteur américain William Fox (1879-1952/fondateur de la « Fox Film Corporation », qui devint la « Twentieth Century Fox ») que le cinéaste allemand tourna son premier film américain, un budget illimité lui ayant été attribué, … ce dont il ne pouvait rêver dans son pays natal.
L’avant-première de son long-métrage « Tabou » (« Tabu, A Story of The South Seas »/USA/1931/84′) fut projetée à titre postume, Friedrich Wilhelm Murnau étant décédé, une semaine plus tôt, à Santa Clara, en Californie, à quarante-deux ans, à la suite d’un accident de la route.
Ayant été étudiant en philologie, à Berlin, et en histoire de l’art, à Heidelberg, avant d’entreprendre une carrière théâtrale, interrompue par la première guerre mondiale, durant laquelle il servit dans l’aviation, étant fait prisonier, en Suisse, de 1917 à 1919, il inspira son collègue réalisateur français, d’origine grecque, Ado Kyrou (Adonis A. Kyrou/ 1923-1985), qui, en son autre qualité de critique de cinéma, écrivit : « Le génie cinématographique de Murnau fit des prodiges. L’histoire, d’insipide, devint sublime grâce à une prodigieuse science de l’image. »
Toujours au « Caméo », en partenariat avec « Vie féminine Namur », le lendemain, mercredi 10, à 20h, retour au Cinéma contemporain, avec « La Belle et la Meute » (Kaouther Ben Hania/Tunisie-Fra.-Suè.-Nor.-Liban-Qatar-Sui./2017/100′), le film programmé le 1er décembre 2017, à l’occasion du « Gala d’Ouverture » du 17ème “Med » (« Festival du Cinéma méditerranéen de Bruxelles”).
A Namur, la projection de 20h (le film étant déjà projeté, en séance ordinaire, à 12h) sera suivie d’une rencontre avec Aurore Kech, responsable régionale adjointe à « Vie féminine Namur », et Isabelle Paul, cheffe de projets du département « Solidarités sociales » de la Province de Namur.
Synopsis : “A Tunis, lors d’une fête étudiante, Mariam, croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, Mariam erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux, Mariam ayant été violée par des policiers ? …”
Cette fiction est un bouleversant plaidoyer, bien ancré dans la Tunisie d’aujourd’hui, s’inscrivant dans les actuels mouvements pour la libération de la parole des femmes, avec l’espoir que les Tunisiennes puissent, enfin, y accéder.
A noter que cette fiction a été réalisée en neuf plans-séquences, contribuant à nous plonger dans une sensation de réel et générer une tension, avec une préparation proche de celle du théâtre, le choix des acteurs se portant sur des comédiens de théâtre habitués à de longues scènes. Présenté au sein de la section“Un certain Regard” du “Festival de Cannes”, ce long-métrage – aussi bouleversant que glaçant, message indispensable, alarmant mais porteur d’espoir – est décrit par notre collègue Guillemette Odicino, comme un « thriller féministe étonnant, une chronique haletante de la naissance d’une conscience politique ».
Lisons, aussi, la critique cinématographique d’ « Ecran large » : « Impeccablement nuancé, cinématographiquement accompli, interprété avec une précision psychologique qui impressionne souvent, « La Belle et la Meute » est une des créations les plus fortes et abouties, d’un genre qui ne nous avait pas durablement imprimé la rétine depuis le surpuissant « Mustang » (Deniz Gamze Ergüven/Fra.-Tur.-All./2015/97′).
Soulignons que « Le Belle et la Meute » est programmée, en séances ordinaires, au « Caméo », à Namur, et au « Churchill », à Liège, du mercredi 10 au mardi 30 janvier.
Restons donc dans ce même « Churchill », à Liège, où les « Grignoux » programment, un documentaire ethnographique des plus précieux, ce lundi 08, à 20h : « Le Marquis de Wavrin, du Manoir à la Jungle » (Grace Winter et Luc PLantier, avec des images, en noir-et-blanc, de 1913 à 1937, de Robert de Wavrin/Bel./2017/85′).
Chercheuse à la « Cinémathèque royale de Belgique », ayant été formée à l’histoire de l’art et à l’anthropologie, Grace Winter a fouiller les archives du Marquis Robert de Wavrin (1888-1971), qui, entre 1913 et 1937, explora l’Amérique du Sud, étant, vraissemblablement, la première personne à avoir filmé certaines tribus, dont celles des Indiens Jivaros, réducteurs de têtes, étudiant ces peuplades indiennes, principalement dans les bassins de l’Orénoque et de l’Amazone, ayant financé ses explorations avec sa fortune personnelle.
Grâce aux quelques milliers de mètres de pellicules retrouvées à la « Cinematek » et fort bien restaurées, ayant pu découvrir quelques 2.000 négatifs de photos, certains clichés étant sur plaques de verre, et parcourir ses carnets de notes, avec l’appui de son monteur Luc Plantier, Grace Winter nous raconte l’étonnante histoire de ce noble belge exilé par-delà l’Atlantique, qui approchait ces peuples avec un regard dépourvu de préjugés. A eux deux, ils nous présentent un récit passionnant d’une aventure humaine hors-norme, illustré d’images qui, arrachées au passé, respirent au présent, … comme si elles naissaient sous nos yeux… Une rencontre d’un cinéaste filmant sans tabous avec diverses ethnies, dont le mode de vie a été, peu à peu, détruit par l’avancée inexorable de la civilisation moderne… Soyons reconnaissants envers Grace Winter et Luc Plantier d’avoir pu réaliser ce formidable travail de restauration et de mise en forme d’archives précieuses de notre cinémathèque nationale, nous présentant, ainsi, un documentaire exemplaire de rigueur, au suspense digne d’un polar tendu…
Réagissant à l’un des ouvrages rédigés par ce pionnier du cinéma ethnographique, le Roi Léopold III dira : » … le Marquis de Wavrin a parcouru en tous sens le vaste continent sud-américain. Toujours, il a su se concilier la sympathie et gagner la confiance des peuplades au milieu desquelles il fit des séjours de plusieurs années. Cette expérience exceptionnelle, jointe à un sens aigu de l’observation méticuleuse et scientifique, confère une valeur incontestable à son livre, où sont décrites et analysées les croyances religieuses et les pratiques magiques des Indiens… »
Après avoir été projeté à « Bozar » et à « Flagey », fin 2017, les « Grignoux » nous offent une chance de pouvoir retrouver sur l’écran, au contact d’un monde englouti, qu’il aimait cotoyer, cet aristocrate atypique, radicalement non conventionnel, qui, caméra et appareil photographique à la main, arpenta, avec un certain courage physique, des régions sauvages sud-américaines, où l’espérance de vie des Occidentaux était particulièrement ténue…
Yves Calbert, avec des extraits de textes des « Grignoux ».