Houffalize. Le gland, la citrouille et le petit pastoureau - Poésie – Wallon et français - Spécial Halloween 2023
Houffalize. Le gland, la citrouille et le petit pastoureau -
Poésie – Wallon et français - Spécial Halloween 2023
C’èsteût a Oufalijîje, on p’tit wârdeû
D’poûrcès. I s’louméve Nènèsse.
Tos lès matins so l’Hâye i mineût ses bièsses
Al copète intèr do Bwès dès Mon.nes èt Tavèrneûs.
C’était à Houffalize, un petit gardien (public)
De cochons. Il s’appelait Nènèsse (Ernest).
Tous les matins sur la Haie il menait ses bêtes
Au sommet, entre le Bois des Moines et Taverneux.
C’èst la k’o l’èsté lès ovrîs dès tènèrîyes
Ki cloyint di l’fâte dès mâlès odeûrs
Lès mwès dès fwatès tchaleûrs,
Tinint chake si p’tit corti.
C’est là qu’en été les ouvriers des tanneries
Qui chômaient (fermaient) à cause des puanteurs
Les mois des fortes chaleurs
Tenaient chacun un petit jardin potager.
Il aveût soné l’anjélus’ di non.ne.
Nènèsse drova s’botèye di riguinguin
Èt apiça s’crosse crovi d’doûs sayin.
Lèvé divant l’djoûr, magni valéve lès pon.nes.
Il avait sonné l’angélus de midi.
Nènèsse ouvrit sa bouteille de riguinguin
Et empoigna sa croûte (de pain) couverte de doux saindoux.
Levé au point du jour, manger en valait la peine.
Conte d’on tchin.ne, assis foû do slo,
One fîye vudi si reûde mûzète
Divant d’èdoumer one pitite sokète.
I pinsa « li bon Dju èst vormint sot ».
Contre un chêne, assis à l’ombre (hors du soleil),
Une fois sa musette de grosse toile vide
Avant d’entamer une petite sieste
(dormir comme une petite souche).
Il pensa : « le bon Dieu est ma foi bien sot ».
I riloukéve su l’Hâye on clapant cwaré.
Lès riluhantès fouyes dès bèlès bètes ;
Dès royes di rècines et dès royes di porètes,
Èt dès blinkants potirans crèchis èwarés.
Il regardait sur la Haie un très joli carré (de jardin).
Les feuilles reluisantes des belles bettes (salades) ;
Des lignées de carottes et des lignées de poireaux
Et des éclatants brillants potirons (citrouilles)
qui avaient grandi hors normes.
« Aveûr èmantchi su des sakinès fènèsses
« Dès pèzantès citrouyes di l’sôrte, di-st-i,
« Kihîrtchis coûtchis o l’tère dès cortis !
« Li bon Dju n’aveût sûr nin tote si tièsse.
« Avoir emmanché sur des simples tiges
« Des telles lourdes citrouilles, se dit-il,
« Traînant couchées sur la terre des jardins !
« Le bon Dieu n’avait certes pas toute sa tête.
« O l’plèce di les fé crèchi âs-z-ès coches dès âbes
« Come li fwart tchin.ne ki dji su stâré d’zos,
« Â grand èr i-z-ârint pou divni co pus gros.
« Lès vèy ramper dins lès pièrzins c’est lamintâbe.
« Au lieu de les faire croître aux branches des arbres
« Comme le robuste chêne sous lequel je me repose (je suis « étalé »)
« Au grand air ils auraient pu devenir encore plus gros.
« Les voir ramper au milieu du persil, c’est lamentable. »
« Mins lès tchin.nes pwartèt des glands,
« On p’tit frut ki ravisse al rodje bètchète
« Di çou k'dja honteûz’mint podrî m’brâyète.
« Candji citrouyes èt glands sèreût pus plèzant.
« Mais les chênes portent des glands,
« Un petit fruit qui ressemble à la rouge extrémité
« De ce que j’ai avec honte derrière ma braguette.
« Permuter citrouilles et glands serait plus avenant. »
Nâhi po d’bon li djône hèrdî s’èdwarma.
Vla-t-i nin k’on gland li toume su l’nèrène.
On côp d’vint aveût fét frûz’ner l’tchin.ne
Èt tot sbèré subito prèsto i s’dispyèrta.
Fatigué pour de bon le jeune herdier s’endormit.
Ne voilà-t-il pas qu’un gland lui tombe sur le nez (la narine)
Un coup de vent avait fait frissonner le chêne.
Et tout effrayé subitement il se réveilla.
« Li bon Dju a pûni mes mâlès pinsées.
« One citrouye s’âreût abatou su m’djève
« Dji sèreûs missi èt moutwè k’dji moréve ».
Èt Nènèsse ricnocha ki l’monde n’èst nin si mâ fét.
« Le bon Dieu a puni mes mauvaises pensées.
« Si une citrouille s’était abattue sur mon visage
« Je serais assommé (maqué) et peut-être serais-je mort. »
Et Nènèsse reconnut que le monde n’est pas si mal fait.
René Dislaire © Houffalize, le 28.10.2023.
Wallon de Houffalize - Walon d'Oufalîje
Observations
1. Les deux premiers paragraphes se rapportent à de l’authentique. Dans les petites villes dont l’activité était la tannerie, le travail était suspendu pendant les mois chauds, à cause des fortes odeurs.
Les ouvriers de tanneries ne gagnaient pas lourd et se consacraient à un potager situé sur les hauteurs plus fertiles. On appelait ces potagers des « haies » (hâyes en wallon ; prononcer le « a » long et le mot comme « âil » ; pas haye comme dans La Haye).
2. Angelus. Prière prononcée à midi. Les cloches des églises sonnaient, ce qui était un repère de la mi-journée : les gens n’avaient pas de montre (voir la peinture « L’Angelus » de Millet).
3. Riguinguin. Boisson préparée avec de l’eau, du vinaigre, un peu de sucre. C’est ce que l’on emportait dans une gourde pour les travaux à l’extérieur : cultivateurs, forestiers, corps de métiers. Riguinguin à Houffalize, rikinkin, rakinkin et autres variantes ailleurs. Origine commune avec le mot requinquant, donc pour se requinquer.
4. Reûde mûzète. Pas de plastique à l’époque. Le tissu ordinaire aurait fait long feu dans les conditions de travail des ouvriers. Le cuir : trop cher. « Reûde » signifie « raide ». Comme le sac des meuniers. Dil reûde teuye dès satchs di mounî. De la toile raide comme la toile des sacs de meunier.
5. La fable de La Fontaine est visible parmi les photos.
Lien vers une description du petit pastoureau, Thier des Cochons, su l'Hâye à Houffalize, par Camille Lemonnier, le Zola belge (vers 1900):
www.ardenneweb.eu/reportages/2020/houffalize-lemonnier-dormir-du-bon-som...
Houffalize. Lemonnier. Dormir du " bon sommeil stupide des bêtes" (ardenneweb.eu)
Présentation
C’èsteût a Oufalijîje, on p’tit wârdeû d'’poûrcès. I s’louméve Nènèsse. C’était à Houffalize, un petit gardien (public) de cochons. Il s’appelait Nènèsse (Ernest).