"Un Cow-Boy dans le Coton" ("Achdé" et "Jul"/Editions "Lucky Comics-Dargaud")
Comme l’écrivent les Editions « Lucky Comics-Dargaud » : « ‘Un Cow-Boy dans le Coton’ est un album qui va faire date. En s’emparant pour la première fois du thème de l’esclavage, ‘Achdé’ & ‘Jul’ offrent un grand sujet à un grand héros. Quand ‘Lucky Luke’ regarde l’histoire des Etats-Unis en face, cela donne une aventure aussi drôle que profonde, qui apporte au paysage de la bande dessinée un album dont nous avions besoin. »
Synopsis : « Notre ‘cow-boy solitaire’ hérite d’une immense plantation de coton en Louisiane ! Accueilli par les planteurs blancs comme l’un des leurs, ‘Lucky Luke’ va devoir se battre pour redistribuer son héritage aux fermiers noirs… »
Avec ce 81è album officiel de ce célèbre cow-boy, le 9è de la série « Les Aventures de Lucky Luke d’après Morris », « Achdé » (Hervé Darmenton/°Lyon/1961), aux dessins, et « Jul » (Julien Berjeaut/°Maison-Alfort/ 1974), au scénario, ont unis leurs talents pour leur 3è album commun, après « La Terre promise », en 2016, et « Lucky Luke à Paris », en 2018, « Achdé » étant le quatrième à avoir dessiné cet "homme qui tire plus vite que son ombre", après le créateur, en 1947, de cette BD, « Morris » (Maurice de Bevere/1923-2001), dès 2004, avec « La belle Province », scénarisé par un humoriste de talent, Laurent Guerra (°Bourg-en-Bresse/1967), Yann Le Pennetier (°Marseille/1954) & Didier Conrad (°Marseille/1959) ayant dessiné, en commun, deux albums.
Certes, sous le crayon de son créateur, dans son 16è album, en 1961, scénarisé par René Goscinny (1926-1977), édité par « Dupuis », « En remontant le Mississipi », Lucky Luke était passé par New Orleans, mais, à l’époque, les Noirs n’y étaient pas valorisés, l’un d’eux, second d’un capitaine, n’ayant qu’une fonction de serveur, servant le café à son chef... Ici, dans le présent album, édité en 2020, ayant quitté le Kansas, notre héros se retrouve, dès la page 08, dans la Louisiane profonde, à une époque où, au sortir de la guerre de sécession,« quatre millions de Noirs découvrent, enfin, la liberté. »
A souligner, le respect d’une tradition chère à « Morris », la présence, dans les cases des aventures de Lucky Luke, d’une personne ayant réellement existé. Ici, avec Bass Reeves (1838-1910), dont une photo est publiée en page 49, nous apprenons que 25% des cow-boys étaient de race noire, ce qui n’a jamais été révélé par les westerns tournés à Hollywood ou ailleurs. Hors, si Bass Reeves, issu d’une famille d’esclaves, fut le 1er marshal ajoint noir nommé , en 1875, à l’ouest du Mississipi, il prend place, dans cet album, dès la dernière case de la 1ère planche, en page 03, heureux de retrouver sa « sacrée vieille gâchette » (sic), Lucky Luke.
En page 14, Lucky Luke tendant la main pour saluer le contremaître de la plantation, un Noir, ce dernier s’exclame : « c’est la 1ère fois qu’un blanc me serre la main ».
Faisant la connaissance des Noirs, travaillant dans les champs de cotons, il leur promet de leur offrir cette Plantation louisianaise qu’il vient de recevoir en héritage, ces anciens esclaves ne peuvent cacher leur scepticisme quant à ce cadeau et leur désir d’être libres, désormais.
Et si, dès son 1er album, « La Mine d’Or de Dick Digger », édité par « Dupuis », en 1949, dessiné et scénarisé par « Morris », ainsi qu’à l’occasion du 66è tome de ses aventures, « Le Klondike », édité par « Lucky Productions-Dargaud », en 1966, basé sur une authentique ruée vers l’or, ayant pris place en 1897-1898, un album dessiné par « Morris » et scénarisé par « Yann », Lucky Luke se retrouve dans le milieu des chercheurs d’or, dans le présent album, en Louisiane, l’or blanc… c’est le coton…
De son côté, Averell Dalton, en page 23, éprouve quelques difficultés à comprendre la langue française des Cajuns : « quel maringoin t’a piqué, toué ?!… C’est-y donc que tu sois bien dérangé de la chaudière pour que tu t’en viennes m’taquiner le bouc à c’t’heure ?! .. T’es pas un chrétien d’not’ paroisse, toué, bonhomme »… Savoureux, non ?
Et lorsqu’on lui propose de goûter à la cuisine cajun, Averell réplique :« à jeun ou pas, tout me va franchement », à moins qu’il ne pense à une nouvelle recette, lorsque le fermier cajun s’exlame : « bon, j’vas me pomponner avant d’aller me graisser les jarrets » (« danser », en français franco-belge), … avant de se rendre à un « fais dodo », expression utilisée pour désigner un thé dansant, les Cajuns arrivant, dans la réalité, avec leurs bébés, qu’ils placent sous leur table, leur disant « fais dodo »…
Pour en revenir à un repas cajun, espérons, au moins, que les trois autres Dalton ne figurent pas au menu de l’un des deux millions d’alligators (nombre cité, en 2018, par « Itinera Magica »), qui peuplent les bayous de la Louisiane...
Mais laissons Joe, Jack et William à leur sort, car « Achdé » & « Jul » nous ramènent à une triste réalité, l’existence du Ku Klux Klan, même si, ici, ils peuvent traiter ce douloureux problème avec humour…, les Dalton prenant le Ku Klux Klan pour une tribu amérindienne ou les Cajuns pour des Mexicains…
Clin d’oeil à la famille Trump, il y a même une… Melania, fille du propiétaire d’une plantation voisine, « grand sorcier » de cette section locale du… Ku Klux Klan », qui prononce cette horrible phrase : « les Blancs sont plus parfaits que les races inférieures ! », une parole qui résonne, alors que, de nos jours, l’Amérique de Donald Trump est confrontée à de nombreux actes racistes...
Mais, comme il le prouve en offrant sa plantation à ses employés de race noire, Lucky Luke, fort heureusement, ne fait aucune distinction entre les couleurs des peaux, comme « Jul » le lui fait dire, en page 30, alors qu’à la page précédente, une triste réalité était révélée aux lecteurs qui l’ignoraient : autrefois, dans le sud des Etats-Unis, les Noirs ne pouvaient pas « s’asseoir dans le même wagon » (sic) que les Blancs. Ajoutons même qu’en 1980, dans les lois de l’Etat de Louisiane, tout mariage entre Noirs et Blancs était interdit (témoignage d’un enseignant belge du français, employé à Jeanerette, en Paroisse d’Ibérie, le terme Paroisse, équivalent à un Comté, désignant une division administrative de cet Etat du Sud).
Les auteurs, s’étant rappelés des ravages, en 2005, de l’ouragan « Katrina », introduisent cette autre réalité louisianaise, avec le déferlement d’un ouragan, prenant place au sein de trois pages de l’album, notamment celle numérotée 42, particulièrement réussie, laissant un alligator terminer son envol sur une branche d’arbre, en page 43, alors qu’à la page suivante, les champs de coton étant dévastés, un paysan noir suggère d’y cultiver du tabac, son collègue lui disant : « Chut ! Lucky Luke a arrêté de fumer »,… ce que tous les lecteurs des aventures de l’ « homme qui tire plus vite que son ombre » savent, puisqu’autrefois, sous le crayon de « Morris », notre héros fumait de vraies clopes, remplacées par une brindille, dès 1983, bien avant les lois interdisant la publicité pour le tabac…
Quant à une enseignante noire, elle se réjouit que son école puisse être reconstruite, promettant un avenir aux enfants qui y étudieront, alors qu’un petit noir, prénommé, tiens tiens, Barack, rêve de devenir… président des Etats-Unis d’Amérique…
Un livre à découvrir ("Achdé" & "Jul" /Ed. « Lucky Comics-Dargaud »/48 pages/cartonné/2020/10€95).
Yves Calbert.