A la découverte de l'est de la Belgique, notre jardin extraordinaire trop souvent méconnu

Les destinations à l'est de la Belgique rencontrent un succès qui fait de cette partie du royaume un paradis de paysages d'une extrême douceur. Virée dans un modèle touristique qui cherche aussi à équilibrer fréquentation et préservation de la nature.
L' Our a la particularité d'être la seule rivière de Belgique à s'écouler du nord, où elle prend sa source à une altitude de 653 mètres, vers le sud, où elle se jette dans la Sûre. À certains moments, si elle fait pratiquement office de frontière entre la Belgique et l'Allemagne, elle s'érige aussi en habitat de choix pour de nombreuses espèces tout en créant de magnifiques méandres qu'il est tout à fait possible d'admirer grâce à de nombreuses promenades. Deux des plus belles d'entre elles démarrent à seulement une quinzaine de kilomètres de distance l'une de l'autre. "La vallée des papillons" s'élance de l'église de Schönberg et suit un joli trajet de neuf kilomètres entre la vallée du Kleinweberbach, celle du Grossweberbach et bien entendu l'Our, à la recherche de lépidoptères.
Au départ de la rue Peckeneck à Burg-Reuland, la balade "Au pays des chevaliers" plonge quant à elle dans le massif montagneux de l'Eifel. Idéale pour les familles, elle mêle un passage sur le RAVeL à une traversée des bois puis une ascension vers le château de Burg-Reuland. De là-haut, la vue sur la vallée de l'Our est imprenable. Elle permet de se faire un aperçu de la formidable nature qui recouvre la zone correspondant à l'arrondissement de Verviers. Cette région, la plus à l'est de la province de Liège, compte cinq majestueux lacs, le point culminant du pays, des forêts à perte de vue et même neuf des dix communes wallonnes dont le territoire présente le plus haut taux de prairies, prés permanents et jardins résidentiels. Inévitablement, les touristes ne s'y trompent pas…
Il y a quelques mois, l'Observatoire wallon du tourisme a publié son dernier rapport qui détermine le niveau d'attractivité touristique des communes wallonnes en fonction de la fréquentation des attractions, des nuitées dans les hébergements touristiques reconnus et de la capacité d'accueil de ces derniers. Sans surprise, pas moins de huit communes de l'arrondissement de Verviers y ont obtenu un score supérieur à 7 sur une échelle de 0,5 à 10. "Le territoire est évidemment déjà très intéressant par essence grâce à sa nature, entame Geoffrey Moulart, directeur de la communication de VISITwallonia, pour expliquer le succès de l'est de la Belgique. Il tire aussi parti d'une convergence des forces puisque c'est une région qui accueille beaucoup d'événements - les Francofolies à Spa et les courses de F1, les carnavals - d'où partent une multitude de balades et où il existe une solide offre wellness. Il y a toujours une raison de s'y rendre, quelle que soit la période de l'année."
Le "Grand Est" bénéficie également d'un positionnement idéal en bordure des frontières néerlandaise et allemande ainsi qu'un bout de frontière luxembourgeoise. "Le bilinguisme allemand - français de nombreux habitants des Cantons permet ainsi d'attirer beaucoup de gens originaires de la région d'Eifel, qui possède un très gros bassin de population, se réjouit Jef Schuwer, responsable de la communication pour l'agence du tourisme Ostbelgien. Et puis nous connaissons très bien notre territoire: j'ai moi-même participé au développement de la Venntrilogie (sentier de randonnée de 109 km - NDLR) en enfilant mes chaussures et en préparant le balisage. Ici, les acteurs touristiques sont véritablement amoureux de leur terroir."
Produits d'appel et du terroir
À deux pas de la frontière allemande, en direction de Montjoie, la promenade "Im Platten Venn" s'échappe d'emblée sur des caillebotis pour permettre une exploration idéale de la fagne de Brackvenn. Le randonneur y admire des lithalses, ces champs de dépressions fermées et palustres, ou plus simplement ces cuvettes remplies de tourbes entourées d'un rempart plus ou moins circulaire. Ici, le paysage est rythmé par des étendues d'eau qui semblent intactes, sauvages, entourées de roseaux et survolées par des mouchettes en tout genre. Par endroits, des immensités de linaigrettes, ces fleurs dont la tête ressemble à un poussin rempli de plumes, parsèment un sol dont la couleur jaune semble venir d'un autre monde.
Aujourd'hui, ils sont plusieurs dizaines de badauds à se croiser sous le soleil, mais de l'aveu de Jef Schuwer, il a fallu plusieurs années de travail et une stratégie touristique solide pour que les Cantons de l'Est acquièrent cette renommée. "Désormais, on est plutôt dans un esprit de mise en tourisme, explique-t-il. Avec des moyens limités comme les nôtres, si on tire dans tous les sens, on n'en récolte pas les fruits. Il y a une dizaine d'années, on a donc décidé de se focaliser sur la randonnée et le vélo, ce qui était assez précurseur à l'époque."
À une trentaine de kilomètres - à vol d'oiseau - plus au nord, les landes laissent place à des paysages bocagers où les prairies sont bordées de haies vives, constellées de fleurs ou envahies de vergers. Irrigués par des cours d'eau comme la Vesdre, la Berwinne ou encore la Gueule, les sols du Pays de Herve sont devenus propices aux herbages. "Je suis persuadée que cet aspect "vert" attire fortement les visiteurs, d'autant que les lignes de crête et leurs paysages dégagés apportent quelque chose de différent par rapport à la fagne ou la forêt." Depuis 2002, Anne Zinnen est directrice de la Maison du tourisme du Pays de Herve, qui rassemble douze communes et promeut principalement les aspects "paysage" et "produits du terroir". "On n'hésite pas à encourager des expériences mêlant gastronomie et balade. Parce que tout est lié."
Encerclée par deux voies de RAVeL assez populaires - la ligne 38 et un peu plus loin le RAVeL de Meuse -, la région de Herve est également dotée d'un réseau points-nœuds particulièrement riche. Pour faciliter la découverte pour tous, la Maison du tourisme propose donc à la location des vélos de trekking et des tuk-tuk, ces tricycles à assistance électrique qui permettent à trois personnes de voyager ensemble. Et quand il s'agit de se sustenter ou de s'abreuver, le pays peut compter sur une tradition séculaire de producteurs de fromages, cidres, sirops et autres bières. "C es activités se perpétuent au fil du temps , se réjouit Anne Zinnen. I l s'agit souvent d'héritages familiaux, mais on voit aussi apparaître de temps en temps de nouvelles têtes, tandis que les plus implantés n'hésitent pas à diversifier leur offre: le vin, par exemple, a le vent en poupe."
Art du greffage et balade guidée
Dans le "Grand Est belge", chaque sous-région développe bien entendu ses spécificités, du tourisme de mémoire pour Bullange, Welkenraedt et Saint-Vith aux visites urbaines pour Verviers et Stavelot, en passant par le très séduisant pôle thermal de Spa. Mais les plus grands dénominateurs communs restent bien sûr l'aventure et la nature, que différentes initiatives visent à protéger. Depuis les années 1990, de nombreux agriculteurs de l'arrondissement reçoivent ainsi des compensations financières de l'Union européenne et de la Wallonie s'ils respectent des MAEC, pour Mesures agro-environnementales et climatiques. Ils s'engagent alors à maintenir arbres, haies et vergers hautes tiges, à gérer les prairies de manière naturelle ou encore à créer des bandes fleuries.
Au Pays de Herve, pour reproduire les variétés locales d'arbres fruitiers, on cultive également l'art du greffage. Cette technique de clonage consiste à associer un rameau de l'arbre à reproduire à un autre pour préserver ainsi leur robustesse ou leurs fruits charnus. Face à l'afflux important de touristes, encore accru depuis la période du Covid, d'autres adaptations et politiques sont par ailleurs nécessaires pour éviter la détérioration de cette si précieuse nature. "À défaut d'interdire, nous préférons inspirer autrement, pose Jef Schuwer d'Ostbelgien. L 'an dernier, nous avons notamment mené une campagne autour des balades méconnues à faire dans les Hautes Fagnes. Un artiste a composé des œuvres que l'on peut écouter en effectuant certaines balades. Nous devons profiter de l'étendue de notre région pour dispatcher au maximum le public." Ostbelgien projette aussi de placer des compteurs le long de sentiers pour garder un œil sur la fréquentation et identifier les zones de pression pour éventuellement modifier sa promotion. "En revanche, là où certains craignent la profusion de VTTistes, on a choisi de développer en amont les meilleurs itinéraires possibles pour éviter qu'ils ne le créent eux-mêmes, au détriment de la nature." De sa très belle réserve de la vallée de la Holzwarche où elle coorganise chaque année la Fête de la jonquille, Francine Cremer sait mieux que quiconque à quel point l'éducation à l'environnement est une tâche à la fois ardue et Les paysages des Hautes Fagnes.
Les caillebotis vers la fagne de Brackvenn. passionnante. "En Allemagne, il existe une tradition de la randonnée respectueuse: il n'y a pas besoin de poubelles le long des sentiers pour s'assurer qu'il n'y ait pas de déchets. Ici, c'est encore un travail quotidien", glisse l'animatrice de Natagora qui s'apprête à mettre fin à une riche carrière de plusieurs décennies. Elle aura été jalonnée d'activités de gestion des réserves naturelles comme le débroussaillage ou la récolte d'herbe et de plantes pour faire du foin, mais surtout de balades qu'elle a guidées sur des thèmes aussi variés que les plantes médicinales, les oiseaux ou les champignons.
Risques de surfréquentation
"C'est une chose d'instruire les visiteurs sur les comportements à adopter via les cartes, les plans ou les outils digitaux, mais c'est encore mieux de les accompagner sur le terrain", sourit Francine, qui a donc dédié de nombreuses heures aux sorties en trekking avec des jeunes de 13 à 18 ans. Une expérience qu'elle estime d'une grande richesse. "Ils ont toujours été bien loin de l'image de désintérêt qu'on prête aux ados, ce n'était pas difficile de les captiver. Je me rappelle même que certains voulaient me donner leur GSM en début d'activité. Je leur laissais pour qu'ils puissent faire des photos, mais personne ne le sortait de sa poche tellement ils étaient hypnotisés!"
Autres acteurs incontournables de la défense de l'environnement: les parcs naturels. En partenariat avec le Commissariat général au Tourisme, la Fédération des Parcs naturels de Wallonie a d'ailleurs récemment publié une nouvelle brochure, "Vers un tourisme durable sur votre territoire", à destination des opérateurs touristiques et territoriaux. On y trouve des conseils concrets pour soutenir des porteurs de projets écoresponsables, veiller et diversifier les activités pour s'adapter aux changements de pratiques touristiques, ou encore établir des partenariats avec des acteurs de la santé ou issus de domaines créatifs.
Dans son analyse paysagère publiée en 2023, le Parc naturel des Sources, qui couvre les communes de Spa et Stoumont, se penchait quant à lui sur des menaces liées au surtourisme. "C'est notamment l'occasion d'inciter les autorités à contenir le développement parfois anarchique de logements insolites façon cabanes dans les arbres, qui perturbent le milieu par la présence et l'activité humaine", commente Valérie Dumoulin, directrice du Parc. Une façon aussi de rappeler que la révision en cours de l'Atlas des chemins vicinaux risque de réduire le réseau de chemins accessibles - ce qui pourrait augmenter l'affluence sur les plus populaires. "Le Parc naturel dispose toutefois d'un "cadastre des chemins et sentiers" qui répertorie pas moins de 1.116 kilomètres de petites voiries à explorer", ajoute la directrice.
Un deuxième volet de l'analyse, prévu pour 2026, consistera en un outil d'aide à la décision. Ces excursions "orientales" nécessitent presque exclusivement l'usage de la voiture… "On peut éventuellement atteindre le Pays de Herve via la gare de Welkenraedt, mais comment va-t-on à l'abbaye du Val-Dieu ensuite?", interroge Anne Zinnen, qui précise qu'un projet de bus à arrêts multiples et à bas prix a bien été envisagé, puis écarté car beaucoup trop onéreux. "De manière générale, la Wallonie est en train de travailler à sa mobilité , rassure toutefois Geoffrey Moulart de VISITWallonia. Des projets de lignes TEC "évasion" , par exemple, sont en plein développement et il ne faut pas oublier que plus de 1.300 kilomètres de voies vertes sont accessibles aux cyclistes." Cette absence d'un réseau robuste de transports en commun a toutefois cette grande force de favoriser le voyage en itinérance. Et pourquoi pas du nord au sud? Un peu comme l'Our…
Michèle Danis ( Moustique )