La Migration, vue par Mathieu Pernot, au "Musée Juif de Belgique", jusqu'au 19 Septembre
Diplômé, en 1996, de l’ "Ecole nationale supérieure de la Photographie" d'Arles, il avait dit à ses examinateurs « Ne regardez pas qui je suis, mais qui je vais devenir ». Ayant exposé, dès 1997, à Paris, au "Centre National de la Photographie", et à Arles, aux "Rencontres internationales de la Photographie", Mathieu Pernot (°Fréjus/ 1970) a choisi Bruxelles, cette année, pour une grande première, son exposition "Something is Happening" ("Quelque Chose arrive"), qu'il nous présente, jusqu'au dimanche 19 septembre, près du Grand Sablon, au "Musée Juif de Belgique".
Et ce n'est nullement par hasard si ce photographe français a décidé de présenter son travail dans la capitale de l'Europe, notre Union Européenne n'ayant pu gérer l'historique migration, qui prit l'île de Lesbos, en Grêce, comme lieu d'arrivée sur notre continent de dizaines de milliers de réfufiés fuyant des zones de guerre, sises en Afghanistan, au Congo, en Somalie, en Syrie, ...
Avec lui, nous découvrons deux jungles, celle de Calais, dans le Nord, et celle de Moria, sur l'île de Lesbos, dont le camp fut détruit par le feu, bouté par ses occupants, ce que nous découvrons en premier, sur grand écran, dès notre entrée au sein l'exposition, grâce un montage vidéo de Mathieu Pernot, réalisé à partir d'images filmées, avec leurs portables, par des réfugiés.
Sur un côté de l'écran, une photographie attire notre attention, celle d'une réfugiée au regard angoissé, une angoisse qui va nous accompagner durant toute notre visite, ... qui commence, sur la gauche par une série de clichés, pris, en 2010, dans la "Jungle de Calais", alors que tous les réfugiés, chassés de leurs repaires, avaient abandonnés leurs sacs de couchage dans les bois, la végétation reprenant ses droits sur ces "refoulés de l'histoire".
Sur la droite, d'autres sacs de couchages sont eux bien occupés, en 2009, par d'autres réfugiés, à Paris, dans le Xè arrondissement, à proximité du square Villemin, ces photos ayant été prises tôt le matin, alors que tous dormaient encore, aucune partie de leurs corps n'étant visibles, Mathieu Pernot nous confiant : "A la fois présents et absents, ils nous rappellent les corps des champs de bataille que nous ne voyons plus."
Au centre de cette première salle, nous découvrons, retrouvés par le photographe, des cahiers d'écoliers, partiellement brûlés, retrouvés, en 2009, dans le sable de l'ancien campement de la "Jungle de Calais", Mathieu Pernot ayant écrit : "témoignages sauvés d'un monde disparu, inscriptions matérielles de ceux qui ne font que passer."
Dans la seconde salle, nous passons à d'autres cahiers afghans, 41 doubles pages y étant accrochées, un premier ensemble nous présentant des textes, rédigés en farcis par Jawal, un second, des traductions écrites par Mansour, qui dût fuir l'Afghanistan, en raison de son mariage avec une femme d'une autre confession que la sienne. Arrivé en France, il est aidé par une association qui organise des ateliers pour l'apprentissage du français. Il écrit des mots de première nécessité, traduits du farci sur les pages des cahiers : "Pouvez-vous m'aider ?", "Je viens de", "Faux papiers", "J'ai peur", "Je cherche du travail", "Où sommes-nous ?", "Nous sommes vivants", "Ma femme est enceinte",... autant d'expressions qui s'égrènent au fil des pages, avant de laissr la place aux valeurs de la République française : "14 juillet", "Fête nationale", "Liberté", "Egalité", "Fraternité",...
Enfin, le dernier ensemble de cette salle nous donne à voir des listes de mots écrits en français et répétés sur plusieurs lignes, afin d'apprendre la calligraphie occidentale.
Montant vers l'étage, nous regardons, sur un mur jouxtant les escaliers, une vidéo nous montrant une brutale intervention en mer Egée. Quinze mini vidéos, prises par des réfugiés, ayant été mises bout à bout, nous présentent, sur un grand écran, un court-métrage, avec, notamment, des scènes de manifestations, de l'incendie du camp de Moria, de manifestations, dont celle filmée à la frontière gréco-turque, des militaires grecs et turcs, armés jusqu'aux dents, étant présents.
Avant cela, dans la première salle de l'étage, nous découvrons la vie au sein de l'ancien camp de Moria, avec ce boulanger cuisant sa galette de pain sur des briques enfouies dans la terre, un appel d'air permettant la cuisson, ou encore cette fillette assise devant son habitat de toiles ou ce garçon activant un feu avec son pied droit.
Mêlant photographies, vidéos et supports manuscrits, l’exposition place en son coeur un espace-temps aussi précis qu’emblématique : l’île de Lesbos au cours de l’année 2020. Située en mer Egée, à quelques kilomètres des côtes turques, cette île a connu en 2020 une succession de crises qui en font un point nodal de notre histoire et de notre conscience. C’est à ce titre que le "Musée Juif de Belgique" a imaginé cette exposition, création originale qui interroge des thématiques qui font écho à l’histoire longue des collectivités juives : l’exil, la violence, la solidarité.
Montré pour la première fois, le travail que Mathieu Pernot a mené à Lesbos en 2020 est, ici, ancré dans une œuvre au long cours. Depuis plus de dix ans, le photographe se confronte à la question migratoire et à la présence des demandeurs d’asile sur le continent européen. Si les premières images rendaient compte d’une forme d’invisibilité de ces individus dissimulés dans des sacs de couchage, dans les rues de Paris ou chassés de la forêt de Calais, les séries de photos réalisées par la suite explorent de nouvelles formes de récits partagés. En recueillant des textes écrits sur des cahiers d’écoliers ou en réceptionnant des images enregistrées sur leur téléphone portable, l’auteur se fait aussi le passeur de « la vie des autres », indiquant combien celle-ci, avant même d’être celle des autres, est une Histoire commune qu’il faut raconter ensemble.
Ayant mis eux-même le feu à leurs lieux de vie, la dernière salle, outre quelques portraits, nous montre les migrants, masqués, faisant la file, pour être enregistrés dans leur nouveau camp de Mytilène, où ils ne bénéficent plus d'habitations familiales, tous étant, désormais, logés dans de grandes tentes communes, ce qui ne permet plus au boulanger de pouvoir disposer de son four privé, tous vivant dans de moins bonnes conditions qu'auparavant, eux qui étaient venus en Europe dans l'espoir de trouver une vie de meilleure qualité.
"Que faut-il taire ? Que fait-il dire ? Que faut-il déplorer ?", écrivait Euripide (vers 480 à 408 avant notre ère), dans "Les Troyennes".
Ouverture : jusqu'au dimanche 19 septembre, du mardi au vendredi, de 10h à 17h, le samedi et le dimanche, de 10h à 17h. (fermé les 21 juillet, 15 août, 8 et 16 septembre). Prix d'entrée : 10€ (7€, pour les étudiants et les seniors / 1€25, pour les "Art. 27" / 0€, pour les moins de 12 ans. Réservations obligatoires : sur les sites web : https://agenda.brussels/fr/209899/musee-juif-de-belgique/shop et https://www.mjb-jmb.org/. Contacts : 02/512.19.63 et info@mjb-jmb.org. Livre-Catalogue : "Ce quil se passe" (Ed. "Gwin Zegal"/2021/broché/24€).
A la fin de cet ouvrage, fort bien illustré, ne comptant que trois pages de textes, Mathieu Pernod écrit : "Mes pensées vont à tous ceux que j'ai rencontré sur l'île (de Lesbos/ndlr) et qui m'on tenvoyé des vidéos de leur quotidien. Certains d'entre eux continuent de me dire ce qu'il se passe : Jyoka, Aboubakar, Diallo, Fofana, Marwan, Idris, Rouddy, Sherif et Mohamed. Quelques-uns sont encore sur l'île, d'autres sont repartis sur la route, en quête d'une vie meilleure."
Dans les 70 m2 du "Project Space", lieu dédié à des projets nouveaux et expérimentaux, une seconde exposition nous est proposée, jusqu'au dimanche 29 août : "Ellis Island", nous présentant les oeuvres d'Armando Andrade Tudela, Marianne Berenhaut, Heidi Bucher, Miriam Cahn, Latifa Echakhch, Sigalit Landau, Alina Szapocznikow, Naama Tsabar et Lawrence Weiner.
Ces créations nous concentrent sur la manière dont les artistes contemporains traitent le thème de l’exil et comment ils confrontent le monde en tant que lieu de dispersion, d’enfermement et d’errance. Au sein de ces deux salles, nous explorons le déracinement et l’émigration comme un état mental ou physique, mais aussi comme un « catalyseur » de création, où sont mis en œuvre des processus artistiques d’assemblage et de fragmentation.
Notons que le titre choisi, "Ellis Island", est le nom donné à un îlot, sis à l'embouchure de l’Hudson, ,à New York faisant face au quartier de Manhattan. Cet îlot était, entre 1892 et 1924, le principal point d'entrée de nombre de communautés arrivant sur le sol américain. Près de seize millions d’émigrants – majoritairement d’Europe mais aussi de pays arabes – y passèrent, en transit, ayant été amené à subir toute une série d’examens médicaux et psychologiques, mais aussi à changer d’identité. Il s'agissait là d'un lieu utopique, où l'on s’oublie, où le corps et l’identité se transforment, un lieu où on laisse aussi place aux rêves et à l’espoir d’un monde meilleur.
A souligner que ce lundi 24 mai marquait le 7è triste anniversaire de l'attentat terroriste perpétré au "Musée Juif de Belgique", qui couta la vie à un couple de ses visiteurs, Myriam et Emmanuel Riva, et à deux de ses employés, Dominique Sabrier et Alexandre Strens, cet attentat meurtrier ayant été le premier d’une longue série européenne, touchant des personnes de toutes appartenances, ciblant la Culture et l'intelligence.
Notons encore ce que la directrice de ce musée, Barbara Cuglietta, et son président, Philippe Blondin, ont tenu à déclarer : "En hommage aux victimes ainsi qu’à leurs familles durement éprouvées, le 'Musée Juif de Belgique' choisit l’ouverture face au repli. Nous croyons fermement que les tensions récentes dans le monde rendent aujourd’hui et plus que jamais indispensables les lieux de rencontre, de partage et de dialogue. C’est pourquoi, à travers nos nouvelles expositions et nos activités éducatives, nous invitons notre public à penser avec nous les thèmes de l’immigration, l’identité, l’exil, les discriminations et les droits des minorités. Le 'Musée Juif de Belgique' restera un lieu ouvert à toutes et tous, un lieu d’émotion, et un lieu dans lequel nous réfléchissons sur le présent et le passé dans l’espoir de construire ensemble une société meilleure et plus inclusive."
Dans cet espoir, n'hésitons pas à découvrir "Ellis Island" et "Something is Happening", cette dernière exposition nous présentant l'excellent travail sur la migration, dû au talent du photographe français Mathieu Pernot, lauréat du "Prix Cartier-Bresson" (2019), du "Prix Niepce" (2014), du "Prix Nadar" (2013), du "Prix Romanes" (2001, pour son livre "Un Camp pour les Bohémiens"), sans oublier l'obtention de deux Bourses, de la "Casa de Velazquez" (école française implantée à Madrid, pour un projet en Espagne, décernée en 2003) et de la "Villa Médicis hors les Murs" (1999, attribuée par l' "AFAA" {"Association Française d'Action Artistique"}, pour un travail sur les Roms, en Roumanie).
Yves Calbert.