"La Disgrâce", "Just, vas-y !", "Duke", ... que d'Emotions (Namur, Bruxelles et Wallonie)
Patricia Lefranc, Guilhem Lignon, Gaelle Messager, Jenny Udriot et Stéphane Vouillaume, tous présents sur scène – avec leur réalisateur, Didier Cros, et la productrice, Félicie Roblin -, reçurent deux « standing ovations » de plus de cinq minutes, ces samedi 09 et dimanche 10 novembre, à l’occasion des deux projections du film documentaire « La Disgrâce » (Fra./documentaire/2018/66 min.), dans la salle « Tambour », au « Delta », dans le cadre du « The Extraordinary Film Festival » ("TEFF"), une biennale organisée, pour la 5e fois, par l’asbl « EOP » (« Extra et Ordinary People »).
Inconnus du « grand public », aussi bien que de médias cinématographiques tel « Allo Ciné » (aucune photo de film n’y étant publiée), ces cinq protagonistes devinrent, en un peu plus d’une heure, les personnes les plus adulées de cet « extraordinaire » Festival, eux dont les faces ont été détruites, par balles, sur la terrasse du « Bataclan » ; par de l’acide sulfurique, lors d’un féminicide ; par une malformation, à la naissance ; par un cancer ; …
Et, sur cette même scène, comme sur « France 2 », à l’occasion d’un tournage de « Ça commence Aujourd’hui », la Valaisane Jenny Udriot, bien dans sa peau meurtrie, interpréta une chanson, dont le public reprit le refrain : « Je mettrai mon coeur dans du papier d’argent… », sa voisine, Patricia Lefranc, émue jusqu’aux larmes prenant le micro pour déclarer : « Vous nous faites vivre de telles émotions ! Comment voulez-vous que l’on s’arrète de
pleurer ?… »
En un peu moins d’un mois, Didier Cros – qui s’intéressa à ce sujet pour avoir eu, lui-même, une soeur porteuse d’un handicap – les filma individuellement, au sein du célèbre studio parisien « Harcourt », fondé en 1934, alors que chacun était livré au talent de différents photographes de ce célèbre studio… Et c’est à Namur que ces cinq protagonistes, une Suissesse et quatre Français, se rencontrèrent pour la première fois, découvrant le film dont ils sont les acteurs, ce documentaire, « La Disgrâce », remportant, logiquement, le *** « Grand-Prix du Public, Long-Métrage ».
Certains s’étonneront que le studio « Harcourt », temple du glamour, sanctuaire de la beauté, ayant vu défiler sur ses plateaux des stars du monde entier, ait pu accepter ce défi de photographier des personnes dont le visage a été détruit. C’est tout à l’avantage de Didier Cross d’avoir pu convaincre ces professionnels de la photo d’aider par la réalisation de leurs clichés à la réappropriation du regard sur soi. L’occasion pour ces cinq personnes, de s’offrir une revanche, alors que l’on n’est pas regardé avec respect et considération… Au passage, soulignons que chacun d’eux (d’elles) a pu choisir, lui-même, la photo dont il (elle) acceptait l’édition en vue d’être exposée…
Parmi les autres documentaires réaliser par Didier Cross, citons « Un Ticket de Bains Douches » (Fra./2000/52 min.), pour lequel il obtint, en 2001, le
« Prix spécial TV5 pour le meilleur Documentaire », au « FIFF » (« Festival International du Film Francophone »), à Namur ; « Sous Surveillance » (Fra./2010/65 min.), pour lequel il reçut, en 2012, le « FIPA » d’argent, du « Festival International de Programmes Audiovisuels », à Biaritz ; et « Parloirs » (Fra./2010/63 min.), pour lequel le réalisateur s’est attaché à cadrer des mains, des silhouettes, des nuques, …, avec une remarquable inventivité, ne pouvant pas, légalement filmer leurs visages, tout à l’opposé de la motivation qu’il eut pour tourner « The Extraordinary Film Festival »…
… Et Didier Cros, sur la scène du « Delta », de s’adresser aux spectateurs, le lundi 11 : « Merci pour l’énergie que vous nous renvoyer. C’est exceptionnel. Vous êtes une solide thérapie pour nous tous. La veille, le dimanche 10, dans la salle « Tambour », il avait déclarer, au micro : « Merci aux enfants présents. Ce sont les adultes de demain. Dans une société où nous sommes confrontés à tous les regards, ils auront acquis l’acception de la différence… »
Le papa de deux de ces enfants de répliquer, avec enthousiasme :« Tout le monde est magnifique, ici. C’est génial… « , ajoutant, s’adressant aux 5 protagonistes : « J’ai envie de vous faire une bonne ‘betche’ (bise, en wallon, ndlr)… » … Ce que plusieurs festivaliers ne manquèrent pas de faire, lors de la réception…
Autre coup de coeur de ces cinq jours de projections, sous de chaleureux applaudissements, Aleksandrs Ronis, un jeune letton, qui, ce lundi 11, lors du
« Gala de Clôture », revint deux fois sur la scène de la Grande Salle du « Delta » – en présence de la Ministre de la Culture, du Droits des Femmes, de l’Enfance, des Médias et de la Santé, Bénédicte Linard, des Députés provinciaux Jean-Marc Van Espen et Geneviève Lazaron, ainsi que des Echevins Stéphanie Scailquin et Philippe Noël -, le film dont il est l’acteur principal, « Just, vas-y ! » (« Sarauj, Just ! »/Lettonie/fiction/2017/11 min.), de Pavel Gumennikov, étant le seul à remporter *** deux Prix, ceux« de Cap 48 » et » ‘Richelieu’ du Jeune Public ».
Ce dernier Prix toucha particulièrement ce brillant acteur, vu que, comme il tint à le dire : « ce sont les jeunes que nous devons convaincre que quoiqu’il arrive, il ne faut jamais abandonner« , ce qu’il illustre parfaitement, lui qui, encore enfant, perdit ses deux jambes, des suites d’un accident ferroviaire. Devenu joueur de volley-ball en chaise, dans sa vraie vie, il apparut, lors de son second passage sur la scène du « Delta », sur son« skateboard », qu’il utilisa avec brio, coaché par un professionnel, à l’occasion d’une incroyable poursuite de deux voleurs, allant jusqu’à s’accrocher à une voiture pour pouvoir les rattraper…
Soulignons encore qu’Aleksandrs Ronis, avec empathie, tient à témoigner, bénévolement, dans les écoles, les prisons, …, afin que son expérience devienne une source d’inspiration, dans son pays, la Lettonie, qui, en 2019, a connu 13 décès sur son réseau ferroviaire ? …
Un autre jeune, Robert Solomon, receuillit un grand succès, à Namur, lui n’étant pas porteur d’un handicap, mais interprétant, avec brio, le rôle d’un autiste non verbal, âgé de 17 ans, qui donne son prénom au film américain de Thiago Dadalt, « Duke » (Etats-Unis/2018/16′), basé sur des faits réels.
Venu recevoir, à Namur, le ***« Grand-Prix du Jury, Court-Métrage » attribué à ce film, ce sympathique acteur américain nous confia qu’il avait vécu trois semaines aux côtés du jeune autiste, afin de pouvoir, au mieux, interprêter son rôle, le tournage s’étant déroulé en trois jours.
« L’Envie de voler » (Hsiang-Te Shih), « Prix du Public, Court-Métrage » © « Horizon Advertising Agency »
Du continent américain, nous passons à l’Asie, prouvant l’incroyable internationalisation de cet inoubliable Festival, avec un film nous venant deTaïwan,
« L’Envie de voler » (« Will to fly »/Fiction/2017/12 min.), de Hsiang-Te Shih (2017/12 min.), un réalisateur qui, lui aussi, était présent à Namur, pour y recevoir le ***« Prix du Public, Court-Métrage ».
Quant au *** « Grand-Prix du Jury, Long-Métrage », il fut attribué à « D’Egal à Egal » (« Auf Augenhöhe »), de Evi Goldbrunner et Joachim Dollhopf (Allemagne/Fiction/2016/96 min.), Jordan Prentice, acteur canadien, étant particulièrement ému lorsqu’il reçut son trophée, congratulé par l’un des membres du Jury, le comédien français Krystoff Fluder, ces deux sympathiques acteurs, petits de taille, étant si grands de talent, nous ayant offert – le samedi 09, en présence du Bourgmestre Maxime Prévot, devant une salle comble, étage y compris – un hilarant « seul en scène » autobiographique, intitulé « Oui je suis noir, et alors ? ».
Parmi les autres membres de ce Jury – français à 100% – à ses côtés et à ceux de l’actrice Hélène Vincent, la Présidente, de l’avocate sourde Virginie Delalande, et de la comédienne-animatrice-auteure-journaliste Eglantine Eméyé, nous trouvions, aussi, Josef Schovanec, un autiste, tout à la fois chroniqueur radio, conférencier, écrivain et philosophe, qui, en 2018, fut fait « Docteur Honoris Causa » de l’Université de Namur.
Au palmarès, nous trouvons, également :
*** Prix « Ils ont la Parole » : « Le petit Monde d’Emilie » (Mehdi Noblesse/Fra./Doc./2018/21 min.)
*** Prix « RTBF », long-métrage : « Marche ou Crève » (Margaux Bonhomme/Fra./Fiction/2018/85 min.)
*** Prix « RTBF », court-métrage : « L’Enfant du Slience » (« The Silent Child »/Chris Overton/U.K./Fic./20′)
*** Prix « Canal C » : « La Connerie bientôt reconnue comme Handicap » (Lemon Add/Fra./Pub.-Com.)
*** Prix du Public Communication : « Halloween » (Association « Burn & Smile »/Fra.)
Concernant ce dernier film, nous voyons à quel point, pour un « grand brûlé », défiguré, un soir comme celui d’ « Halloween » (sur internet, près de 7 millions de vues de ce court-métrage) est un « grand moment », des enfants l’interpellant, en rues, le félicitant pour la qualité de son « déguisement », lui, qui, habituellement, doit fuir certains regards… Ainsi, il rêve, déjà, à la soirée d’ « Halloween » de l’année suivante … Cette nuit-là, il n’est qu’une personne parmi les autres, une personne qu’on n’hésite pas à regarder, à approcher, à toucher…
En attendant, désormais, évitons de nous moquer de personnes aux visages différents,… l’association productrice, « Burn& Smile », nous interpellant, via un message vidéo diffusé au« Delta » : « Vous ne le savez peut-être pas, mais il y a 400.000 victimes de brûlures en France, dont 10.000 brûlés hospitalisés. Mais avez-vous déjà vu un grand brûlé dans un lieu public ? … Cette cause étant peu médiatisée, cela renforce encore le sentiment d’isolement…. Les raisons ? Les brûlés s’isolent pour éviter le regard des autres… »
Notons aussi l’organisation de deux moments forts de ce Festival :
– une conférence donnée, par une personne sourde,Virginie Delalande, qui, ayant travaillé au sein d’un cabinet d’avocats, est la créatrice
d’ « Handicapower », une association aidant les personnes porteuses d’un handicap à se reconstruire. « Toute ma vie, j’ai fonctionné par rêves. Quand j’avais un but, j’essayais de trouver des solutions », nous dit-elle.
– une table ronde, ouverte tant aux professionnels de l’audiovisuel qu’au grand public, « Jouer le Handicap », questionnant sur la présence de la personne handicapée dans le cinéma, introduite par la projection du film « Le Modèle social » (UK/documentaire/ 2018/67 min.), réalisé par « 104 Films Collective », un groupe de cinéastes collaborateurs, créé en 2004, afin de marquer un changement dans la représentation des personnes handicapées devant et derrière la caméra. Cette table ronde, préparée par l’ « ASA » (« Association des Scénaristes de l’Audiovisuel » ) et l’ « ARF » (« Association des Réalisateurs et Réalisatrices francophones »), avec Florence Hainaut comme modératrice, réunissait Karen De Paduwa (comédienne), Sandrine Graulich
(« RTBF », responsable du secteur « Magazines de Société »), Véronique Jardin (réalisatrice), Sébastien Moradielos (directeur de casting), Céline Schmitz (scénariste) et Josef Schovanec (philosophe autiste).
Sur un plan local, l’initiative prise d’organiser un concours de vitrines de commerces, coordonné par l’asbl « Gau Namur », chargée de la gestion du Centre-Ville, connu un beau succès, les trois lauréats étant, l’« Office du Tourisme »,« Gestec » et« Slumberland ».
Avec des acteurs et réalisateurs nous venant de nombreux autres pays, hébergés, en pension complète, nous comprenons qu’organiser un tel Festival nécessite un sérieux budget. N’oublions pas, non plus, les frais à prévoir pour l’indispensable présence, sur les différentes scènes, d’une excellente présentatrice, employée au « S.P.W. » (« Service Public de Wallonie »), Lucie Hiel, de plusieurs interprètes, l’une de l’anglais au français, et les trois autres, en langue des signes, chaque film bénéficiant d’adaptations pour différents types de handicaps, dont celui en auto-description, des casques audio étant disponibles.
Soulignons encore que seulement trois personnes sont employées à temps plein, par l’asbl « EOP », une quatrième les ayant rejoint, cette année, pour les trois derniers mois, 67 bénévoles, dont plusieurs porteurs d’un handicap, ayant assuré, durant cinq jours, la réussite, à Namur, de ce 5e « The Extraordinary Film Festival », sans oublier la présence de plusieurs d’entre eux, le mardi 05, à Arlon, Charleroi, Liège, Mons etWoluwe-Saint-Pierre, cette dernière ville ayant réservé un succès tout particulier à cette 5e édition du Festival, … alors même que notre capitale fédérale, Bruxelles-Ville n’est pas encore prête à accueillir un tel Festival, centré sur la « différence », (qui sait, un jour, au« Palais des Beaux-Arts » ???), tout en sachant qu’en 2018, le
« The Extroardinary Film Festival » organisa trois jours de séances au « Centre Culturel », à Uccle, ainsi que d’autres projections à Jette et Molenbeek-Saint-Jean.
Luc Boland – créateur-organisateur de ce Festival, cinéaste de formation, papa de Lou B., un jeune chanteur-compositeur aveugle, porteur du syndrome de Morcier – ne put cacher sa joie quant au succès remporté cette année, 7.230 entrées ayant été enregistrées, pour 5.650, lors de l’édition précédente, en 2017, 83 films, courts et longs, ayant été programmés, sur 830 proposés à un comité de sélection.
Egalement, il tient à insister sur l’importance que le Festival réserve aux enseignements fondamental et secondaire, 16 séances leur ayant été proposées en décentralisation, dans 5 villes, le mardi 05, alors que 5 autres séances scolaires étaient proposées à Namur, les jeudi 07 et vendredi 08, suscitant un grand intérêt auprès de ce jeune public, les salles étant toujours bien remplies…
A noter que cet homme, passionné, déborant d’énergie, s’occupe, aussi, de la plateforme « Annonce Handicap » et est le Président de la « Fondation
Lou », qu’il créa en 2006, avec son épouse, Claire Bailly, une asbl militant pour le handicap en général et qui, depuis 2017, a été désignée comme administratrice des biens de leur fils, Lou, un jeune aveugle, bénéficiant de capacités auditives et musicales surdéveloppées, alors qu’il est atteint du
« syndrome de Morsier », une malformation congénitale du cerveau.
S’occupant de la carrière de chanteur-compositeur de son fils, qui, s’étant fait connaître, il y a quelques années, grâce à ses prestations aux
« Francopholies des Spa » et à « La France a un incoyable talent », sortit, le 25 février 2019, son premier album solo, « Je vous kiffe », fruit d’un
« crowdfunding », Luc Boland nous signale que Lou B. (son nom de scène) se produira, à Lyon, Theux, Molenbeek-Saint-Jean, Bertrix, Albertville, Charleroi, Ittre et Bruxelles, d'ici la fin de l'année. Pour plus d’informations, rendez-vous sur son site web : http://www.loub.be.
… Revenant à « The Extraordinary Film Festival », quelle récompense pour Luc Boland et toute son équipe de bénévoles, d’entendre l’intervention, au micro, s’adressant à tous les festivaliers, lors de la clôture, d’une dynamique protagoniste, au visage vitriolé, de « La Disgrâce », Patricia Lefranc : « Merci pour tout ! C’est cadeau. Chaque film était prenant. On se sent grandir ici… J’ai décidé d’être bénévole dans deux ans… »
A Luc Boland, nous demandons la signification du trophée – une oeuvre, avec un chapeau, réalisée par des artistes d’Abidjan, porteurs d’un handicap, à la demande de Charlotte Chamarier, de l’association « Com’Ethique » – remis à cahcun des lauréats : « Il symbolise le ‘handicap’, contraction de trois mots de la langue anglaise : ‘hand in cap’ , ce qui signifie : ‘main dans le chapeau’. C’est au 16e siècle, au Royaume-Uni, qu’on le rencontre pour la première fois. Il sert à désigner un jeu de hasard dans lequel les partenaires se disputent des objets personnels, dont le prix est fixé par un arbitre, chargé d’égaliser les chances, les mises étant placées dans un chapeau. En 1754, le mot est appliqué à la compétition entre deux chevaux, puis en 1786, à des courses de plus de deux chevaux. Ce terme de jeu, selon le ‘Petit Robert’, est repris en terme d’égalisation des chances dans les courses de chevaux, servant à compenser les avantages et les désavantages, assurant, ainsi, l’égalité de chance, … d’où son utilisation pour les personnes ‘différentes’. »
Et Luc Boland de déclarer : « La différence fait peur. Cassons les préjugés et démystifions le handicap », ce qui justifie pleinement la raison d’être, la pérennité d’un tel Festival, qui mérite, vraiment d’être mieux soutenu, mais pas seulement par de jolies phrases…
Rendez-vous en 2021, avec le 6e « The Extraordinary Film Festival ».
Yves Calbert.