"Warhol - The American Dream Factory", à "La Boverie", à Liège, jusqu'au 28 Février
A Liège, à 10 minutes à pied de la Gare des Guillemins, le Musée de La Boverie nous proppose, jusqu'au dimanche 28 février, une superbe exposition consacrée à Andy Warhol (Andrew Warhola/1928-1987), intitulée "Warhol.The American Dream Factory".
Scénographiée, avec talent, par la société bruxelloise "Tempora", cette découverte du "rêve américain", vu par Andy Warhol, fils d'émigrés slovaques, nous permet d'admirer une bonne centaine d'oeuvres du "Pape du Pop Art", mises en relation avec sa "Factory", qu'il fonda, fin janvier 1964, sur la 47è rue, à New York, qui était le lieu principal d'exposition de son travail.
Ces locaux industriels, sites de la vie underground new-yorkaise servaient, également, d'atelier de création et de lieu de tournages cinématographiques, ce qui est parfaitement illustré au sein de l'une des salles de l'exposition, dont les murs sont recouverts de papier aluminium, comme l'étaient, à l'époque, les murs de la "Factory".
*** Les années 50. Au service du rêve américain :
Vu sa surface réduite, nous devons patienter, avant d'accéder à la première salle, où trois dames (des mannequins, en fait) habillées à la mode américaine des années '50, nous attendent, derrière des vitres, leurs regards dirigés vers un grand magasin de la bien connue chaîne "Woolworth", sis de l'autre côté de la... 47è rue...
Le décor est planté, nous sommes bien aux "States", étant directement plongés dans l'Histoire américaine, avec un grand "H", de grands panneaux reprenant, de salles en salles, tous les événements historiques des Etats-Unis, de ces années '50 aux années '80, évoquant, ainsi, les quatre décennies de créations artistiques d'Andy Warhol, la jeunesse de ce denier étant évoquée par un premier panneau.
Alors illustrateur publicitaire, venant d'être diplômé de la section des Beaux-Arts du "Carnegie Institute of Technology" de sa ville natale de Pittsburgh, il s'installe à New York, en 1949. Décrochant un contrat pour le magazine "Glamour", il répond aux demandes de ses commanditaires, dont des titres aussi populaires que "Vanity Fair" et "Vogue", des dessins de cette époque étant exposés, décorant, parfois, des invitations, livrets d’opéras, programmes de théâtres ou autres.
*** Les années 60. Au service de son propre rêve :
Alors que notre attention est attirée par les sons d'un montage cinématographique nous plongeant, par quelques images, au sein de la guerre du Vietnam (1955-1975),de la crise des missiles, à Cuba (1962), des scènes d'assassinats de John Fitzerald Kennedy (1917-1963) et de Martin Luther King (1929-1968), précédant la réaction musicale de la jeunesse américaine, "peace and love", participant au "Festival de Woodstock" (1969)... Toute une époque !...
À la demande de ses clients, les illustrations qu’il réalise à ses débuts dépeignent de simples objets du quotidien, bijoux, bouteilles de parfum, chaussures, dont il apprend à révéler les qualités esthétiques, ce qui lui sera utile, plus tard pour la réalisation de quelques-unes de ses plus célèbres peintures.
Ainsi, en 1962, Andy Warhol se lança dans une série de trente-deux tableaux représentant des boîtes de différents types de soupes de la marque "Campbell’s", peintes à partir d’un canevas unique,... un principe qui va guider toute son œuvre, révolutionnant, ainsi, le monde de l'art.
Outre des boîtes de poudre à lessiver "Brillo", il réalise les motifs de tissus utilisés pour créer des robes, alors que, de nos jours, d'autres robes sont réalisées, illustrées de la reproductions de certaines de ses oeuvres, comme, par exemple, ses tableaux de Marylin Monroe. Par ailleurs, objet emblématique de la culture américaine, une bouteille de "Coca Cola", de la "Collection Paul Maréchal", est exposée, peinte à l'aérosol par Andy Warhol, qui déclara: "les bouteilles de 'Coca-Cola' sont l’emblème du rêve américain, puisque tous, riches ou pauvres, en boivent". Titre de cette oeuvre particulière, datée de 1967 : "You’re IN".
Notre artiste, indémodable icône "pop", a fait ses choix d'objets dans le quotidien de l'existence, pour leur simplicité, les érigeant en symboles d’une époque, en les répétant obsessionnellement de manière à exacerber le sentiment de vide et de superficialité, caractéristiques de la mythologie consumériste de la société américaine.
Quant à la "Factory" - dont le nom déposé était : "The Andy Warhol Enterprises Inc.", employant plus de cent personnes -, elle continuait à accueillir une faune hétéroclite et haute en couleur : des artistes, des drogués, des filles de bonnes familles, des marginaux, des poètes, des transsexuels. L’entourage d'Andy Warhol comprend aussi ses « Superstars », un terme inventé par lui, pour qualifier les anonymes de ses films, lui qui prétend qu’ « "à l’avenir, chacun aura droit à son quart d’heure de célébrité ».
Le regard ironique d'Andy Warhol, apparemment superficiel, est, pourtant, étonnamment profond, voyant tout, dévoilant tout, ce qu'au fil de notre parcours, les scénographes de "Tempora" nous permettent d'appréhender, nous dévoilant une reconstitution de son studio de cinéma, où nous pouvons découvrir quelques séquences tournées par cet artiste devenu multidisciplinaire, notamment celles d'un film expérimental, "Empire", qui est, en fait, filmé d'un bureau du 41è étage de la "Rockefeller Foundation", un plan fixe, d'une durée de... 6h36', ayant pour sujet l' "Empire State Building", seule la lumière changeant au fil de la nuit du 25 au 26 juillet 1964, de 20h06 à 02h42.
Concernant ce film - ou encore sa première réalisation, en 1963, "Sleep", avec une vue de... 5h21' sur un visage d'un homme endormi, le poète John Giorno (1936-2019) -, Andy Warhol déclara : "Ce qu’il y a de bien dans mes films, c’est que l’on peut s’absenter, aller aux toilettes, manger et revenir les voir. La plupart du temps on n’a pas raté grand- chose...”
De retour à la peinture, soulignons la présence, à "La Boverie", des séries d'Andy Warhol, dont celle, célèbre, consacrée à Maryline Monroe (Norma Jeane Mortenson/1926-1962), qui, comme les autres, fut réalisée avec l'appui de clichés, pris avec son "Polaroïd", les meilleures images étant, ensuite, transposées sur des toiles, par le procédé sérigraphique, propre à son imprimeur. Récupérant ses oeuvres, il les peignait au pinceau dans différents coloris... Un travail de précision chirurgicale !...
A proximité, sans aucun rapport avec l'actrice américaine, une représentante du monde agricole, reproduite en série, sous le titre "Cow" ("Vache"), une sérigraphie sur papier peint, réalisée en 1966, une des nombreuses pièces, exposée à "La Boverie", de la "Collection Paul Maréchal".
Outre une autre série, qu'Andy Warhol consacra, en 1964, à Jacqueline Kennedy (1929-1994), sous le titre : "Chelsea 4 Series: 4 Portraits of Jackie Kennedy", il créa , en 1967, un tableau, sur fond noir, pésentant, en anglais, ses propres mots, dont voici la traduction : « Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, vous n’avez qu’à regarder la surface de mes peintures, de mes films, de moi. Me voilà. Il n’y a rien dessous. »
Au détour d'un couloir, nous sommes surpris par une grande photo (1969), prise par Richard Avedon (1923-2004), qui dévoile, tel un Christ ressuscité, le torse lacéré de cicatrices d'Andy Warhol, qui, victime, en juin 1968, de trois coups de feu, deux balles le frappant à l'abdomen, échappa de peu à la mort. Suite à cette agression, son auteure, une féministe du nom de Valerie Solanas (1936-1988), fut internée en hôptial psychiatrique, elle qui avait fondé la "SCUM" ("Society for Cutting Up Men"/"Société pour la castration des hommes"), ayant écrit : "Rien dans cette société ne concerne les femmes.... Il ne reste qu’à renverser le gouvernement et supprimer le sexe masculin" (source : Breanne Fahs, professeure d'études sur les femmes et le genre, à l’ "Arizona State University", sise à Tempe).
De cet épisode traumatique, Andy Warhol gardera des séquelles physiques sa vie durant. Sa peinture s’en ressentira aussi, avec des séries laissant transparaître son angoisse de la mort. Dans le même temps, l'ambiance a changé à la "Factory". Deux déménagements s'en suivant, nous retrouvons notre artiste au N° 860 de Broadway, des personnes trop radicales ayant été écartées, alors que son entourage, devenu plus mondain, s'est professionnalisé... Un important chapitre de la vie d'Andy Warhol vient de s’achever...
*** Les années 70. Où le rêve se fait entreprise :
"The Factory" devient "The Office", alors que du côté politique, nous assistions à un retour en force du conservatisme, avec la présidence de Richard Nixon (1913-1994), les Etats-Unis se rapprochant, en 1972, de la Chine communiste, le président américain se rendant à Pékin.
Notre artiste, tournant le dos à ses commanditaires habituels, profite de ce rapprochement médiatique pour, lui aussi, se rendre en Chine, réalisant, en1973, une série sur Mao Zedong (1893-1976). A noter, à l'époque, que la prolifération en masse de l’image de Mao, au sein de la République Populaire de Chine, poussée par la propagande du régime et « consommée » par sa population, entrait en résonance parfaite avec le caractère des séries d'Andy Warhol, qui créa même... une sérigraphie sur papier peint à l'effigie de Mao, dont nous trouvons un échantillon, sur une portion de mur du musée liégeois, à proximité des dix portraits du "Grand Timonier".
Notons encore, non exposée, sa série, peinte en 1979, consacrée à "Hergé" (Georges Remi/1907-1983), dont nous pouvons voir 3 des 4 portraits, dans la collection permanente du "Musée Hergé", à Louvain-la-Neuve.
Pour les amateurs de musique, soulignons qu'Andy Warhol a imaginé de nombreuses pochettes de disques vinyles 33 tours, dont l'une, de 1971, exposée à Liège, des "Rolling Stones", intitulée "Sticky Fingers", censurée en Espagne, est porteuse d'une autenthique fermeture éclair de braguette de jean,... cette pochette collector ayant été élue, en 2003, "meilleure pochette d'album de tous les temps", par la chaîne de télévision américaine "VH1".
Autre pochette - celle de l'abum "The Velvet Underground & Nico" -, signée auparavant, en 1967, par Andy Warhol, celle qui fut temporairement censurée aux "States", du groupe rock américain, créé en 1965, "The Velvet Uderground", qui fit les beaux jours de la "Factory". De cet album, produit par notre artiste, nul ne peut oublier sa pochette, présentant une banane autocollante, qui, pelée, dévoile une équivoque banane rose, avec la mention "Peel Slowly ans See" ("Pelez lentement et voyez")...
Cherchant à capturer l’esprit de son temps, Andy Warhol déclara un jour : « À mon sens, on devrait brancher un micro sur tout le monde en permanence. Un micro, et un appareil photo. »... Remarque pleine d’ironie, formulée en plein scandale des écoutes liées au "Watergate", Richard Nixon ayant démissionné, en 1974.
*** Les années 80. « America is Back » ou Le rêve sublimé :
Venons en aux années '80, avec un peintre belge peint par un peintre américain, en 1981, avec la série du surréaliste Paul Delvaux (1897-1994), vu par un de ses admirateurs, l'adepte du pop art Andy Warhol.
Dans un coin de salle, nous trouvons une série de couvertures d'un magazine américain, consacré aux arts et aux célébrités, "Inter/View", créé, en 1969, par le poète-phototographe Gerard Malanga (°1943) et Andy Warhol ; ainsi que 4 rencontres de ce dernier avec 4 artistes, dont, en haut, à gauche, John Lenon (1940-1980), à droite, Salvatore Dali (1904-1989), photographiés par Christopher Makos (°1948). A l'avant plan de ces revues et photos, deux appareils photos "Polaroïd", nous rappelant le processus de réalisation de ses séries de portraits.
Dans ces années '80, il créa de plus en plus de couvertures de magazines, à l'époque du grand bouillonnement new-yorkais de la scène underground, de la culture punk, du"street art" (art de la rue), ainsi que de l’émergence des revendications identitaires, raciales, sexuelles et de genres…
Ainsi, en illustration de ce bouillonement de genres, une série de portraits photographiques, de lui-même, fut réalisée par Christopher Makos, sous le titre de "Self Portrait in Drag", dévoilant Andy Warhol en"drag queen"...
Dans ces années là, Andy Warhol va se rapprocher de la jeune génération issue de la rue pour retrouver l’inspiration. Comme à son habitude, il a le génie pour s'entourer des personnes de talent en phase avec leur époque. Ne souhaitant plus diriger une équipe, avec Keith Haring (1958-1990), d'une part, et Jean-Michel Basquiat (1960-1988), d'autre part, il cosigna plusieurs toiles, dont certaines sont exposées dans la dernière salle.
Flashé par Christopher Makos, dans la « Star Spangled Banner », la bannière étoilée des Etats-Unis, un an avant sa mort, à 58 ans, des suites d'une bénigne opération chirurgicale, Andy Warhol se pose en incarnation de l’Amérique glamoureuse, dont il était devenu l’étendard, lui qui déclara : “Chacun a son Amérique à soi, et puis des morceaux d’une Amérique imaginaire qu’on croit être là, mais qu’on ne voit pas”.
Ainsi donc cette exposition, présentant - sur plus de 1.800 m2, dans une scénographie innovante, d'une réussite visuelle et narrative exceptionnelle - des oeuvres provenant, en grande partie, de New York, de l' "Andy Warhol Museum" et du "Museum of Modern Art" ("MoMa"), ainsi que du "Musée d'Israël", à Jérusalem, de la "Galerie Sonnabend", à Paris, de la "Collection Paul Maréchal", à Montréal, et de celle de sa muse, mannequin et actrice, Jane Holzer (°1940), à New York - nous permet de partager des tranches de vie du rêve américain, vues par Andy Warhol, lui qui déclara, illustrant la société de consomation à l'américaine : "acheter est bien plus important que penser".
Prix d'entrée : 17€ (15€, sur présentation du billet d'entrée à l'exposition "Roy Lichtenstein, Visions multiples", au "BAM", à Mons / 14€, à partir de 65 ans / 13€, par membre d'un groupe de minimum 15 visiteurs / 12€, de 06 à 18 ans et jusqu'à 25 ans inclus, pour les étudiants / 6€, pour chaque membre d'un groupe scolaire / 1€25, pour les "Art. 27" / 0€, jusqu'à 5 ans inclus, ainsi que pour les accompagnateurs d'une personne à mobilité réduite et pour les détenteurs d'une carte "Icom". Prix par Famille (2 adultes + 2 enfants) : 48€ (+ 6€, par enfant supplémentaire). Visites guidées (durant 1h30, pour maximum 20 visiteurs) : 95€. Réservations obligatoires, via : info@expo-factory.be ou 02/549.60.49. Sites web : www.expo-factory.be & www.laboverie.com.
Vu l'indéniable succès de cette exposition et les actuelles normes sanitaires, le port du masque et la distanciation physique étant obligatoires, pensez à réserver longtemps à l'avance, afin de pouvoir découvrir les oeuvres d'Andy Warhol, ce brillant artiste de la contre-culture, miroir de son époque, qui capta l’âme de l'Amérique comme nul autre de ses contemporains.
Le collectioneur canadien, Paul Maréchal, écrivit : «Si Pablo Picasso (1881-1973) a été l'artiste de la première moitié du 20e siècle, Andy Warhol est sans aucun doute l'artiste le plus important de la seconde moitié du siècle... On peut dire que Pablo Picasso a influencé ses pairs pour son travail sur la plasticité des formes. Andy Warhol, lui, traverse la frontière entre les beaux-arts et l'art commercial. Il rend l'art accessible..."
Yves Calbert.