"L'Album du Diable. Les Tentations de Félicien Rops", au "Musée Félicien Rops", à Namur, jusqu'au 09 Mars

écrit par YvesCalbert
le 14/02/2025

« Je suis effrayé du bouillonnement de mes artères, où on dirait que le diable me renouvelle le sang, en y versant du sien ! » (Félicien Rops/1893).

 

 

Entre 1878 et 1882, Félicien Rops (1833-1898) travaille avec passion sur des dessins, qui comptent aujourd'hui parmi ses chefs-d'œuvre, dont la célèbre "Pornocratès" (1878), exposée au sein de la collection permanente, différents projets figurant dans l'exposition. A son sujet, il écrit, en 1879, à l'écrivain belge Edmond Picard (1836-1924) : "Voici : sur une frise antique, une grande femme, nue comme toutes les vérités, les yeux bandés, gantée de noir, chaussée de grands bas de soie, coiffée d'un Gainsborough, se laisse guider par un cochon, à queue d'or."

 

 

Durant cette période, il crée un album de 114 dessins, intitulé "Les Cent légers Croquis sans Prétention pour réjouir les honnêtes Gens" (1878-1881). Dans cet ouvrage, une commande de Jules Noilly, Félicien Rops dépeint avec humour sa vision des mœurs amoureuses de la société de son temps, l'artiste namurois et son commanditaire s'étant échangé des idées, les ayant comparées, avaient établi, dès le départ, une véritable collaboration.

 

Ainsi, en 1878, Félicien Rops écrit à Jules Noilly : "Je vous ai dit mon idée : faire dans les 'Cent Croquis', tout le demi nu moderne. Continuer ce demi nu dans l’ 'Album du Diable', en y joignant le nu, comme j’ai refait dans la 'Tentation de Saint-Antoine', toute cette mythologie païenne si belle, si franchement nue & amoureuse, & que personne n’a jamais osé faire. J’y apporterai, je crois, une façon toute nouvelle de l’interpréter. »

 

 

En 1878, Félicien Rops mentionne : « Je finis une 'Tentation de Saint-Antoine', qui est bien curieuse. Le diable a ôté le Christ de la croix, sujette à bien des "détournements", pour vexer Saint-Antoine et il y a collé une femme nue. Saint-Antoine, en proie aux désirs libidineux, se précipite à son prie-Dieu et recule épouvanté. Le cochon est stupéfait." Il est l’animal totémique de Saint-Antoine. A partir du Moyen-Âge et surtout au XIXè siècle, il devient le symbole de l’impureté et des vices. Une incarnation du Diable.

 

Au sujet de ce tableau, le neurologue autrichien Sigmund Freud (1856-1939) écrivit, évoquant la "femme fatale" : "Seul Félicien Rops lui a fait prendre la place du Sauveur sur la croix."

 

En 1881, Félicien Rops annonce avoir réalisé 65 dessins pour cet album diabolique, qui illustre le pouvoir de la femme fatale, qui ne verra jamais le jour, la plupart de ces œuvres étant, ainsi, restées méconnues.

 

Première oeuvre exposée au sein de "L'Album du Diable. Les Tentations de Félicien Rops", "La Tentation de Saint-Antoine", prêtée, à titre exceptionnel, vu sa fragilité, par la "Bibliothèque royale de Belgique", ce chef d'oeuvre de Félicien Rops synthétise certains thèmes qu'il a souvent traités : la présence du Diable, la femme tentatrice, la critique de la religion, l'animalité, le livre comme objet de perversion, les facétieux puttis et les squelettes.

 

Notons que Félicien Rops souhaitait réunir les "Cent Croquis" et "L'Album du Diable" sous le titre "La Vérité nue" ou "Notre Temps à nu".

 

Par ailleurs, présence d'un focus sur la série, initialement intitulée "Les Démoniaques", rebaptisée "Les Sataniques" (1882), qui met en lumière les techniques artistiques utilisées pour décrire la possession de la femme par le Diable. L'artiste namurois commente : « Il faut surtout que tu éloignes de la tête des gens toute idée d’attaque à la religion, ou ‘d’éroticité’. Le nu n’est pas érotique. Quant à la religion, elle n’est point attaquée. »

 

C'est à partir du projet inachevé de l' "Album du Diable" et de "La Tentation de Saint-Antoine" que le "Musée provincial Félicien Rops" souhaite - par cette exposition placée sous le co-commissariat de Philippe Comar & Mony Vibescu - faire (re)découvrir le volet satanique de cette production artistique controversée. Des œuvres, provenant de la "Bibliothèque royale de Belgique" (Bruxelles), du "Musée Marmottan-Monet" (Paris) et de prestigieuses collections privées, viennent enrichir les collections de ce superbe musée namurois. Comme le confiait l'écrivain français Joséphin Péladan (1858-1918), à propos de l'univers de Félicien Rops : « L’homme pantin de la femme, la femme pantin du diable. »

 

 

Voici l'occasion de signaler, que jusqu'au dimanche 09 mars, au sein de la collection permanente, nous pouvons découvrir incluse dans le prix d'entrée, l'Expo Focus : "Félicien Rops & Joséphin Péladan : les Vices suprêmes", Joséphin Péladan (Joseph-Aimé Péladan/1858-1918) étant un écrivain occultiste & critique d'art français, lauréat, en 1909 & 1914, de deux Prix littéraires, octroyés par l' "Académie française". Impressionné par le travail de Félicien Rops, Joséphin Péladan publia, en 1883 et 1885, plusieurs articles élogieux à son sujet, ayant écrit à l'artiste namurois : « J’ai vu de vous des eaux-fortes magistrales et d’une perversité si intense que moi, qui prépare le 'Traité de la Perversité', je me suis épris de votre extraordinaire talent. »

 

... Mais revenons à "L'Album du Diable. Les Tentations de Félicien Rops" - également programmé jusqu'au dimanche 09 mars -, pour insister sur le fait que, depuis 1998, année du centenaire de la mort de Félicien Rops, ce musée namurois n'avait plus consacré une exposition temporaire à "son" artiste.

 

Et pourtant, les connaissances autour de son oeuvre ne cessent d'évoluer et chaque année, l'équipe scientifique du musée découvre de nouveaux champs de recherches. C'est pour cette raison qu'une rétrospective autour de son projet "L'Album du Diable" a vu le jour, sans oublier que le superbe catalogue, édité par "Snoeck Publishers", constitue une belle manière de concrétiser, en 2024, une publication qu'il a projetée de réaliser à plusieurs reprises dans sa correspondance.

 

Cette exposition est l'occasion de retracer les lignes de force et d'inspiration de Félicien Rops, nous permettant de (re)découvrir des oeuvres issues de collections privées, de musées belges et étrangers, mais aussi des dessins et gravures habituellement conservés dans les réserves du "Musée Félicien Rops".

 

Pour "L'Echo", notre collègue Bernard Roisin écrit : "Cette exposition, de facture classique, met en exergue la virtuosité diabolique du dessin de Rops, tout comme la diversité de son style, qui puise à la fois dans l'impressionnisme ("Leda et le Cygne") ou le japonisme ("La Pieuvre", qui se réfère directement à Katsushika Hokusai {1760-1849/ndlr}), dans ces deux œuvres reprises dans la thématique de l'animalité."

 

Soulignant la présence, comme James Ensor (1860-1949) le fit, de nombreux squelettes dans les oeuvres de Félicien Rops, notons ce qu'André Guyaux, écrit dans le catalogue (p.88) :" Dans la lettre à Malassis, de Juin 1864, sous le couvert de ses affinités avec Baudelaire, Rops glissait une étrange définition du squelette : 'Baudelaire est, je crois, l'homme dont je désire le plus vivement faire la connaissance, nous nous sommes rencontrés dans un amour étrange, l'amour de la forme cristallographique première : la passion du squelette'. "

 

"Comme le cristal, le squelette est composé d'arêtes enfermant d'autres arêtes, solides et fragiles à la fois, qui résistent ou qui se brisent. Mais c'est aux coraux que pense Rops, à ces squelettes naturels qu'ils forment au fond de l'océan."

 

 

Et André Goyaux de citer quatre vers du poète français Charles Baudedaire (1821-1867), qui pourraient servir de légende à l'héliogravure "La Mort au Bal masqué" (1895), créée par son ami namurois :

 

"Vit-on jamais au bal une taille plus mince ? / Sa robe exagérée, en sa royale ampleur / S'écroule abondamment sur un pied sec que pince / Un soulier pomponné, joli comme une fleur."

 

A l'étage, nous sommes accueillis, su le pallier, par cinq plaques en cuivre, gravées, qui permirent la réalisation de sa série des "Sataniques" (vers 1882) : "Le Calvaire", "L'Enlèvement", "L'Ivraie", "Le Sacrifice" et, "last but not least", "Satan semant l'Ivraie", cette dernière création se retrouvant sur l'affiche de la présente exposition, Félicien Rops ayant écrit à son sujet : "D'un geste puissant, il jette les femmes, à travers les espaces, les femmes qui emplissent son tablier flottant, graine funeste des crimes et des désespoirs humains. Et sous les bords de son large chapeau breton, son regard étincelle d'une joie malfaisante."

 

 

Quant à la première oeuvre citée, "Le Calvaire", nous en retrouvons plusieurs versions dans la salle de l'étage, l'une d'elle étant encadrée par deux petits rideaux rouges, attirant ainsi notre attention sur une scène destinée à un public averti ...

 

"Les relations entre le diable et la femme, voire la possession de la femme par satan, ont nourri l'imaginaire de la fin du XIXè siècle, le satanisme ayant fasciné, autant qu'effrayé."

 

Lors de la visite de presse, la conservatrice, Véronique Carpiaux, tint à insister sur le fait que c'était la toute première qu'à l'occasion de "L'Album du Diable. Les Tentations de Félicien Rops", ces cinq "Sataniques" se retrouvaient exposées côte à côte.

 

 

Ouverture : jusqu'au dimanche 09 mars, du mardi au dimanche, de 10 à 18h. Prix d'entrée (incluant l'accès à la collection permanente) : 8€ (4€, en prix réuit/0€, pour les moins de 12 ans, pour tous, le dimanche 02 mars, pour les détenteurs du museumPASSmusées & lors de visites scolaires, pour les élèves des Catalogue (L. Brogniez, V. Carpiaux, Ph. Comar, R. Dekoninck, P. Depuydt, A. Guyaux, G. Lacroix, S. Schvalberg & H. Védrine/Ed. "Snoeck Publishers"/ 2024 /cartoné/144 pages/23,80 x 28,70 cm) : 28€. Contacts : 081/77.54.94 & info@museerops.be. Site web : https://www.museerops.be/.

 

Avertissement : le caractère érotique et/ou macabre de certaines oeuvres pourraient choquer la sensibilité de certains visiteurs. 

 

Conférence : "Le Triton, cet Intervalle musical diabolique", par Thierry Bouillet ("Institut royal supérieur de Musique et de Pédagogie" {"IMEP"}. Vendredi 21 février, à 11h30. Réservations obligatoires : 081/77.67.55 & info@museerops.be.

 

Expo Focus : "Félicien Rops & Joséphin Péladan : les Vices suprêmes", jusqu'au dimanche 09 mars, au sein de la collection permanente. Catalogue (Daniel Gueguen/2024/broché/40 pages/20 illustrations) : 7€.

 

 

Expo Focus : "Rops et le Climat" : jusqu'au vendredi 30 mai, au sein de la collection permanente. Une occasion de comparer dix paysages du XIXè siècle, peints par Félicien Rops et dix oeuvres contemporaines - de Peter Depelchin, Camille Dufour, Émelyne Duval, Milan Jespers & Marc-Renier Warnauts - inspirées par les peintures de l'artiste namurois, mais tenant compte des évolutions climatiques, un projet réalisé, en 2023-2024, par des étudiant.e.s (15-18 ans) de l'option “technicien.nes en environnement” de l’ "Insitut Notre-Dame" (Namur). Catalogue (Véronique Carpiaux & François Massonnet/2024/broché/27 pages/30 illustrations) : 7€.

 

En boutique : Outre nombre de livres & de cartes postales, un T-shirt, avec une citation de Félicien Rops : "Notre siècle étroit & bête me pèse comme un vêtement qui n'est pas à ma taille" : 18€ (courtes manches) & 20€ (longues manches).

 

Prochaine exposition : « Constantin Meunier, la Genèse d’une Image », du samedi 12 avril jusqu'au dimanche 07 septembre.

 

Yves Calbert.

 

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