L'Oeuvre de Keith Haring exposée à "Bozar"

écrit par YvesCalbert
le 14/07/2020

Il nous reste quelques jours pour visiter la superbe exposition consacrée à Keith Haring (1958-1990), prolongée jusqu'au mardi 21 juillet, au "Palais des Beaux-Arts" ("Bozar"), sa première exposition personnelle s'étant déroulée en 1982, à la "Tony Shafrazi Gallery", à New York.

Influencé par les dessins de Walt Disney (1901-1966) et du"Dr. Seuss" (Theodor Seuss Geisel/1904-1991), auteur et illustrateur américain de livres pour enfants, Keith Haring découvre les travaux de peintres expressionistes abstraits, tels ceux de l'artiste bruxellois Pierre Alechinsky (°1927) ou encore du Français Jean Dubuffet (1901-1985), dans lesquels il perçoit l'énergie et la spontanéité de la créativité d'un enfant,... maîtrisée par une main adulte...

Cette énergie qu'il apprécie tant, nous pouvons la visioner sur un grand écran ("Painting myself into a Corner" et "Circle Play"/Keith Haring/1979), placé dans la première salle, nous montrant cet artiste tracer, avec énergie, sur du papier placé sur le sol, un ensemble de lignes et de taits interconnectés, témoignant ainsi d'"une peinture qui engage le corps", l'usage de la vidéo lui ayant permis de s'enregistrer, se mettant à 'aise avec lui-même, se visualisant en tant que sujet performant.

"Il pouvait peindre jusqu'à 50 toiles par jour.Toutes ses peintures sont faites d’une seule traite. Il y a chez lui une maîtrise du geste et du mouvement qui est stupéfiante. Le dessin est le médium qui lui a permis de développer symboliquement son langage", nous confiait la curatrice Alberta Sessa.

En juxtaposant des mots et des images à des éléments autobiographiques, adoptant le style punk, Keith Haring souhaite créer une oeuvre pertinente, facilement transmissible, aimant délivrer ce message :"Les gens s'ouvrent à l'art, quand l'art s'ouvre à eux, l'art c'est pour tout le monde."

Comme en témoignent des photos exposées dans une table-vitrine, à 28 ans, en 1986, il crée une oeuvre sur la partie occidentale du mur de Berlin (1961-1991) où nous retrouvions, peinte avec les couleurs combinées des drapeaux des deux Allemagne (R.F.A. et R.D.A.), une chaîne interconnectée, composée de ses personnages emblématiques, représentant l'unité du peuple allemand, une tentative personnelle de détruire psychologiquement le mur.

Progressant au sein de l'exposition, nous découvrons, en vidéo, un extrait du film "Wild Style" (Charlie Ahearn/USA/ 1982/82'), mettant à l'honneur la culture hip-hop, le "street art", les grafitis, ..., dans le "South Bronx", à New-York.

Dans la même salle, nous retrouvons, exposés sous vitre, des vestiges de sa première oeuvre dans l'espace urbain, réalisée en 1978. Ensuite, nous suivons notre artiste dans le métro new-yorkais, où il fait surgir des chiens aboyeurs, des bébés, des petits personnages dansants, ..., sept photographies de Tseng Kwung Chi (1950-1990), prises entre 1983 et 1985, nous montrant Keith Haring utilisant des craies blanches, pour réaliser ses oeuvres sur fond noir, dans différentes stations de métro, rendant, ainsi, l'art accessible aux personnes qui ne se rendent pas dans les musées, trois oeuvres de ce type étant exposées, de même qu'une partie de la carosserie d'un taxi new-yorkais, devenu ainsi oeuvre artistique sur roues, d'autres photos le montrant occupé à peindre le corps de la chanteuse jamaïcaine Grace Jones (°1948), afin que cette dernière puisse participer, ainsi affublée, à un dîner d'anniversaire. Ayant, ainsi, connu un certain succès, elle sollicita, à nouveau, notre artiste à deux autres reprises.

Dans ce même esprit, conscient des prix auxquels ses oeuvres originales étaient vendues, afin de réagir, aussi, aux copies réalisées par des faussaires, il décida, encouragé par son ami Andy Warhol (Andrew Warhola/1928-1987), d'ouvrir sa "pop shop", dans le quartier de Soho, à New York, qui précéda une seconde "pop shop", à Tokyo, qui ferma en 1988, le magasin new yorkais initial demeurant ouvert jusqu'en 2005.

Défendant la création de sa première "pop shop", dont un panneau et une robe tricotée, en coton et nylon, sont exposés à "Bozar", Keith Haring écrivit : "Je voulais continuer le même type de communication qu'avec les dessins du métro. Je voulais attirer le même large éventail de personnes et je voulais que ce soit un endroit où, oui, non seulement les collectionneurs pouvaient venir, mais aussi des enfants du Bronx..."

S'il vint à arrêter cette démarche, c'est parce qu'il constata que certains clients, dès un tee-shirt ou un poster achetés, les revendait à des prix plus élevés, ce qui n'était nullement le but de l'artiste...

Alberta Sessa, coordinatrice de projet curatorial à "Bozar", nous disait, lors de la visite de presse : "Pour lui, l’art ne pouvait pas être confiné dans les musées et les galeries. Lorsqu’il dessinait dans le métro, il était régulièrement arrêté. Mais comme il était blanc, il était moins embêté par la police. Il dessinait la journée, au milieu des gens. Ce n’était pas un marquage de territoire. Si on peut le considérer comme un des pères du street art, il n’était pas à proprement parler un graffeur".

De son côté, Gil Vasquez, président de la "Fondation Keith Haring", créée sur l'initiative de l'artiste, déclarait, avec émotion :"Ce que je retiens de lui, c’est qu’il a utilisé son art pour véhiculer un message. Il a opposé au pouvoir, quelle que soit sa forme, un message de vérité. Voilà l’héritage de Keith."

Son amitié, dès 1980, avec Jean-Michel Basquiat (1960-1988), décédé à 27 ans d'une overdose, né d'une mère d'origine portoricaine et d'un père d'origine hawaïenne, est, également, évoquée, tous deux ayant travaillé à la réalisation des oeuvres ayant décoré le métro new-yorkais. En 1987, ils exposaient ensemble au "Whitney Museum of American Art", à New York, le"street art" étant ainsi reconnu.

Lorsque nous évoquions les enfants du Bronx, soulignons que, pour cet artiste, les enfants étaient bien plus qu’un simple public. "J'ai toujours travaillé avec des jeunes... Les enfants connaissent ce quelque chose que la plupart des gens ont oublié", disait-il. Il voyait en eux des collaborateurs, les associant à plusieurs reprises à son processus de création. En 1986, avec un millier de jeunes new-yorkais, il crée une fresque d’une hauteur de 10 étages, représentant la Statue de la Liberté, à l'occasion son centième anniversaire, cette initiative étant à découvrir, filmée pour "CNN", sur l'un des écrans vidéo égayant l'exposition.

Avec plaisir, nous entendons les réactions enthousiastes de ces jeunes, de toutes races et origines sociales : "Ici, l'on peut s'exprimer sur le thème de la liberté", "La liberté, c'est chouette", "Nous sommes nés pour être libres",... , Keith Haring se réjouissant en ces termes : "Réunir des gens d'origines différentes... Nous constatons que la Culture se mondialise"...

« Mon père dessinait pour moi des personnages de bandes dessinées, qui ont fortement influencé mes débuts : une ligne ininterrompue et les contours simples, que l’on voit dans les BD », écrivait-il concernant ses "idéogrammes", faciles à dessiner..;

Notons encore que pour notre artiste, le bébé est l'expérience la plus pure et la plus positive de l'existence humaine. "Véritable allégorie de l’honnêteté et de la sincérité", il devient, ainsi, un symbole récurrent dans son œuvre.

Autre "idéogramme" créé par Keith Haring, devenu, comme il l'écrit :"cette référence profonde au troisième oeil et à l’inconscient, quelque chose de presque paranormal."

"Je ne pense pas que l'Art soit de la propagande. Cela devrait être quelque chose qui libère l'âme,  stimule l'imagination et encourage les gens à aller plus loin. Il célèbre l'humanité au lieu de la manipuler », écrivait-il.

Engagé, militant et idéaliste, Keith Haring, artiste infatigable, participa à la lutte contre tout ce qui pouvait être source d’oppression, distribuant des tracts, collant des affiches qu'il dessinait, peignant des fresques, ...

Influencé par les assassinats, en 1968, de Robert Kennedy (1925-1968) et Martin Luther King (1929-1968), témoin des mouvements de protestation de l'époque, il participa à différentes manifestations pour l'obtention de droits civiques, à Chicago, à Washington, ... Se nourrissant, ensuite, d'un sentiment anti-nucléiaire, épouvanté par un accident, en 1979, dans la centrale de Three Mille Island, en Pennsylvanie, il se rend, en 1988,"ému aux larmes", à Hiroshima, disant : "cela n'a rien à envier à la science-fiction"...

Informé de sa séroposivité, en 1988, Keith Haring, homosexuel ("L'esprit gay est partout. Vous ne pouvez vousz rendre au bureau de poste sans draguer ou être dragué", écrivit-il) prend, ensuite, faits et causes pour l'information relative au sida, et la communauté "LGBTQ" ("Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender and Questioning"), via ses dessins érotiques, un pénis devenant un personage de bandes dessinées.

Pour autant, Keith Haring n’était pas quelqu’un d’angoissé, ni d’aigri. Les couleurs vives qu’il utilisait, la musique pop, sur laquelle il dansait, tout en réalisant ses œuvres. Quant à son amour pour la fête , il témoigne de sa joie de vivre.

La rédaction de "Bozar" écrit :"Ce ne sont pas seulement les œuvres de Keith Haring qui sont dévoilées tout au long de cette rétrospective, c'est aussi sa belle personnalité. On s’y attache, à ce petit génie au talent simple et efficace... On se connecte, l’espace de quelques heures, à ses joies, son sens du partage, son empathie, ses engagements, sa bienveillance et son exaltation créative. On en apprend beaucoup sur lui, et on se dit qu’on aurait bien aimé l’avoir comme ami. Car la vie avec cet artiste devait être sacrément palpitante."

Personnifiant le virus, notamment par un impressionnant "spermatozoïde du diable", il écrivit : "Mes amis tombent comme des mouches et le fait que je suis toujours vivant ne peut tenir qu'à une intervention divine. Je ne sasis pas s'il me reste 2 à 9 mois, ou cinq ans, mais je sais que mes jours sont comptés. En réalité, j'en ressens comme les symptômes."

Fils d'Allen et de Joan Haring, étant l'aîné de trois sœurs. Keith Haring décède, à New York, le 16 février 1990.

Histoire de terminer en beauté notre visite, nous découvrons la dernière salle, la "black lightroom", et ses effets fluorescents (ces derniers ne fonctionant que de 11h à 12h, 13h à 14h, 15h à 16h et 17h à 18h), l'ambiance musicale y étant assurée par des morceaux "Hi-Hop", proposés par Juan Dubose.

Ne tardons donc plus pour nous rendre au "Palais des Beaux-Arts", afin de découvrir ce parcours chronologique et thématique retraçant la pratique artistique de Keith Haring, avec plus de 85 dessins et peintures, complétés par des affiches, collages, documents d'archives, peintures murales, vidéos, ...

Prix d'entrée : 18€.(09€, jusqu''à 29 ans inclus). Site web : https://www.bozar.be/fr. Son travail du métro new-yorkais aux Galeries d'Art : https://www.youtube.com/watch?v=W04j0Je01wQ?feature=oembed. Un catalogue et un vynile, reprenant les morceaux "Hi-Hop", proposés par Juan Dubose, son amoureux, lui-même, qui, dans les années 1980, était un"DJ" populaire.

Yves Calbert.

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