Le lent déclin du moineau friquet
Le moineau friquet disparaît inexorablement de nos campagnes, victime d’un mode de vie et d’un aménagement du territoire de plus en plus aseptisés. Natagora tire la sonnette d’alarme.
Le moineau friquet est un passereau granivore qui, comme son cousin le moineau domestique, vit souvent en petites colonies. Tous deux sont cavernicoles: ils construisent leurs nids dans des cavités naturelles ( trou dans un arbre ) ou artificielles ( orifice dans un mur ou nichoir ). Mais, contrairement au domestique, mâles et femelles sont semblables chez le friquet. Il vit aussi moins proche de l’homme, car il est plus lié à certains milieux agricoles pour se nourrir. Et surtout, tous les chiffres que nous avons pour le friquet vont dans la même direction, celle d’une dégringolade qui semble inexorable. Les petites causes font les grands déclins Cette raréfaction n’est pas neuve et concerne beaucoup de régions d’Europe. Mais elle semble s’accélérer ces dernières années et représente malheureusement un très bon exemple d’érosion de la biodiversité. De multiples causes, qui ont chacune de petits effets, s’additionnent, comme les petits millimètres rongés chaque année d’une falaise. Les effets sont discrets mais, un jour, la falaise s’écroule. Et quelles sont les causes de son déclin ? Comme l’espèce est cavernicole, on pourrait penser qu’elle souffre d’une disparition des cavités disponibles. C’est en partie vrai, surtout pour les cavités naturelles dans les vieux arbres. Mais les mésanges bleues et charbonnières ne se portent pas mal du tout. Or, le friquet occupe les mêmes cavités, notamment les nichoirs, et c’est peut-être là un premier problème. Car il entre ainsi en compétition et arrive souvent second, car les espèces concurrentes sont avantagées, un peu artificiellement. En effet, le nourrissage dans les jardins pourrait représenter, pour lui, un facteur de déclin.
Les mésanges et le moineau domestique profitent allègrement de la nourriture fournie pas les humains.
Lui beaucoup moins. Les boules de graisse ( qui ne devraient par ailleurs apparaître qu’exceptionnellement ) ne lui conviennent pas, et la majorité des graines fournies non plus. Il se nourrit plus volontiers dans les milieux agricoles et bocagers en compagnie du bruant jaune, car il y trouve une nourriture plus adaptée. On sait qu’il préfère des graines de céréales ou de plantes sauvages et qu’il est aussi plus dépendant des insectes. Cela l’oblige donc à s’éloigner des jardins vers des ressources qui peuvent malheureusement disparaître du jour au lendemain ( haie taillée au ras du sol ou arrachée, bords de voirie fauchés à outrance, champs retournés en quelques heures…). Qui va à la chasse… Or, le fait de s’éloigner des sites de nidification pour accéder à la nourriture ne lui rend pas service. Ses concurrents, qui peuvent avoir des comportements très urbains, restent à proximité des nids. Ils sont là les premiers. Et quand le friquet revient, les territoires se font rares. Auparavant, le moineau friquet trouvait nettement plus de sites de nidifications où il n’était pas désavantagé ( saules têtards, bâtiments isolés en ruines…). Cette nécessité de s’éloigner des habitations le pousse à nicher quasi exclusivement dans des hameaux ou en bordure de village. Or, nos villages s’étalent d’année en année. Et les nouvelles constructions, aux jardins tondus comme de la moquette verte, ne sont pas aussi accueillantes qu’une vieille bâtisse en pierre et son jardin bordé de belles haies sauvages. La rénovation des bâtiments anciens lui porte également souvent préjudice. Où sont les cavités ? Pas de vieux arbres, pas de trous dans les murs, les dessous de corniches sont inaccessibles… Beaucoup de nos villages sont devenus inhospitaliers pour le friquet. Les pesticides, la prédation (notamment celle de nos animaux domestiques), la disparition des vieux vergers, les périodes de sécheresse et le drainage des zones humides sont autant d’autres facteurs aggravants. Le friquet semble en effet plus dépendant de l’eau que le domestique, probablement en raison de son besoin d’insectes plus conséquent. Le friquet pourrait aussi être plus enclin à souffrir d’épidémies. Mais, dans un environnement adéquat, ses populations se reconstituent assez rapidement. Penser chaque action dans un contexte global On comprend donc aisément que chaque nouvelle construction en bord de village, chaque mur trop bien rejointoyé, chaque haie arrachée ou taillée trop courte, chaque chaume de céréales retourné pour y installer une couverture hivernale, chaque friche de bord de route fauchée, chaque drain posé en culture, chaque mésange trop bien nourrie, chaque chat un peu trop bon chasseur, chaque vague de chaleur… pèse d’une manière ou d’une autre sur le cycle de vie du moineau friquet. Et toutes ces actions conjuguées érodent petit à petit ses populations et conduisent à son écroulement.
Et bientôt à sa disparition? Trêve de pessimisme, comment agir ?
Afin de mieux comprendre son déclin et de déterminer sur quels leviers on pourrait le plus efficacement agir, Natagora lance un appel pour récolter un maximum de données. Vous avez encore la chance d’observer le moineau friquet ?
Renseignez vos observations, toute l’année, sur le portail www.observations.be. Notez-y le plus d’informations possible ( type de cavité utilisée pour la nidification, compétition éventuelle avec une autre espèce, ressources alimentaires utilisées…) et n’hésitez pas à joindre des photos. Et vous voulez acheter une maison? Pensez peut-être à la rénovation raisonnée d’un bâtiment existant plutôt qu’à contribuer à l’étalement urbain.
Friquet ou domestique? Les moineaux friquet ( Passer montanus ) et domestique ( Passer domesticus ) sont difficiles à distinguer, Le moineau friquet est un peu plus petit que le moineau domestique. Le friquet se caractérise par la tâche noire sur les joues blanches et par son collier blanc qui fait presque le tour du cou. La tête, la nuque et le croupion sont marron.
Texte : Jean-Sébastien Rousseau-Piot, département études de Natagora