L'ultra-nationalisme au Japon selon la Nippon Kaigi

écrit par RobertMARY
le 27/04/2020
Nippon Kaigi, Japon, Shinzo ABE, extrême-droite, ultra-conservatisme

L'extrême droite au Japon est politiquement insignifiante en tant que parti politique organisé. Par contre les idées ultra-nationalistes sont répandues à travers tout le spectre politique via l'influence de la Nippon Kaigi.

 

Une idéologie est « un ensemble relativement cohérent de croyances et de pensées normatives et empiriques, qui porte sur les problèmes de la nature humaine, l’évolution de l’histoire et les dynamiques sociales et politiques. […] En fonction de sa relation avec la structure de valeur dominante, une idéologie peut agir comme une force de stabilisation ou de révolution ».

Le plus souvent le peuple japonais ne tient pas en haute estime ses hommes politiques, surtout lorsque l'un d'entre eux s'exclame haut et fort que la Constitution du pays lui interdit de répliquer face à une attaque de la part d'extra-terrestres...

Cela pourrait prêter à sourire sauf que la question de l'autonomie de la défense militaire du pays « soulève un lièvre » et ouvre la « boîte de Pandore » politique en dépit du soutien massif de la population au pacifisme.

Présentation

La nippon Kaigi sans être un parti politique officiel est une formation ultra-conservatrice défendant des idées ultra-nationalistes et influençant la majorité des partis politiques au Japon. Elle fut créée en 1997.

Près de 65% des ministres japonais en sont membres dont le 1er ministre japonais Shinzo ABE. Cette organisation agit en coulisse et serait plutôt à classer dans la catégorie « influenceurs politiques » véhiculant une idéologie de type nationaliste.

La Nippon Kaigi se sert notamment d'institutions religieuses (ne dépendant pas de lui) pour faire passer ses idées. Un exemple: le temple shinto Yasukuni dédié aux morts pour la patrie.

La visite de ministres tant dans le passé qu'actuellement (le 1er ministre ABE Shinzo, la ministre de la défense nationale INADA Tomomi) au temple Yasukini à Tokyo a fait scandale puisque parmi les morts aux combats figurent les criminels de guerre dont le général TOJO. Ces visites sont encouragées par la Nippon Kaigi puisqu'elles ont pour but de montrer la fierté d'être japonais. Lorsque l'on dit aux ministres qu'ils ne peuvent pas se conduire de telle façon ils rétorquent qu'ils viennent rendre cette visite à titre individuel et non à titre professionnel (mais comme ils viennent avec de nombreux membres de leur cabinet, leur argument sonne creux...)

Rappelons qu'il existe en Asie Extrême-Orientale également des "malgré nous", en effet des taiwainais et des coréens ont été intégrés de force dans l'armée japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Le temple rend donc également hommage aux morts aux combat non japonais -qui ont pourtant la nationalité japonaise sans jamais l'avoir souhaité- dans le cadre de la défense du Japon.

Ces visites ont également fait scandale auprès de pays victimes des exactions du Japon pendant la deuxième guerre mondiale, principalement la Corée (tant le Nord que le Sud) et la Chine. Il y a donc un réel enjeu en termes de relations internationales, il suffit d'une visite au temple pour raviver la tension avec les pays voisins anciennement victimes du Japon. Pour information, aucun empereur du Japon n'a visité le temple depuis 1978, date à laquelle les âmes de 11 criminels de guerre ont été intégrées dans l'enceinte du temple (cependant des émissaires impériaux effectuent des visites chaque année).

L'objectif n°1 de la Nippon Kaigi est de parvenir à faire modifier la Constitution du pays afin- dit son président TADAE Takubo- que le Japon devienne "un pays normal".

Une idéologie, pourquoi ?

La Nippon Kaigi promeut la fierté nationale, il s'agit donc bien d'une idéologie car elle implique:

  • Une certaine vision du monde: le Japon doit être fier de lui-même et doit avoir une place au sein du concert des nations "selon le rang qui lui est dû". AInsi Il s'agirait d'intégrer le Japon au sein du Conseil de sécurité à l'ONU puisque le pays est la 3ème puissance économique mondiale.
     
  • Une certaine vision de l'histoire (avec un impact sur le présent et le futur): la fierté nationale implique la réhabilitation de l'histoire. Le Japon ne serait aucunement responsable de prétendues atrocités pendant la seconde guerre mondiale (révisionnisme), la guerre lui aurait été imposée par l'embargo pétrolier américain, ... Cette vision ayant un impact sur le présent, ainsi il s'agirait de réarmer le Japon face aux menaces extérieures (en particulier face aux menaces que représentent la Chine et la Corée du Nord). Les lois de 2015 de sécurité nationale tendant à réinterpréter l'article 9 pacifiste de la Constitution du Japon (l'article 9 interdit au pays d'avoir une armée) vont dans ce sens : autorisation d'intervention armée -y compris à l'étranger- dans le cadre d'une doctrine défensive dite proactive.
     
  • Une orientation vers l'action : ainsi les manuels d'histoire devraient être modifiés afin d'occulter ce qui pourrait ternir l'image du pays. A mon sens il s'agirait d'un travail sur quelques générations mais profitant du décès des anciens combattants et des anciennes victimes de l'armée japonaise, la Nippon Kaigi aurait des chances raisonnables faconner la mémoire collective du peuple japonais selon ses aspirations (en dépit du souvenir vivace des pays voisins utilisant l'histoire à des fins politiques sans s'en cacher).
     
  • Un moyen de se forger une identité : cela renvoie à la fierté d'être japonais (Shinzo ABE en parlant de "l'esprit japonais" fait référence à l'ère Meji donc aux traditions) et à la volonté de préserver la culture homogène du pays en limitant au maximum toute forme d'immigration de manière à ne pas "corrompre la race japonaise". Cela fait référence au nationalisme ethnique (pour rappel, le Japon ne prévoit pas la double nationalité pour ses citoyens). Cela implique une politique d'immigration n'autorisant que peu de personnes étrangères à travailler au pays et une forme de racisme envers ces travailleurs à majorité chinois ou coréens. De plus la Nippon Kaigi milite pour la non-émancipation des femmes (selon probablement la notion de patriarcat héritée du confucianisme). Cette non-émancipation me semble inefficace alors que la présence des femmes au travail pourrait constituer une solution face au manque de main d'oeuvre du au vieillissement de la population. Le respect des traditions fait sans surprise partie du programme : outre le patriarcat il inclut le principe de la succession strictement masculine de la lignée impériale.
     
  • Rien n'est laissé au hasard: un lobbying intense se fait auprès des élus locaux (1700 membres de la Nippon Kaigi) et nationaux (280 membres, soit 40% de l'ensemble de la chambre haute et de la chambre basse).

 

Une idéologie d'extrême droite ? Seulement partiellement. Certes, outre le révisionnisme historique et la fierté nationale (en ce compris la volonté de rendre à la nation "la place qui lui revient" au niveau international), la propagande y joue un rôle majeur:

  • Elle veut d'abord toucher directement les élites politiques de divers partis puis les masses. Dans ce dernier cas elle se sert d'associations religieuses implantées localement à cet effet. Elle veut avant tout convaincre. Ainsi la "Soka Gakkai International" (créée en 1979 inspirée de la Soka Gakkai des années trente) est une école bouddhiste de type "Nichiren", auparavant elle avait également son propre parti politique: le "Komeito". La scission entre l'école "religieuse" et le parti eut lieu en 2007, ceci dit le parti a quand-même soutenu le premier ministre dans sa volonté de faire voter les lois de sécurité entrées en vigueur en 2016. Les idées de la Nippon Kaigi et de la Soka Gakkai sont proches lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution afin de doter le Japon d'une défense plus autonome (l'ancien gouverneur de Tokyo, SHINTARO Ihihara, sans être membre de ces groupes dit la même chose dans son livre "Japan That Can Say No"). La notion d'influence de la "masse" est à nuancer car la Nippon Kaigi cherche prioritairement à influencer les hommes politiques et nettement moins la population. C'est avant tout un groupe de lobbyistes. Pour information, Sokka Gakkai signifie "Société pour la création de valeurs" tandis que Nippon Kaigi signifie "Conférence du Japon").
     
  • L'enseignement est un moyen d'imposer sa vision du monde à tous, c'est donc un moyen d'endoctrinement. La Nippon Kaigi financerait certaines universités de manière à propager ses idées. Pour information, la Soka Gakkai dont certaines idées sont proches de la Nippon Kaigi dispose d'une université implantée à Tokyo et d'une autre en Californie. La Soka Gakkai n'a pas été épargnée par les scandales financiers mais il n'en demeure pas moins vrai que son école bouddhiste compte 12 millions de membres dans 190 pays à travers le monde.

Mais l'idéologie de la Nippon Kaigi ne comprend pas tous les attributs d'un régime d'extrême droite (exemple: parti unique, état policier assorti d'un régime de terreur, contrôle total de la presse et des média, ..). Ce n'est pas non plus une idéologie promouvant tous les aspects d'un régime autoritaire (contrôle du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire sous la même autorité, contrôle des élections, ...).

La Nippon Kaigi n'a jamais mentionné sa volonté de présence d'un parti unique au Japon ou un quelconque rejet de la démocratie. Je dirai que c'est une idéologie ultra-conservatrice (au mieux la plus à droite de la "droite classique", au pire d'extrême droite en tous cas pour certaines de ses caractéristiques). Elle s'accomode d'un régime démocratique pour autant que les partis politiques au pouvoir avalisent sa vision du monde sur certains aspects de la société japonaise (fierté nationale impliquant une révision de la Constitution et des manuels d'histoire, une sorte de révisionnisme teintée de négationnisme).

Suite au faible taux de chômage, les partis d'extrême droite sont extrêmement minoritaires au Japon (à peine 10.000 membres) mais les idées de la Nippon Kaigi sont bel et bien partagées par de nombreux politiciens tous partis confondus.

Cette idéologie n'est pas un facteur de stabilisation (sauf pour le maintien des traditions dont le patriarcat, lequel reste vivace en Extrême-Orient -hélas pour la condition de la femme-) mais bien un facteur de révolution au vu de ces volontés de révision. Une défense plus autonome du Japon pourrait faire réagir la Chine, il y aurait donc également un impact international à ne pas sous-estimer.

Heureusement la plus grande partie du peuple japonais est viscéralement attachée à la paix et s'oppose farouchement à toute utilisation de la force de la part des forces d'autodéfense, lesquelles n'ont d'ailleurs aucune expérience du feu depuis 1945 (sa seule expérience à l'étranger fut en Irak en 2003 dans le cadre de la coalition internationale et elle n'avait "qu'un" rôle de soutien logistique -sans vouloir le minimiser-).

Si une telle autonomie était obtenue, le Japon y perdrait en termes de Soft Power, car le pacifisme du pays en fait intégralement partie.

Le risque de guerre me semble malgré tout limité, par contre la révision de l'histoire (avec un premier ministre membre de la Nippon Kaigi) reste une possibilité et « qui ne sait d'où il vient ne sait où il va »...

Mais restons prudent, nous avons vu où l'hypernationalisme a mené le Japon la dernière fois qu'il a choisi cette voie...

Mes autres reportages Ardenneweb

Pour en savoir plus:

1.      Zoom Japon n°67 - février 2017 - ODAIRA Namihei

2.      Wikipedia - Komeito

3.      Wikipedia - Article 9 de la Constitution :

4.      Wikipedia - Loi japonaise de 2015 sur les Forces japonaises d'autodéfense :

5.      Wikipedia - La politique étrangère japonaise

6.      Wikipedia - Nippon Kaigi

7.      Wikipedia - Liste des membres de la Nippon Kaigi

8.      Wikipedia - Controverses sur le temple Yasukuni-Jinja

9.      SHINTARO Ishihara, The Japan That Can Say No: Why Japan Will Be First Among Equals?, Simon & Schuster, January 1991, 158 p.

10.  FRÉDÉRIC Louis, Japon : L'Empire éternel - Une histoire politique et socio-culturelle du Japon, Éditions du félin, 12 novembre 2015, 476 p.

11.  MESMER Philippe, « Japon : l’archipel impérial devient impérialiste », p. 148-149 dans Le Monde Hors-série, « L’atlas des empires, où est le pouvoir aujourd’hui ? », GIRET Vincent, Le Monde, Octobre 2016, 186 p.

12.  NIQUET Valérie, Chine-Japon : L'affrontement, Éditions Perrin, 24 août 2006, 220 p.

13.  NIQUET Valérie, Le Japon en 100 questions : un modèle en déclin ?, Éditions tallandier, janvier 2020, 328 p.

14.  POUPEE Karyn, Les Japonais, Collection Texto, éditions Tallandier, 2012, 663 p.

15.  « Japon, adoption de lois sécuritaires controversées », Frédéric Charles, RFI, 16 juillet 2015 :

16.  « Japanese Scandals Raise Issues Over Soka Campus : Inquiries: Critics of the Calabasas college question its legitimacy and tax status in light of multimillion-dollar controversies involving a powerful Buddhist sect », MILLER Alan C. and LEVIN Myron, Los Angeles Times, September 1991:

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