"Le Secret des Espadons", pour les 75 ans de Blake et Mortimer, au "CBBD", une expo prolongée jusqu'au 1er Mai

écrit par YvesCalbert
le 09/04/2022

Excellente nouvelle pour tous les amateurs de bandes dessinées et plus particulièrement pour les « fans » de  « Blake et Mortimer », « Le Secret des Espadons », l’exposition du « Musée de la Bande dessinnée »  (« CBBD ») est prolongée jusqu’au dimanche 1er mai, étant produite en collaboration avec les « Editions Blake et Mortimer » et la « Fondation E. P. Jacobs », avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région de Bruxelles Capitale.

Indéniablement, montée à l’occasion du 75è anniversaire de la création des « Aventures de Blake et Mortimer »,  cette « petite » exposition, en superficie, s’avère être très intéressante, nous permettant de mieux connaître Edgar P. Jacobs (Edgard Félix Pierre Jacobs/1904-1987), dès la première salle, où la vie de cet auteur – à la capacité  d’anticipation stupéfiante – nous est contée, de sa naissance jusqu’à son entrée au « Journal Tintin », dès son  premier numéro (26 septembre 1946), alors qu’il avait été repéré par « Hergé » (Georges Remi/1907-1983) pour ses talents de coloriste (« Je crois en ce q’il fait », avait-il confié aux « Cahiers de la Bande dessinée »).

Sa première BD personnelle fut « Le Rayon U », une adaptation du « Flash Gordon » de l’auteur américain Alex Raymond (Alexandre Gillespie Raymond/1909-1956), dont il avait dû, lui-même achever une aventure, les  productions américaines n’étant plus acheminées en Belgique, des suites de la seconde guerre mondiale et de la censure allemande, … qui l’avait amené à terminer, en une page, une aventure de cet héros américain.

Egalement, « Le Rayon U » est la première bande dessinée belge de science-fiction, publiée, en couleurs, de 1943 à 1945, dans le magazine « Bravo » (1940-1951), avant de connaître une première édition, en album à l’italienne,  en noir et blanc (Ed. « RTP »/1967).

Outre la présence de quelques anciennes photos, en noir et blanc, prêtées par la« Fondation EP Jacobs », au sein de cette présentation au « CBBD », nous lisons divers propos d’Edgar P. Jacobs : « De cette époque – j’avais alors 11 ans – datent également mes premiers contacts avec ce que l’on pourrait appeler les rudiments techniques du dessin professionnel. A cette occasion, mon père m’avait remis, avec solennité et moulte recommandations, un minuscule flacon d’encre de chine Yang Tsé, une plume emmanchée sur un minuscule porte-plume d’ivoire, ainsi qu’une petite loupe. Dès lors, la mise à l’encre devint l’objet de tout un rituel compliqué » (1915) …

« …Je suis ainsi amené à à exercé divers métiers, tous plus éphémères que peu rémunérateurs : dessinateur de bijoux et d’orfévrerie (à 40 francs par semaine {ndlr : un peu moins d’un Euro}, dimanches et fêtes non payés),  dessinateur de dentelles, retoucheur de photographies, dessinateur de publicités et, enfin, dessinateur de catalogues ... » (1920).

« … Voici qu’à présent je suis chargé par le chef de bataillon de réaliser, en dehors des heures de service, des tableaux didactiques sur l’armement, destinés à l’enseignement théorique des recrues. Et me volià derechef replongé dans le travail de catalogue. Il s’agissait, en effet de reproduire à grandeur et de façon la plus fidèle des ‘éclatés’ et les différentes pièces, du moindre ressort au plus petit boulon, de tous les engins alors en usage dans l’infanterie, de sorte que la panoplie du ‘parfait petit fantassin’ n’eut bientôt plus aucun secret pour moi » (1924).

Alors qu’en 1912, comme écolier, il avait déjà été un figurant, sur la scène du « Cirque Royal », à Bruxelles, à 13 ans, Edgar P. Jacobs accompagna son père au « Théâtre des Galeries », pour assister à une représentation  de  « Faust », de Charles Gounod (1818-1893), un opéra, créé à Paris, en 1859.

Ce fut le « coup de foudre » qui l’amena à s’initier à l’art lyrique, obtenant, en 1929, pour ses qualités de chanteur, un « Premier Prix d’Excellence », qui lui permit d’obtenir un contrat, comme baryton, à l’ « Opéra de Lille », épousant, en 1930, Léonie Bervelt, dite « Ninie », une chanteuse d’opérette.

Si une vitrine illustre sa carrière théâtrale – avec un costume de pirate, porté sur scène, dans « La Malédiction », ainsi qu‘une malle de vêtements et des photos de lui, comme acteur -, c’est grâce à ses dessins, de catalogues,  publicités et autres, qu’il arrondissait ses fins de mois, avant que la reprise de « Flash Gordon » et « Le Rayon U », ne le lancent dans le secteur de la bande dessinée, ce qui, dans sa jeunesse, n’était nullement son aspiration.

Avant de se concentrer entièrement à sa série des « Aventures de Blake et Mortimer », dès 1946, il assista  « Hergé »,  pour la refonte en quadrichromie de plusieurs albums de « Tintin », notamment de sa 11è aventure  « Les 7 Boules de Cristal » (Ed. « Casterman »), dont la première case se déroule sur une … scène de théâtre, … un univers qu’Edgar P. Jacobs avait particulièrement bien connu.

Une anecdote prouvant l’estime qu’ « Hergé » portait à son ami Edgar P. Jacobs, dans le 15è album de son principal héros, « Tintin au Pays de l’Or Noir » (Ed. « Casterman »/1950), il fait dire à « Tintin » : « On se croirait dans la base secrète de l’ ‘Espadon’ ».

Par ailleurs, dans le « Journal Tintin », Edgar P. Jacobs , spécialiste de la mise en scène, des décors et de l’expression des couleurs, écrivit : « Vous seriez stupéfaits si je vous montrais la masse de documents qu’il m’a fallu rassembler, avant de tracer un seul coup de crayon. »

A l’occasion de sa toute première séance de dédicaces, le 28 décembre 1950, il déclara : « Je destinais mes histoires à des adultes ou des ados. J’ai été surpris de voir défiler des jeunes de moins de 15 ans. »

Si les jeunes, au XXIè siècle peuvent s’étonner, à juste titre, du peu de femmes dessinées par « Hergé », dans toutes ses « Aventures de Tintin », Edgar P. Jacobs fit mieux encore, puisqu’au sein du tome 2 du « Secret de  l’Espadon », nous ne pouvons observer qu’une seule présence féminine, dans la dernière case de la page 20, de sa version originale, ce dernier auteur ayant déclaré, en 1984 : « Un ensemble de préjugés, d’obscurs complexes sévissaient, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du ‘Journal Tintin’. » 

Dans son ensemble, cette exposition nous propose une immersion dans le processus créatif d’ Edgar P. Jacobs, décryptant toute la symbolique que l’on retrouve dans cette première œuvre, que les « Editions du Lombard »  finirent à éditer en un seul ouvrage, en 1964, à l’image de l’édition originale italienne du premier album des  « Aventures de Corto Maltese », d’Hugo Pratt (1927-1995).

Notons qu’Edgar P. Jacobs, lauréat de deux médailles militaires, reçut, à Bruxelles, en 1971, un « Grand Prix Saint-Michel », attribué pour l’ensemble de son oeuvre, et, en 1977, un « Prix Saint-Michel du meilleur Dessinateur de Science-Fiction », pour « Les trois Formules du Professeur Sato », ainsi qu’à Paris, un « Grand Prix de l’Académie Charles Cross », pour « La Marque Jaune », adaptée en disque vinyle 33 tours, sachant que la firme "Philips" réalisa, aussi une adaptation discographique du "Secret de l'Espadon".

Ses diférentes médailles et la pochette de son vinyle étant présentées en vitrines, de même que de superbes  planches originales, d’autres en fac-similés, des bleus de couleurs, des crayonnés, des assortiments de ses crayons, pinceaux et aquarelles, des articles de journeaux (dont un, édité à Los Angeles, nous présentant, en 1953, un « Douglas X3 », fort semblable à ses « Espadons » de papier), de nombreuses photographies  (dont  l’une devant sa collection d’armes ou une autre de son frère, décédé au combat, le 10 mai 1944), divers objets  personnels, des recherches historiques (comme une évocation, dans l’une de ses cases, de la célèbre photographie dévoilant le drapeau américain planté sur l’île d’Iwo Jima, qu’Edgar P. Jacobs remplaça, en dessin, par la banière britannique), …, …, …

Commissaire de l’exposition, avec Daniel Couvreur, évoquant « Le Secret de l’Espadon », Eric Dubois déclara :  « Très moderne par sa facture qui préfigure les romans graphiques actuels : un récit long de 146 planches mais écrit d’un seul tenant au contraire des feuilletons de l’époque, dont la trame s’adaptait aux aléas du moment. Moderne dans le design de ses machines et particulièrement de l’ ‘Espadon’, dont le principe, fusée-sous-marin, mi-drône, mi-avion fait encore l’objet de recherches militaires actuellement … Un récit certes daté, mais encore d’une étonnante modernité ».

Lisons, aussi, ce qu’en disent les deux dessinateurs du 28è opus des « Aventures de Blake et Mortimer », « Le dernier Espadon » :

« Le monde d’Edgar P. Jacobs met en scène une réalité imaginaire, mais c’est une réalité du passé. Quand je dessine les aventures des deux héros, c’est comme si j’embarquais dans une machine à remonter le temps pour m’envoler vers des univers inconnus » (Teun Berserik).

« La meilleure manière d’être le plus proche possible du style de Jacobs, c’est de critiquer son propre travail avec un regard honnête. Et d’oser tout recommencer à zéro, en gardant les albums de Jacobs à portée de main » (Peter van Dongen).

Premier scénariste à avoir repris les aventures de Blake et Mortimer, avec « L’Affaire Francis Blake » (1996/dessins de Ted Benoît), Jean Van Hamme (°Bruxelles/1939) a imaginé une suite à l’album inaugural de la série créée par  Edgar P. Jacobs, « Le Secret de l’Espadon » (T1-1950/T2-1953), qu’il avait découvert lors de sa parution dans  « Le Journal Tintin ».

Alors que la présente exposition s’est ouverte le 30 septembre 2021, c’est au cours de cette même année, le 19 novembre, que l’album « Le dernier Espadon », le 5è scénarisé par Jean Van hamme (après les albums N° 13/ 1996, 15/2001,19/2009 et 20/2010), ainsi que les dessinateurs néerlandais Teun Berserik (°1955) et Peter Van  Dongen (°Amsterdam/1966), ces deux derniers en étant à leur 3è album de « Blake et Mortimer », après avoir déjà dessiné les albums N° 25 (tome 1/2018) et 26 (tome 2/2019) de « La Vallée des Immortels » (2018 et 2019), sur un  scénario d’Yves Sante (°Bruxelles/1964).

Soulignons que Jean Van Hamme – anobli comme Chevalier, en 2015, par le roi Philippe, ayant été fait, en 2011, à  Paris, « Commandeur des Arts et des Lettres » – remporta 4 « Prix Saint-Michel » (1978-2009), dont 2 « Grand-Prix » ,à Bruxelles ; 3 « Alph Art du Public » (1989-2009), au « Festival international de la Bande dessinée d’Angoulème », le dernier ayant été attribué pour « L’Affaire Francis Blake » ; 3 « Prix Hastur » (1990-1996), au « Festival de la Bande dessinée des Asturies », en Espagne ; le « Prix Max et Moritz du meilleur Scénariste international » (1994), au « Festival international d’Erlangen », en Allemagne et le « Prix Adamson du meilleur Auteur international pour l’Ensemble de son Oeuvre » (2009), au « Festival du Livre », à Göteborg, en Suède.

La dernière section de cette exposition, nous présente une maquette d’un « Espadon », produite par un maquettiste bruxellois, Gérard Ligier-Belair, ainsi que des fac-similés des planches du « Dernier Espadon« , cette section étant consacrée à ce retour de l’ « Espadon », 68 ans après la publication du tome 2 du « Secret de l’Espadon », dessiné et scénarisé par Edgar P. Jacobs, les deux commissaires ayant écrit leur intention, dans un ouvrage intitulé  « Blake et Mortimer, Secrets de Fabrication » (Ed. « dBD/Les Dossiers de la Bande dessinée »/ 114 p./24€95) : « Nous avons pris l’ ‘Espadon’ comme angle de l’exposition, et non les personnages de ‘Blake et Mortimer’, précisément pour considérer l’oeuvre sous un jour nouveau ; dès lors, il nous a semblé tout à fait justifié de montrer que ce formidable engin demeure une courroie de transmission entre les deux cycles. »

Ouverture du « CBBD » : de 10h à 18h (derniers tickets vendus à 17h), 7 jours sur 7, pendant les vacances scolaires belges, et du mardi au dimanche, en dehors de ces congés. Prix d’entrée (expositions temporaires  incluses) : 12€ (9€, de 12 à 25 ans, pour les enseignants & à partir de 65 ans / 5€, de 06 à 11 ans / 0€, pour les moins de 06 ans / 32€, pour 2 adultes et 2 enfants). Contacts : 02/219.19.80 et visit@cbbd.be. Site web :  http://www.cbbd.be.

Afin de bénéficier pleinement de cette exposition, il est vivement recommandé de se munir de son smartphone, afin de pouvoir profiter des cases en réalité augmentée.

Pour nos lecteurs qui se rendront pour la première fois au « CBBD », signalons que ce bâtiment – classé en 1975, abritant également une bibliothèque de BD, un restaurant et un point de vente « Sumberland » de bandes dessinées – fut édifié (1903-1906) sous la conduite de l’architecte gentois Victor Horta (1861-1947), afin d’accueillir,  tout en dentelle de fer et de verre, les magasins de tissus « Waucquez ».

Signalons encore que « Le Secret de L’Espadon » a connu, en 2021, une édition anniversaire de ces deux tomes  (Edgar P. Jacobs/Ed. « Dargaud »/80 pages et 96 pages/237 x 310 cm/tirage à 6.000 exemplaires), tels qu’ils furent publiés dans le « Journal Tintin », rehaussés d’un dossier de l’un des commissaires de la présente exposition, Daniel Couvreur, chef du service Culture, du quotidien « Le Soir ».

A souligner que l’accès au « CBBD », pour un prix d’entrée unique, nous permet de découvrir aussi bien sa  collection permanente, avec, notamment, sa section consacrée aux « Schtroumpfs » et à l’oeuvre de leur créateur bruxellois « Peyo » (Pierre Culliford/1928-1992), aussi bien que ses autres expositions temporaires :

** « Bulles de Louvre », la découverte de ce musée à travers le regard de vingt auteurs de B.D., expo jusqu’au dimanche 11 septembre.

** « George Van Raemdonck – Pionnier de la BD en Belgique », fêtant, en 2022, le centenaire de la principale série, « Bulletje et Boonestaak », de cet auteur anversois (1888-1966) trop méconnu, expo jusqu’au dimanche 03 mai.

** « Nicoby/Joub – Leconte fait son Cinéma », un moment savoureux entre Septième Art et Neuvième Art, avec le réalisateur parisien Patrice Lecomte (°1947), récent auteur du film « Maigret » (Fra.-Bel./2022/88’/avec Georges Depardieu), mit en scène, en B.D., par le dessinateur « Joub » (Marc Le Grand/°Colmar/1967) et le scénariste  « Nicoby » (Nicolas Bidet/°Rennes/1976), expo, dans « La Gallery », jusqu’au dimanche 09 mai.

… Mais revenons à « Blake et Mortimer », afin de rappeler que pour cette même célébration du 75è anniversaire  de leur création, une fresque a été inaugurée le 24 septembre 2021, dans les Marolles, au numéro 6 de la rue du  Temple. Sur une surface de 60 m2, elle reprend le motif de la couverture de « La Marque jaune », éditée en album,  le 5è, par « Lombard », en 1956.

Si cette fresque, qui vient d’être réalisée pour la 3è fois, demeurera toujours visible, n’oublions pas que l’exposition  « Le Secret des Espadons » ne reste accessible, au « Musée de la Bande desinée », que jusqu’au 1er mai. Profitons en bien vite, cette exposition ayant l’ambition de transmettre au public les clés permettant de replacer cette œuvre fondatrice dans son temps, tout en mettant en évidence son étonnante actualité !

Yves Calbert.

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