Joel-Peter Witkin et Debi Cornwall au "Musée de la Photographie", à Mont-sur-Marchienne, jusqu'au 16 Mai
Au "Musée de la Photographie", à Mont-sur-Marchienne, jusqu'au dimanche 16 mai, de nouvelles expositions nous sont proposées à l'initiative de son dynamique conservateur, Xavier Canonne.
*** "Le grand atelier de Joel-Peter Witkin" :
Evoquons d'abord la centaine de photographies, présentées sous le titre "Le grand Atelier de Joel-Peter Witkin", dans les deux salles principales de cet ancien carmel néo-gothique, qui, depuis 1987, abrite ce superbe musée.
"Je veux que l’on se souvienne de moi comme d’un artiste chrétien ! (…) Le travail du théologien est d’expliquer Dieu aux humains, celui de l’artiste de montrer la merveille de la vie dans toutes ses apparences et notre conscience de sa part divine », écrit le photographe américain Joel-Peter Witkin (°Brooklin-New York/1939).
Xavier Canonne écrivant : « La vertu principale de l’œuvre de Joel-Peter Witkin, puisque de vertu il pourrait être question ici, est peut-être par-delà sa fascination pour la laideur et la différence, d’en vouloir exalter la beauté, de la rendre acceptable au regard de l’autre et de rendre familières ces figures troublantes à travers les monuments de l’art et de la mythologie. Les dieux antiques revêtaient diverses apparences pour mystifier les mortels, les laissant en proie au doute, aux questions. Celles que l’on ne manquera pas à présent de se poser devant l’ambiguïté de ces photographies, leur part d’artifice et de réalité. »
« Il y a 20 ans, je n’aimais pas ce travail. C’est en lisant les textes et interviews de Witkin que j’ai commencé à entrer dans son univers. Il revient sans cesse sur sa foi chrétienne et ce n’est pas une manipulation de sa part. En photographiant les transsexuels, les estropiés, les gens différents de la norme, c’est un acte d’amour qu’il pose. Il montre ces gens que nous ne voulons pas regarder et il les magnifie. Cela ramène à des films comme 'Freaks' (Tod Browning/USA/1932/62'/ndlr) ou 'Elephant Man' (David Lynch/USA-UK/1980/124'/ndlr), qui, eux aussi, montrent que ceux que nous considérons comme des 'monstres' sont finalement bien plus humains que le commun des mortels. Et sont, comme les autres, des créatures de Dieu. »
Présent à Mont-sur-Marchienne, lors de la visite de presse du vendredi 05 février, son galeriste et ami parisien Baudoin Lebon déclara : « Pour entrer dans l’univers de Joel-Peter Witkin, il y a trois prérequis. D’une part, tout repose sur l’interprétation et la digestion de l’histoire de l’art occidental. Surtout ses aspects mythologiques et mystiques. Ensuite, il faut comprendre que pour lui, la beauté n’est pas juste celle de la Renaissance ou des canons de la perfection antique. Il estime que la beauté est partout, dans chaque être humain. Enfin, pour lui, la mort fait partie de la vie. Si on accepte ces trois approches, on peut entrer dans son œuvre. »
Joel-Peter Witkin, né d’un père juif d’origine russe et d’une mère catholique pratiquante d’origine italienne, hérita d'un métissage qui eut un grand impact dans ses réflexions religieuse, spirituelle et philosophique.
Enfant, il est témoin d’un accident de voiture au cours duquel la tête d’une petite fille roule à ses pieds. Cette image, qui le marquera à vie, lui donnera un certain goût pour le macabre et les images fortes.
À l’adolescence, sous l’influence de son frère peintre refoulé, il se lance dans la photographie, devenant l'assistant de quelques photographes, avant de se rendre au Vietnam, en tant que reporter de guerre.
En 1970, ses premières photographies intègrent les collections du "MoMA", à New-York. Etudiant à la "Cooper Union", sise dans le quartier de Lower Manhattan, il y obtient sa licence en Beaux-Arts, avant de réussir un master en histoire de l'art, à l’ancienne "Université d’Albuquerque", au Nouveau-Mexique, fermée en 1986, où il étudia également la photographie.
Joel-Peter Witkin démontre une connaissance approfondie de la peinture et de la sculpture autant que de la photographie et de la mythologie. L’on ne peut à contempler ses photographies se déprendre du jeu de l’analogie : ici Albrecht Dürer, Francisco de Goya, là Pablo Picasso ou Etienne-Jules Marey, quand Sandro Botticelli, Diego Vélasquez ou Man Ray ne sont directement cités, Joel-Peter Witkin s’en réappropriant l’iconographie en d’étonnants télescopages déjouant la chronologie et les disciplines, à l’exemple de ces équivoques Galatées, de la mythologie grecque, jusqu'aux corps érotisés dont il s’est fait le Pygmalion.
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Baudoin Lebon déclara à Pascal Goffaux, pour "Music 3" : "Joel-Peter Witkin élabore ses photographies avec minutie. S’enclenche alors une longue réflexion, un long processus créatif - pouvant atteindre de six mois à un an et demi - entre les premiers dessins préparatoires, la prise de vue qui leur sera fidèle et le tirage final."
"Cet artiste est hors normes, inclassable. C'est un mystique ayant une très grande foi dans son travail. Dans l'art byzantin, l'art grec, il y avait des monstres. Cela fait partie de l'iconographie occidentale. On l'accepte parce que cela est fort ancien. Lorsque je l'ai rencontré, j'avais des doutes sur la profondeur de son travail."
"Pour lui l'humanité, c'est tout le monde, tous les gens, les petits, les grands, les gros, les bras en moins, les nez de travers. Je l'ai aidé dans sa recherche de mannequins. De temps en temps, j'ai trouvé le modèle qu'il recherchait, qui physiquement ressemblait à ce qu'il voulait, mais il ne veut pas d'un simple objet en face de lui. Si une relation humaine ne s'établit pas avec un modèle, il ne prend pas la photo."
Chez Joel-Peter Witkin, il n'y a ni spontanéité, ni instantané, mais un long travail avant, pendant et après la prise de vue. Fascination et répulsion, compassion et voyeurisme sont autant de réactions possibles face à ses photographies, qui semblent être les tableaux d’une « monstrueuse parade » mettant en exergue un monde de
souffrance, de mutilations, de désincarnations, sans exclure une forme de dérision. Mutilés, androgynes, transexuels, cadavres démembrés, empruntés aux morgues, réinterprètent des figures mythologiques ou bibliques, magnifiés par son travail d’artisan orfèvre, une pratique excluant toute manipulation digitale.
*** "Debi Cornwall. Welcome to Camp America" :
Si Joel-Peter Witkin trouve un chemin vers la beauté derrière l’apparente laideur, une autre photographe américaine, Debi Cornwall (°Weymouth-Massachusetts/1973) parvient, avec "Welcome to Camp America", à évoquer l’horreur, en filigrane d’une communication de papier glacé ultra-contrôlée, ces trois séjours, entre mars 2014 et janvier 2015, sur la base militaire américaine de Guantanamo, sise dans le sud-est de l'île de Cuba.
Debi Cornwall étudia la photographie à la "RISD" ("Rhode Island School of Design"), de 1992 à 1995, avant de terminer avec une distinction en culture moderne et médias, de la "Brown University", à Providence, capitale de l'Etat de Rhode Island. Quant à sa formation d'avocat, elle l'entreprit, en 2000, à l' "Harvard Law School", la faculté de droit de l' "Harvard University", sise à Cambridge, dans l'État du Massachusetts.
A souligner que son présent reportage fut primé à Lianzhou, en Chine, au "Festival international de la Photographie".
Avec cette exposition, nous vivons au sein de ce pénitencier, avec une photographie d'un "Mac Donald" et des images qui nous font penser à un « Club de Vacances », incluant des transats en bord de mer, une piscine et des terrains de jeux, cette série de photos s'intitulant « Gitmo at Home, Gitmo at Play » ("Gitmo à la Maison, Gitmon au Jeu"), "Gitmo" étant le nom donné par les miltaires à ce lieu carcéral.
Voici donc, au "Musée de la Photographie", une vision fort différente de ce que nous connaissions de ce pénitencier, sachant qu'ici Debi Cornwall - bénéficiant de l'expérience de ses douze années vécues comme avocate au barreau de New York - évoque la partie réservée aux militaires, qui vivent là, en famille, avec leurs enfants, la présence de ces derniers étant évoquée par un "nounours", qui, présent dans une vitrine de cette exposition, fut acheté dans la boutique à souvenirs de cette base militaire, cette section s'intitulant « Gitmo on Sale » ("Gitmo en Vente"), un mug, des verres à liqueurs, un tee-shirt, porteur d'un texte incongru "I love Guantanamo Bay", ou encore une figurine d'un Fidel Castro (1926-2016) dodelinant de la tête nous y étant également présentés.
Bien sûr, l'essentiel des photos concerne les lieux réservés aux détenus et à leur univers carcéral (cellule minimaliste, kit de vêtements réduit à l’essentiel, tapis de prière en caoutchouc, ... ) au sein duquel les conditions de vie des détenus sont particulièrement strictes.
Tous ces clichés argentiques furent réalisés sous le contrôle des militaires, Debi Cornwall ayant même dû les développer dans la baignoire de sa chambre d’hôtel, sous le regard attentif de son escorte, vu que, constamment accompagnée, elle devait scrupuleusement respecter certaines règles (interdiction de photographier le moindre visage et dispositif de surveillance).
... Mais nous sommes, ici, bien éloignés des clichés d'hommes en tenues orange, tels qu'elles nous sont traditionnellement proposées dans les médias...
Tout au contraire, dans la dernière série, « Beyond Gitmo » ("Après Gitmo"), nous découvrons quelques clichés, pris de dos, d'anciens détenus de Gutanamo, ayant retrouvé la liberté, chez eux ou déplacés vers d'autres pays.
Trois autres expositions nous sont proposées au "Musée de la Photographie" :
*** "Peter H. Waterschoot. Sunset Memory"
*** "Bruno Oliveira.Back to Neverland", dans la "Galerie du Soir"
*** "Traunstein. Julie Gasemi & Nicolas Dufranne", court métrage présenté au 1er étage, au sein de la "Boîte Noire".
Synospis : « Claire découvre qu’elle apparaît dans un film de mauvaise qualité trouvé sur internet. Elle se voit à la fenêtre de sa maison, accompagnée d’un homme qu’elle ne connaît pas. Ils ont l’air amoureux. Elle décide de partir à la recherche de cet inconnu, vers Traunstein... »
Ouverture : jusqu'au dimanche 16 mai, Prix d'accès (pour les 5 expositions et la collection permanente/paiement par voie électronique) : 7€ (5€, à partir de 60 ans, pour les enseignants, personnes à mobilité réduite et membres d'un groupe de 10 personnes / 4€, pour les étudiants, demandeurs d'emploi / 1€25, pour les "Art. 27" / 0€, pour les moins de 12ans / ce dimanche 2 mai : 3€50 pour les 5 expositions (2€, en prix réduit), accès gratuit à la collection permanente. Réservation obligatoire : via le site web : www.museephoto.be ou par téléphone : 071/43.58.10. Port du masque bucal obligatoire et respect d'une distanciation physique d'1m50 entre les "bulles" sociales.
Yves Calbert.