"Ensor, Rêves fantasques. Au-delà de l'Impressionnisme", au "KMSKA", à Antwerpen, jusqu'au 19 Janvier
« Souvent poussé par des vents contraires, j’ai navigué vers des régions fantastiques » (James Ensor).
« Jamais auparavant une exposition n’avait été organisée réunissant les œuvres phares d’Ensor et celles d’autres
impressionnistes, or, c’est précisément ce contexte international qui permet de mettre en lumière les qualités
spécifiques de la production artistique d’Ensor. D’importants prêts, notamment du ‘MoMA’ de New York et de la
‘National Gallery’ de Londres, contribuent aux fortes ambitions internationales du ‘KMSKA’ », écrit Luk Lemmens,
président de l’asbl « KMSKA ».
Voici une superbe exposition consacrée au peintre ostendais James Ensor (James Sidney Edouard Ensor/1860-1949) que nous propose le « Musée royal des Beaux-Arts d’Antwerpen » (« Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen »/« KMSKA »), jusqu’au dimanche 19 janvier, alors que l’année 2024 avait été décrétée « Année Ensor », à l’occasion du 75è anniversaire de la mort de ce célèbre artiste.
Pour ceux qui aurait vu les expositions bruxelloise et ostendaise, ou l’une d’elles, la présente expo anversoise se révèle fort différente, avec la présence de nombre d’oeuvres des peintres de son époque, tels les Français Claude Monet et Pierre-Auguste Renoir, dont James Ensor copia les effets de lumière, même s’il trouve le contenu de leurs créations trop sage.
En outre, pour la première fois, nous approfondissons la relation symbiotique entre James Ensor et la culture populaire, lui qui était enchanté par la « laterna magica » itinérante, l’un des précurseurs du cinéma, pénétrant ainsi notre quotidien.
La scénographie nous permet ainsi de profiter d’une « laterna magica » durant quelques minutes, de nous retrouver face à de nombreux masques de carnavals en 3D, ou en « ombres chinoises » manipulant des objets chers à James Ensor, voire encore, dans l’ultime salle, de découvrir une exceptionnelle évocation, en animation 3D, de l’ensemble des oeuvres du peintre, à l’intérieur d’une … cabine de bain ostendaise.
« Ensor, Rêves fantasques. Au-delà de l’Impressionnisme » est un voyage au cœur de l’esprit créatif de James Ensor, artiste pionnier, dont l’héritage a transcendé son époque. Terriblement ambitieux, aspirant à devenir le leader de l’avant-garde belge, James Ensor introduisit, très tôt dans son œuvre, les influences des impressionnistes français à la renommée établie, tels qu’Édouard Manet (1832-1883), Claude Monet (1840-1926) et Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). Mais Ensor ne serait pas Ensor s’il ne sortait pas de la voie tracée pour suivre sa propre quête. Certaines œuvres comme ‘Adam et Ève chassés du Paradis’ révèlent que l’artiste va puiser chez les impressionnistes, comme l’usage d’une palette aux couleurs vives. Cependant, ce n’est pas la beauté du monde mais son exquise turbulence qu’exaltent les toiles de l’artiste, dont la voix expérimentale ne cesse de s’affirmer.
James Ensor, fort de son esprit imaginatif, s’éloigne résolument de l’idéal classique européen de beauté et de l’impressionnisme, qui l’a d’abord fasciné, pour, finalement, influencer les autres, avec ses choix de couleurs expressifs et ses images de rêve, les rêves les plus fous d’Ensor témoignant de cette évolution artistique à travers les grandes étapes, qui ont déterminé sa carrière.
Son aventure artistique prend son élan, avec des œuvres comme « Le Christ marchant sur la Mer » et « La Tentation de Saint Antoine », cette dernière étant un collage monumental, complexe et quasi-surréaliste, apparaissant comme étant le fruit d’une ivresse créatrice.
Au-delà d’un profond intérêt pour l’impressionnisme, James Ensor tente d’en dépasser les limites comme en témoignent l’expressivité puissante de ses couleurs et son goût prononcé pour les formes biscornues. Laissant libre cours à son imagination, à ses visions et à ses rêves fantasques, il élabore une iconographie grotesque, terrifiante et hilarante à la fois. Son intérêt pour l’insondable rapproche l’artiste de peintres tels qu’Edvard Munch (1863-1944) ou Odilon Redon (1840-1916). La culture populaire, de la fin du XIXè siècle, imprègne également James Ensor et insuffle à l’artiste l’usage des masques de carnaval, par lesquels il cherche à dévoiler plutôt qu’à dissimuler les personnages masqués.
La dimension humoristique de James Ensor reste sous-estimée. Or, son art est imprégné d’ « incohérence », de « fumisterie » et de « zwanse », des formes d’humour moqueur, qui étaient très en vogue de la fin du XIXè siècle dans les cercles bruxellois et parisiens. Le regard d’Ensor sur l’humanité oscille entre légèreté et pessimisme, tout en étant lyrique et hilarant. « Ensor, Rêves fantasques » nous montre un Ensor au sommet de son art satirique.
Parmi les peintures exposées, notons encore des oeuvres de Jérôme Bosch (vers 1450-1616), Francisco Goya (1746-1828), Félicien Rops (1833-1898) et de Rik Wouters (1882-1916).
James Ensor ne s’étant pas limité à la peinture, il laissa, aussi, libre cours à son envie d’expérimenter des dessins détaillés et des gravures puissantes.
Certaines oeuvres de James Ensor risquent de ne plus être vues en Belgique pendant un certain temps, émanant de collections privées ou nous venant d’un autre continent, comme « Squelettes se réchauffant », prêtée par le « Kimbell Art Museum », à Fort Worth, au Texas, ou « Masques confrontant la Mort », nous venant du « MoMA », à New York, sans oublier « La Tentation de Saint-Antoine », un prêt de l’ « Art Institute », à Chicago, en Illinois.
Lisons encore ce qu’écrit le curateur Herwig Todts : « L’approche unique d’ ‘Ensor, Rêves fantasques. Au-delà de l’Impressionnisme’ permet de suivre le peintre dans son extraordinaire évolution artistique. Jamais auparavant sa technique, sa thématique et surtout son parcours turbulent n’avaient été étudiés de cette façon. Nous voyons qu’Ensor n’est pas un artiste en quête de l’’essence de l’art. L’essence de son art, ce serait plutôt cette imprévisibilité fantaisiste, qui l’amène à emprunter sans cesse de nouvelles voies. Cette exposition immerge le visiteur dans un univers merveilleux et envoutant à l’image de l’artiste. »
A noter qu’inclu dans le prix d’entrée, jusqu’au dimanche 12 janvier, nous pouvons, également, visiter, au sein du cabinet d’arts graphiques du musée. l’exposition « Jules Schmalzigaug. Futurismo ! », grâce à un don précieux d’un couple des collectionneurs & galeristes Ronny et de Jessy Van de Velde.
Revenons à James Ensor, afin de souligner que, durant les nocturnes des jeudis, jusqu’à 22h, nous pouvons choisir parmi un large éventail de visites accompagnées de l’exposition et une panoplie d’ateliers créatifs, allant de la sculpture à la peinture, en passant par la gravure, le musée invitant jeunes et moins jeunes à découvrir l’Ensor qui sommeille en eux.
N’oublions pas que le « KMSKA », qui possède la plus importante collection d’oeuvres de James Ensor au monde, abrite le « Projet de Recherche Ensor », des chercheurs examinant, en s’appuyant sur différents éléments d’analyse, la façon dont James Ensor entamait ses toiles, aussi bien que le message qu’il voulait transmettre, … le « KMSKA » étant, ainsi, le lieu par excellence pour rendre hommage à l’un des pères du modernisme.
James Ensor parvient toujours à surprendre par ses contrastes entre le comique et le sinistre, le raffiné et le sauvage, les salons bourgeois douillets et les squelettes effrayants. Dans les œuvres d’Ensor, nous ressentons le battement de cœur de la passionnante fin du XIXè siècle, une époque pas si différente de la nôtre, avec des bouleversements sociaux et politiques, ainsi que des innovations techniques étonnantes.
« J’ai donné un style très libre, le beau style de peintre, style reflétant mes mépris, mes joies, mes peines, mes amours : style de rappel harmonieux, style musical, style sonore, style de plume et de pinceau et mes masques sont venus d’ici et de la mer » (James Ensor).
Ouverture : jusqu’au dimanche 26 janvier, les lundis, mardis, mercredis, de 10h à 17h, les jeudis, de 10h à 22h, les samedis et dimanches, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 20€ (10€, de 18 à 25 ans / 0€, pour les moins de 18 ans, l’accompagnateur.trice d’une personne à mobilité réduite & les détenteurs d’une carte « museumPASSmusées ». Contacts : 03/224.73.00 (du lundi au vendredi, de 10h à 12h). Site web : https://kmska.be/fr.
- Autres expositions anversoises sur l’oeuvre de James Ensor :
*** « Etats d’Imagination d’Ensor », au « Plantin Moretus Museum », jusqu’au dimanche 19 Janvier :
Comment James Ensor réalisait-il ses gravures ? Quelles techniques utilisait-il ? De quelle manière a-t-il expérimenté ce médium et de quels anciens maîtres s’est-il inspiré ? Nous le découvrons dans cette exposition. Site web : https://museumplantinmoretus.be/.
*** « Mascarade, Maquillage & Ensor », au « Modemuseum » (« MoMu »), jusqu’au dimanche 02 février :
Cette exposition étend au présent les idées de James Ensor à propos de la mascarade, la (fausse) coquetterie, la séduction, la tromperie, l’artifice et la fugacité. Le ‘MoMu’ célèbre les peintres de la mode – le savoir-faire et la créativité inépuisable des artistes du maquillage et de la coiffure – dans une exposition multimédia, où se rencontrent, l’art, la couleur, la lumière, la mode et le maquillage. Site web : https://www.momu.be/.
*** « Cindy Sherman – Anti Fashion », au « Fotomuseum » (« FOMU »), jusqu’au dimanche 02 février :
Le « FOMU » participe à l’événement « ENSOR 2024 » en transposant, dans un contexte artistique contemporain, les thématiques abordées dans l’œuvre de James Ensor. Comme ce denier, la photographe américaine Cindy Sherman (°Glen Ridge {New Jersey/USA}/1954) est réputée pour ses mascarades, qui invitent à poser un regard critique sur les conventions sociales. Découvrons plus de 100 photos couvrant la période des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Site web : https://fomu.be/.
Une journée à Antwerpen s’impose pour terminer en beauté l’ « Année Ensor », l’héritage de ce peintre d’avant-garde y perdurant !
Yves Calbert.