Souvenirs « L' épidémie variolique de 1962 »
En ce début d’année 1962, on constate plusieurs zones de contaminations en Europe, à Londres – on craint pour le port d’Anvers – et sur l’île de Madère.
Dès l’apparition des cas, les communes belges limitrophes de Raeren et Eynaten proposent des séances de vaccination organisée – à Malmedy, elle a lieu le 12 février. Début février, les postes frontières sont fermés.
Durant ce deuxième mois de l’année, l’épidémie se répand du côté allemand – mais ne passe toujours pas la frontière. Le vendredi 23, l’OMS déclare Aix-la-Chapelle « zone d’infection variolique » et aller en Belgique n’est possible qu’avec un certificat de vaccination.
La veille, s’était déroulé le troisième jeudi gras sans restriction particulière. Les journaux de l’époque évoquent la variole de l’Eifel sur la même page que les fêtes malmédiennes sans notifier de préoccupation côté belge. Les autorités ne semblent pas non plus paniquées : le même vendredi 23, le pouvoir communal prenait les dispositions habituelles pour le long weekend de carnaval. Le public attend avec impatience et sans inquiétude le Cwarmê fixé au 3 mars – impatience accrue avec la présence d’une délégation venant de Beaune pour inaugurer un jumelage.
Le mercredi 28, on envisage des mesures de protection pour les carnavals belges, notamment celle d’en interdire la participation aux Allemands. Enfin – et hélas – le jeudi 1er mars et quatrième jeudi gras, le couperet tombe : « Sont provisoirement interdits sur tout l’Arrondissement de Verviers, les cortèges de tout caractère, les bals, l’accès aux salles de spectacles, aux piscines et bassins de natation, les pèlerinages, les meetings de tout genre, et toute autre manifestation susceptible de provoquer de grands rassemblements en lieux publics ou accessibles au public ». Ainsi, le premier article de l’arrêté du Commissaire d’arrondissement Hoen empêche les festivités dans toute la région. Cependant, pas de confinement strict, pas de fermeture des commerces ni des cafés. L’interdiction se limite aux grandes concentrations. On a surtout peur des Allemands et des travailleurs transfrontaliers.
À cette date, on ne pense qu’aux prochains Cwarmê ( dimanche 3 mars ), Rosenmontag ( lundi 4 ) et tous les mardis gras dans les différentes localités.
Très vite, des réactions se font entendre. C’est l’incompréhension – « pourquoi attendre le premier mars alors que la variole sévit depuis de nombreuses semaines à la frontière [?] ». C’est aussi l’abattement. Il y a des frais de victuailles – dont cinq tonnes d’oranges pour les Pierrots – qui ont été engagés ; les nuits d’hôtels annulées etc. À Eupen, on n’envisage pas de déplacer les festivités, les deniers investis dans les chars des huit sociétés vont être perdus.
Il y a aussi l’attachement au folklore. Des enfants se font photographier devant l’hôtel de ville de Malmedy sous une banderole « Nous voulons le carnaval ». Dans l’édition du 3 mars des Nouvelles de Malmedy, les cinq sociétés royales annoncent qu’elles reportent le Cwarmê du jeudi 26 avril au mardi 1er mai. À La Calamine, on attend des nouvelles de Herve, histoire de voir si son carnaval peut se caser à la même date que la Cavalcade prévue initialement le 23 avril – lundi de Pâques.
Si la fête n’a pas l’ampleur à laquelle on devait s’attendre, fête il y a. On voit déambuler de petits groupes de costumés le dimanche 4 mars dans les rues de Malmedy, plus pour célébrer la disparition du carnaval que la fin de l’hiver. Les quelques résistants font montre de la satirique souvent rencontrée durant cette période : un pseudo avis mortuaire au Cwarmê d’Mam’dî, des personnes déguisées en médecins vaccinant les passants, des malades du virus et surtout la pose d’une haguète terrassée avec à ses pieds une couronne de fleurs et un drapeau français brodé « Beaune » en berne1. Ici, comme à Eupen et La Calamine, c’est surtout dans les bars que les gens s’attroupent pour les réjouissances sans craindre une sanction.
On apprend le mercredi 13 mars, que certaines restrictions sont levées : les salles de spectacle et cinémas peuvent rouvrir leurs portes au public – bonne nouvelle pour les fans de Sophia Loren et Clark Gable, à l’affiche de C’est arrivé à Naples ce weekend-là. Les « bals, cortèges […] et toutes autres manifestations susceptibles d’amener des Allemands dans la région de Verviers » restent proscrits. À Stavelot, on ne semble pas vraiment inquiet et le comité des fêtes fait la promotion du Laetare prévu le 1er avril.
Néanmoins, le vendredi 23 mars, le commissaire d’arrondissement Hoen et l’inspecteur de l’hygiène Legros se rendent dans les kreise voisins et décident de maintenir l’interdiction des grands rassemblements. C’en est bien fini des Laetare de Stavelot et de Welkenraedt du 1er avril – on apprend quelques jours plus tard que le carnaval des Blancs Moussis est postposé au 13 mai.
L’épidémie semble pourtant être sous contrôle. Le nombre de cas de variole n’augmente plus. Le mercredi 4 avril, toutes les restrictions sont levées. Au conseil communal de Malmedy, on déplore autant de privations pour rien, tant du côté de l’opposition que celui du bourgmestre Joseph Cerexhe. On reproche à ce dernier de ne pas avoir aidé les cafetiers en annulant l’exception à l’heure de police pour les nuits du 3 au 7 mars, ce qui aurait pu compenser un peu les pertes.
La variole tua une personne dans l’Eifel, en laissa quatre avec de sérieuses séquelles..
Si, au bout du compte, le Cwarmê aura bien eu lieu le 29 avril 1962 avec la parade habituelle – en présence d’une délégation de Beaune – on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la situation actuelle : manque à gagner pour les indépendants – rien ne fut décidé pour dédommager ou simplement aider les commerçants victimes des restrictions –, fermetures de frontières et campagnes publiques de vaccination dont les médias faisaient la publicité.
En attendant le Cwarmê 2022 !!!
© Matthieu de « Wamabi – Bibliothèques de Waimes et de Malmedy »