"Flags", à la "Villa Empain", jusqu'au 22 Janvier
« Ce n’est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne la drapeau de l’imagination » (André Breton (1896-1966/« Premier Manifeste du Surréalisme »/1924).
De mars à octobre 2020, Alfred Pacquement (°Paris/1948) – officier de la « Légion d’Honneur », directeur, de 2000 à 2013, du « Musée national d’Art Moderne », sis aux 4è et 5è étages du « Centre Pompidou« , à Paris – présentait l’exposition « Mappa Mundi, Cartographies contemporaines ». Nous confiant : « Ce thème des drapeaux représente une manière de regarder le monde qui nous entoure« , il nous revient, jusqu’au dimanche 22 janvier, avec « Flags » , nous présentant près de 70 oeuvres de 62 artistes aussi réputés que Marcel Broodhtaers, Daniel Buren, Wim Delvoye, Raoul Duffy, Gilbert & George, Keith Haring, Claude Monet, Pablo Picasso, George Remy (« Hergé »), Joe Rosenthal, Gustaf Wappers et Andy Warhol.
Comme l’écrit Jean-Marie Wynants, pour « Le Soir » : « Qu’il arbore les couleurs d’un pays, qu’il soit marqué d’une croix ou d’un croissant rouge pour indiquer l’appartenance d’un lieu ou de personnes à une unité secours, qu’on agite sa blancheur pour demander un cessez-le-feu ou qu’il fasse surgir la tête de mort des pirates sur les océans, le drapeau est toujours bien présent un peu partout dans le monde. Et les artistes s’en emparent pour le détourner, l’interpréter, interroger sa valeur d’emblème … »
Peinte à l’aube du fauvisme, avec son oeuvre « La Rue pavoisée » (1906), Raoul Dufy (1877-1953) fait écho à la fameuse « Rue Montorgeuil » (1878), de Claude Monet (Oscar-Claude Monet/1840-1926), dont le pavoisement était déjà prétexte à un ruissellement de couleurs bleu, blanc et rouge, à l’occasion de la Fête nationale française.
Une quinzaine de drapeaux sont suspendus, au dessus de nos têtes, dans la pièce centrale de la « Villa Empain ». Ne cherchons pas quels pays ils représentent. Avec « To breathe – The Flags », l’artiste sud-coréenne Kim Soo-ja a mélangé différents motifs, bien éloignée de tout nationalisme exacerbé, ce qui confirme le propos du commissaire de cette étonnante exposition, Alfred Pacquement : « ce thème des drapeaux représente une manière de regarder le monde qui nous entoure » … « et non pas un pays en particulier », pourrions-nous ajouter.
A l’extérieur, la piscine est parée d’une intervention éphémère intitulée « 1312 Flammes sur l’Eau » (2022), une installation de l’artiste français Daniel Buren (°Boulogne-Billancourt/1938). Disposée de manière à ce que a pointe des flammes, hautes de 8,7 cm, affleure à la surface de l’eau, l’oeuvre, réalisée in situ, suscite un délicat vibrato des pages bleues et blanches, qui résonnent avec les carreaux de céramique de la piscine, d’un bleu similaire.
Côté piscine, mais à l’intérieur, l’artiste pluridisciplinaire marocain Mounir Fatmi (°Tanger/1970) nous propose son installation « Printemps perdus » (2017), qui met en scène les 22 authentiques drapeaux, en berne, des pays de la « Ligue des Etats arabes », les pavillons égyptien, lybien, tunisien et yéménite étant posés sur quatre balais, dont les manches, atteignant trois mètres, servent de hampes fictives, ces balais faisant référence aux soulèvements populaires, menés au printemps, qui ont mené aux chutes de Hosni Boubarak (1928-2020), en Egypte, de Mouhammar Kadhafi (1942-2011), en Lybie, et Zine El Abidine Ben Ali (1936-2019), en Tunisie. Soulignons que son installation peut, sans cesse, évoluer, en fonction de l’actualité des contestations violentes des pouvoirs patriarcaux , dans plusieurs pays du Maghreb, de la Péninsule arabique et du Proche-Orient.
A l’étage, si certaines photos exposées appartiennent à l’ « Histoire », avec un grand « H », comme « Raising the Flag on Iwo Jima » (1945), de Joe Rosenthal (1911-2006/lauréat pour ce cliché d’un « Prix Pulitzer »), ou « Drapeau soviétique flottant sur les Ruines du Reichtag, Berlin » (1945), de Evgueni Khaldei (1917-1997/correspondant de guerre dans l’Armée rouge, photographe de l’ agence « Tass »), pour d’autres peuvent faire allusion à l’histoire, comme celle la « Guerre de Sécession » (1861-1865), avec une composition artistique, « She was more like a beauty Queen from a Movie Scene » (2009), de l’artiste conceptuel vietnamien Danh Vo (°Bà Ria/1975).
Plus d’un siècle plus tard, toujours à l’honneur, le drapeau américain part à la conquête de la lune, en 1969, avec « Moonwalk – Yellow Version » (1987), de l’un des principaux représentants du « pop art », Andy Warhol (1928-1987), qui aime exploiter des images clichés, pour en faire le sujet central de son travail, comme ici, avec, en 1969, l'astronaute américain Neil Armstrong (1930-2012) faisant quelques pas sur lune, ayant déclaré : « C'est un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité ». Par cette création, Andy Warhol interroge l' « American Way of Life », sous l'angle d'images issues des mass médias, alimentant la mémoire collective.
Autre représentant célèbre du « pop art », Keith Haring (1958-1990), nous offre, avec « Untitled – American Flag » (1988) sa vision joyeuse du drapeau américain, créée pour illustrer un dépliant de l’ « American Music Festival – New York City Ballet », mettant en scène ses emblématiques personnages anonymes, dont les silhouettes semblent danser ou du moins bouger, donnant ainsi de la profondeur à l’emblématique « Star & Stripes », qui, ici, ne compte que 13 étoiles, au lieu des 50 actuelles (depuis 1960), à l’image du premier drapeau des Etats-Unis, créé en 1777, alors que ce pays n’était composé que de 13 Etats.
Retournons à l’époque de la mythologie grecque et de son « Minotaure », si bien évoqué par « Harpie à Tête de Taureau et quatre petites filles sur une tour surmontée d’un drapeau noir » (1934), du céramiste, graveur, peintre et sculpteur espagnol Pablo Picasso (1881-1973), génie inventif, qui influencera plusieurs générations d’artistes. Ici, parmi les quatre fillettes, sans doute destinées rassasier le « Minotaure », celle de droite emprunte les traits à Marie-Thérèze Walter (), maîtresse de l’artiste, à l’époque où celle-ci tome enceinte, le drapeau noir pouvant (?) évoquer la guerre désormais déclarée entre les deux amants.
Plus proche de nous, l’artiste pluridisciplinaire gantois Will Delvoye (°Wervicq/1965) met la Flandre à l’honneur, avec « Six ironing Boards » (1989-1990). Connu pour son humour, son goût de l’expérimentation technologique et sa production riche et variée, il recourt, ici, à de simples planches à repasser, dépourvues de housses en textile, pour peindre à l’émail, sur le métal, les motifs héraldiques de la Région flamande. Ainsi conjugue-t-il deux réalités formelles et culturelles très différentes, dans un rapport ou chaque partie contamine l’autre, tout en laissant chacune d’elle identifiable pour elle-même.
Avant que les Régions, en 1980, ne divisent politiquement notre pays, la Belgique, en 1830, gagna son indépendance, ce qui est fort bien illustré par « Episode des journées de septembre 1830, sur la place de l’Hôtel de Ville de Bruxelles » (4,44 m x 6,44 m/1834), de Gustaf Wappers (Égide Charles Gustave, baron Wappers/1803-1874), principale figure belge du romantisme, en Belgique. Proche du dynamisme baroque d’un Pierre Paul Rubens (1577-1640), la toile de Gustaf Wappers prend ses distances par rapport au néoclassicisme, courant encore très en vague dans les cours européennes.
Autre évocation de cette même Révolution, nous trouvons « La Liberté guidant le Peuple » (vers 1849/d’après Eugène Delacroix {1798-1863}), du lithographe et peintre français Adolphe Mouilleron (1820-1881), nous montrant une femme au bonnet phrygien brandissant un drapeau tricolore, devenant, pour la postérité, une valeur d'emblème patriotique, qui deviendra, en 1848, la "Marianne", icône de la République française.
Résolument plus modernes, les drapeaux français et belges sont évoqués, en os humains, par « Fémur d »Homme belge » (1964-1965) et « Fémur de Femme française » (1965), de Marcel Broodthaers (1924-1976). Notons ce qu’écrivait Cathleen Chaffe, curatrice, en 2017, de l’exposition « Marcel Broodthaers : Rétrospective », au « Musée d’Art contemporain K21″, à Dusseldorf : “Cette juxtaposition évoque la perte d’individualité, voire la mort, que peut entraîner le patriotisme; les couleurs peintes sur les os rappellent la nationalité des cadavres qui ont jonché le territoire belge tout au long de son histoire militaire.”
Restons dans l’original, mais de cette représentation quelque peu macabre, venons-en à une vision, nettement plus festive, de l’artiste plasticienne et vidéaste franco-algérienne Zoulikha Bouabdellah (°Moscou/1977), qui nous propose sa vidéo « Dansons » (2003), qui illustre bien sa facétie, le spectateur ne voyant que les hanches et le ventre dénudé d’une jeune femme, qui, d’abord, se pare de ceintures bleu, blanc et rouge, agrémentées de pendentifs, avant d‘improviser une danse du ventre, interprétée au son de la « Marseillaise », conjuguant ainsi les archétypes des cultures française et algérienne, dans lesquelles elle baigne, au même titre que l‘importante communauté du Maghreb, installée en France. « Je suis de culture musulmane. Mon intention n’est ni de choquer, ni de provoquer, mais plutôt de proposer une vision à partir de laquelle peut s’instaurer un dialogue« , déclara-t-elle.
Dans le même esprit de dialogue, prôné par cette vidéo de Zoulikha Bouabdellah, et par les techniques utilisées par Danh Vo, pour son oeuvre évoquée précédemment, nous découvrons « Flag 30 between Us and the Breeze » (2008), de l’artiste iranienne Sarah Rahbar (°Téhéran/1976), son oeuvre explorant les concepts de nationalisme, de séparation et d’appartenance. L’idée de déracinement, au coeur de son travail, est, entre autres, guidée par des idées centrales de la douleur, de la violence et de la complexité de la condition humaine. Cette oeuvre exposée recourt à plusieurs techniques tirées de l’artisanat traditionnel oriental, du tissage à la broderie, la démarche de Sarah Rahbar étant de souligner la rencontre (avec la présence, dans le coin supérieur droit, des 50 étoiles du drapeau américain) entre deux cultures, souvent difficile et teintée de compromis.
Artiste irlandais, spécialisé dans la réalisation d’oeuvres numériques, John Gerard (°Dublin/1974), nous propose « Western Flag » (2017), une installation qui fut présentée à Madrid, l’année de sa création, dans le cadre de la « Cop 25″ (conférence des « Nations Unies », sur les changements climatiques). Cette oeuvre particulière consiste en une simulation numérique, dans laquelle un drapeau de fumée noire est projeté sur des images réelles, tournées là où fut foré le premier puits de pétrole au monde (désormais complètement stérile), à Spindletop, au Texas, transmettant les conditions atmosphériques, changeantes tout au long de l’année. Cette construction conceptuelle livre une critique de l’exploitation, de l’épuisement des ressources naturelles et du rôle clef des êtres humains dans le réchauffement climatique.
Autre triste problème, au XXIè siècle, les réfugiés. A notre départ de la « Villa Empain » – de style Art déco, édifiée, de 1931 à 1934, sous la conduite de l’architecte belgo-suisse Michel Polak (1885 -1945) -, n’oublions pas de regarder sa façade. Surmontant l’entrée, nous voyons, flottant au vent, un drapeau orange, avec une bande noire, une création, en 2016, de l’artiste plasticienne syrienne, Yara Said (°Sweida/1991), elle-même réfugiée politique, ayant quitté la Syrie pour s’installer à Amsterdam. Grande première dans l’histoire des Jeux Olympiques, qui allaient se dérouler, cette année là, à Rio de Janeiro, dix sportifs, ayant réussi les minimas imposés – mais ne pouvant concourir pour leur pays (Ethiopie, République Démocratique du Congo, Soudan du Sud & Syrie) -, constituèrent une équipe de réfugiés, rassemblés sous la bannière du « C.I.O. » (« Comité Olympique International »).
Ayant déclaré : « Le noir et l’orange, c’est un symbole de solidarité avec tous ces courageux qui ont dû traverser la mer en quête de sécurité dans un nouveau pays. Depuis que j’ai moi-même dû en porter un, j’ai un rapport personnel avec ces gilets de sauvetage, avec ces deux couleurs », Yara Said créa son drapeau, rappelant la couleur orange des gilets de sauvetage, qui devint la bannière officieuse de cette équipe de réfugiés, agitée, à l’époque, en de nombreux lieux de compétitions, à Rio, Popole Missenga (°Bukavu/1992), judoka congolais, s’étant fait photographié avec cette bannière sur ses épaules, membre de cette première équipe olympique de réfugiés, ayant déclaré : « Cette sélection m’a donné de la force sur le tatami, où je représentais les millions de personnes qui contraintes de fuir leur maison et leur pays. Le judo m’a sauvé. »
Présentés par la « Fondation Boghossian », placée sous la direction enthousiaste de Louma Salamé, en couleurs ou en monochrome, ces créations artistiques donnent, assurément, un autre sens à ces drapeaux que nous nous devons de découvrir, eux qui sont des éléments déclencheurs de révolutions, signes d’anarchie ou de paix, les artistes les arborant tel un signe de ralliement à une cause.
Artistes exposés : Marina Abramovic, Saâdane Afif, Gordana Andjelic-Galic, Diane Arbus, Micha Bar-Am, Bruno Barbey, Nú Barreto, Pierre Bismuth, Alighiero Boetti, Marcel Broodthaers, Zoulikha Bouabdellah, Daniel Buren, René Burri, Mircea Cantor, Léon Cogniet, Roger de La Fresnaye, Wim Delvoye, Edith Dekyndt, Gustave de Smet, Raoul Dufy, Mounir Fatmi, Michel François, Stuart Franklin, Gérard Fromanger, John Gerrard, Gilbert & George, David Hammons, Keith Haring, Childe Hassam, Thomas Hoepker, Jonathan Horowitz, Jasper Johns, Nikita Kadan, Evgueni Khaldeï, Kimsooja, Robert Longo, George Maciunias, Peter Marlow, Susan Meiselas, Jonathan Monk, Adolphe Mouilleron, Claes Oldenburg, Martin Parr, Peybak, Pablo Picasso, Sara Rahbar, Jean-Pierre Raynaud, George Remy, Marc Riboud, Faith Ringgold, Joe Rosenthal, Yara Said, Franck Scurti, Thomas Schütte, Andres Serrano, Sturtevant, Rirkrit Tiravanija, Larry Towell, Danh Vo, Gustaaf Wappers & Andy Warhol.
En page 05, du catalogue, Louma Salomé conclut la préface en ces mots : « J’aime à penser que les visiteurs achèveront leur découverte de cet ensemble d’oeuvres pluridisciplinaires réunies par Alfred Pacquement à la fois bouleversés et inspirés par cette exposition.«
Ouverture : jusqu’au 22 janvier 2023, du mardi au dimanche de 11 à 18 heures. Prix d’entrée (incluant la visite de l’exposition « Ornamentum » : 12 € (8€, dès 65 ans, pour les étudiants, les enseignants, les personnes porteuses d’un handicap, les membres de groupes de minimum 8 personnes & les personnes inscrites à un lunch au restaurant du musée / 4 €, pour les étudiants de moins de 26 ans / 0€, pour les moins de 12 ans, les personnes visitant la Villa le jour de leur anniversaire, les « Art. 27 », les détenteurs du « MuseumPASSMusées », de la carte « ICOM » et de la « Brussels Card »). Catalogue (différents auteurs/Ed. « Boghossian Foundation »/ broché/180 p. Contacts : 02/627.52.30 & info@boghossianfoundation.be. Site web : https://www.villaempain.com/.
Notons que l’exposition « Ornamentum – Bijoux d’Artistes – Collection Diane Venet », accessible jusqu’au dimanche 14 mai, nous propose un parcours, de Pablo Picasso à Jeffrey (Jeff) Koons, qui rassemble les plus grands mouvements de l’art moderne, du surréalisme à l’Art abstrait.
Yves Calbert.