Houffalize. Les colonies de rhinocéros

écrit par ReneDislaire
le 09/08/2012
rhinoceros, ou orycte nasicorne

Pollution, insalubrité et puanteur
Pierre Vanhemelen, dans son roman « Le Tunnel de l’espérance », dépeint la vie quotidienne à Houffalize à l’époque hollandaise (années 1820) : il en recrée l’atmosphère - l’air qu’on respire – d’une manière inattendue. Pestilentielle.
Le héros, Louis Piedsac, qui a accompagné Napoléon dans toutes ses pérégrinations européennes, revient dans la région de Houffalize. À pied, il va sans dire, par monts et par vaux, dans une nature intacte.
Il approche de Houffalize, par la route de Liège peut-on présumer, et va descendre le Bois des Moines.
Extraits
« Lentement, ses narines sont envahies par une odeur nauséabonde, il rétablit sa respiration. Il renifle à petites doses devant cet adversaire qui semble s’emparer de lui.
C’est Houffalize et ses tanneries qui se sont implantées près de l’Ourthe.
Telles un feu d’artifice les odeurs se brassent, se confondent, s’agrippent aux pentes, infiltrent les sous-bois et maisons de leur haleine pestilentielle et de relents de cuirs, d’écorce de chênes, de tan. Miasmes d’urine à vous couper le souffle et à vous retourner estomac et tripes. »

Un peu plus loin, l’ancien grognard :
« Bigre, c’est le champ de bataille de Waterloo après notre défaite, ça chlingue le cadavre… Et dire qu’ils vivent tous là-dedans ! Quelle merde… »

De mémoire d’hommes…
Nous avons interrogé quelques survivants houffalois de la grande époque des tanneries, les années 1930 : cette activité va décliner avec la guerre.
C’est vrai, admet-on, que ça sentait. Et par fortes chaleurs, surtout. Mais ce n’était quand même pas aussi fort que l’épandage du lisier dans un champ aujourd’hui ! C’était une odeur permanente avec des pics liés à la température de l’air, et à des activités telles que les vidanges des cuves.
Quand on allait à la messe, pas besoin de tourner la tête pour savoir si son voisin travaillait dans une tannerie : tous les vêtements de la famille étaient imprégnés.

Et les touristes ?
Nous parlons bien de la fin du XIXe et du début du XXe siècle: l'ère des Tachtigers, Raemaekers, Ysaÿe et consorts. Ils s’en accommodaient. Il ne faut pas oublier qu’il existait partout, et plus l’habitat était concentré, une pollution beaucoup plus perceptible que celle du CO2 dont on parle tellement aujourd’hui.
Le chauffage domestique mais aussi de tous les bâtiments publics au charbon, les industries, notamment les hauts-fourneaux, le crotin de cheval qui couvrait les « beaux boulevards » (c’était au temps où Bruxelles brusselait…) : autant de vecteurs de maladies mortelles dont beaucoup ont disparu (typhus, vers intestinaux chez les enfants, hémoptysie ou suppuration des poumons).

Des colonies
De nos rencontres avec des « anciens » sont remontées à la surface des histoires sur les rhinocéros, qui peuplaient les villes à tanneries comme Houffalize.
Rhinocéros : en langage savant, les oryctes nasicornes.
André Gide en parle dans un roman édité en 1924 : "J'avais surpris une colonie de rhinocéros, c'est-à-dire d'oryctes nasicornes. Ces beaux insectes d'acajou vernissé, presque aussi gros que les lucanes, portent, entre les deux yeux, la corne retroussée à laquelle ils doivent leur nom.
De « beaux insectes » ? : voire. Michelet, dans un livre scientifique, dit d’eux en 1857 : " les nasicornes, (…) qui emportent avec tant d'agilité des armures plus redoutables que toutes celles du moyen âge, ne nous rassurent que par leur taille."
Les rhinocéros insectes ont donc une corne sur le nez.
Ils colonisaient les lieux par où on évacuait les vidanges des cuves, des eaux saturées de tanin dans lesquelles on avait laissé macérer des couches de peaux, préparées « à la jusée ». Le rejet définitif se dirigeait dans un ruisseau ou dans l’Ourthe, dont la propagande touristique vantait la pureté, laissant aux villégiateurs eux-mêmes le soin de commenter le bon goût des truites que l’on y pêchait (beaucoup de cartes postales l’attestent).

Les gamins faisaient collection de rhinocéros
Leur premier plaisir était d’aller les chercher dans ces zones dangereuses jouxtant les tanneries, un lieu interdit.
Louis raconte qu’ils mettaient les rhinocéros dans des boîtes d’allumettes vides qu’ils dissimulaient dans divers endroits de l’école, et le bruit de ces scarabées grattant leur cage faisait un chahut dont Monsieur le Maître avait peine à identifier et l’origine, et les coupables. Louis est devenu instituteur.
René raconte qu’ils fabriquaient des petites charrettes avec les tiroirs de boîtes d’allumettes. Deux allumettes enfoncées de part en part perpendiculairement aux deux grands côtés faisaient office d’essieux ; quatre petites roues découpées dans du carton, voilà la charrette prête pour l’attelage . « On nouait les extrémités d’un bout de crin à la boite d’allumettes, et à la corne du rhinocéros. Et on s’amusait à le voir avancer en tirant leur remorque. » René est devenu camionneur.

Oryctes nasicornes et odeurs méphitiques
Pour les amateurs de mots savants, les exhalaisons des tanneries sont qualifiées de « méphitiques ». Cet adjectif vient de « Mephitis », déesse grecque des mauvaises odeurs, nom qu’ont donné scientifiques et lettrés aux puanteurs sulfureuses et ammoniacales.

René Dislaire

Liens vers des articles du même auteur sur le roman de Pierre Vanhemelen, qui se situe à l'époque des tanneries:

« Le Tunnel de l’espérance, le souterrain ésotérique » : roman historique ? roman social ?

« Le Tunnel de l’espérance, le souterrain ésotérique » : le style, et anthologie de figures de rhétorique

Lien vers un article concernant le canal.
• Promenade-découverte du Canal de Bernistap avec Jean-Marie Hampert

  • rhinoceros, ou orycte nasicorne
  • rhinoceros, ou orycte nasicorne (2 - 3 cm)
  • Roman de Pierre Vanhemelen
  • Houffalize, du temps des tanneries (avant-plan, et coin inferieur droit)
  • hinoceros, ou orycte nasicorne (2 - 3 cm)
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