On l’a retrouvé … le Jacquemart de Courtrai.

écrit par francois.detry
le 11/10/2019
Portrait de la famille Jacquemart vue du ciel ( Photo : Stéphane Compoint)

Au sommet de la remarquable église Notre Dame de Dijon, trône une horloge et son décor dont les origines sont belges.
En effet, en 1382, Philippe le Hardi prit cette horloge à Courtrai et l’offrit aux Dijonnais en reconnaissance de leur aide dans la guerre des Flandres. Au 17ème siècle, le célibat de Jacquemart ( le personnage surmontant le cadran ) ayant été plaisamment moqué, on lui adjoignit en 1651 une compagne « Jacqueline ». En 1714, leur stérilité, elle aussi raillée, fit que l’on fabriqua alors un petit « Jacquelinet », rejoint en 1884 par « Jacquelinette » pour frapper les quarts d’heure avec elle.

** "Notre Dame", considérée comme un chef-d'œuvre d'architecture gothique du XIIIᵉ siècle, est située au cœur des 97 hectares du secteur sauvegardé de Dijon, inscrit depuis le 4 juillet 2015 au patrimoine mondial de l'UNESCO. Sa magnifique façade de est ornée de fines colonnettes et de rangs de fausses gargouilles tandis qu’à un de ses angles s’affiche une chouette devenue un porte-bonheur des Dijonnais qui la caressent de la main gauche, la main du cœur.

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Le Jacquemart de Dijon, une histoire belge. ( extrait de « Sortir à Dijon du 7 mai 2016 )

Le plus vieux citoyen dijonnais est né à Courtrai, avant 1382. Immigré de force, les habitants de la ville l’ont depuis pris d’affection. Ils lui ont trouvé une femme, Jacqueline, en 1651, et le couple a eu deux enfants: Jacquelin, né en 1715, et Jacquelinette, qui rejoint le clan en 1884. L’histoire est méconnue, et certains faits admis pour vrais sont erronés.

1. Jacquemart, 269 ans de célibat
« L’homme qui fiert du martel », comme on l’appelait alors, est né avant 1382 et les premières personnes qu’il a réveillées en sonnant la cloche sont les habitants de Courtrai, en Belgique. Philippe le Hardi, qui avait mis la ville à sac, rapporta l’horloge comme trophée, elle qui faisait la fierté de la région. « L’ouvrage le plus beau qu’on pût trouver deçà ni delà la mer », comme l’a décrit le chroniqueur médiéval Jean Froissart, est monté dans les mois qui suivent sur une tour de l’église Notre-Dame.
Brisé pendant le transport par char à bœuf, le timbre est refondu, mais pour en faire un beaucoup plus volumineux en y ajoutant du métal. Au final, « la cloche flamande n’est entrée qu’en très faible proportion dans la combinaison nouvelle »(1). Celle que l’on peut voir aujourd’hui pèse 3400 kilos.
A l’origine, le mécanisme, « beaucoup plus simple », comprend « un seul personnage pour frapper les heures ». « Ce n’est que beaucoup plus tard, vers 1517 seulement, qu’on l’appela Jacquemart [ndlr: en réalité, le nom de Jaquemart – sans c – apparaît pour la première fois dans un inventaire des biens de Marguerite de Bavière, veuve de Jean sans Peur, en 1423 ; sa compagne, Jacquette, ne semble entrer dans l’histoire qu’en 1651 ».
Du côté de Courtrai, selon des chercheurs du XIXe siècle, il n’aurait fallu que trois ans pour remplacer l’exilé par deux personnages, Manten et sa femme Kalle. A prendre avec précaution, puisque ces historiens belges pensaient que Jacquemart lui aussi avait été exilé de force en compagnie de sa dulcinée. Or il était bel et bien seul. Quoi qu’il en soit, Manten et Kalle n’ont apparemment pas eu d’enfants : en 1961, le maire de Dijon, le chanoine Félix Kir, est invité à l’inauguration des deux automates rénovés.
En 1651 donc, Jacquemart est restauré, à tel point qu’il est méconnaissable. Dans une pièce écrite en patois et intitulée « Mairiaige de Jaiquemar », le poète bourguignon Jean Changenet, qui était aussi « un fameux vigneron de Dijon », raconte:
« Je ne sais si j’avais trop bu,
Ou si j’avais la berlue,
Quand je le vis l’autre jour;
Mais je ne puis tomber d’accord
Que c’est Jacquemart en personne.
Pour Jacquemart, c’était un homme
De courte taille, assez mal fait,
Qui ressemble à ces Esope
Qui s’en vont serrant les épaules,
Qu’il semble voir de pauvres diables;
Mais celui-ci, tout à rebours,
Est là comme un homme bien fort,
Comme un Roland, un Hercule,
Grand et puissant comme Laguesse;
La mine d’un homme fâché,
Il semble qu’il veuille tout briser… » (…)
Le nouveau Jacquemart est grand, beau et fort, autrement dit nettement moins bien que l’ancien. Mais surtout, on lui a donné une femme.

2. Le « mairiaige » de Dame Jacquette
On attribue souvent, à tort, à ce « Mairiaige de Jaiquemar », la responsabilité de cette union, sous prétexte qu’il raillerait le célibat du sonneur de cloche. Et pour cause, cette thèse a été relayée par l’historien Henri Chabeuf dès 1897. La simple lecture du poème prouve qu’au contraire, il n’a été écrit qu’après l’arrivée de « Dame Jacquette », dont il loue la fidélité à toute épreuve:
« Tout auprès de lui, une femme
Belle et bien grande, et en embonpoint,
Qui ressemble la lune en plein;
Son habit à la parisienne,
Elle ressemble dame Hélène, [ ndlr: une cabaretière ]
Qui demeure au-dessus du Bourg,
Qui fait la fête tous les jours.
Les femmes sont à chercher
Pourquoi Jacquemart eut l’envie
Et le vouloir de s’en aller
Si longtemps de çà de là,
Pour amener cette enveloppe.
Qu’elles sachent bien que dans l’Europe
Il n’y en a pas une telle.
Elle est faite d’un tel mortier,
Que jamais elle n’a affaire
De médecin, d’apothicaire;
De barbier elle s’en soucie moins
Qu’on ne le fait d’un sale essuie-main;
Et c’est la femme la plus sage,
Et la plus propre au mariage
Que jamais la terre ait portée.
Elle est si pleine de bonté,
Que si Jacquemart lui cherche querelle,
Elle a si peur qu’il ne soit triste,
Qu’elle ne fait que sa volonté. »
Le poème n’étant pas daté, il faudra se débrouiller autrement pour attribuer un acte de naissance à la femme de Jacquemart. On sait qu’elle n’était pas là, bien que « dans les tuyaux », en 1650, comme l’atteste une délibération de la Chambre de ville de Dijon: « Au cas que l’on voulût ajouter à Jaquemart une autre figure, faisant un même effet, l’entrepreneur sera tenu d’en faire les mouvements pour soulager le timbre, qui étant toujours frappé au même endroit, s’use beaucoup. ». Et on sait aussi qu’en 1651, on alloue au peintre Nicolas Rollin la somme de 15 livres pour avoir peint « en huile » deux figures qui servent pour la sonnerie de l’horloge de Notre-Dame. Jacquette était née.

3. Jacquelin, fils de puceaux
Coulant des jours heureux, il aura fallu une soixantaine d’années pour que le couple commence à trouver le temps long. En décembre 1714, Aimé Piron, père du poète Alexis Piron, signe, en patois lui aussi, une « Requête de Jacquemart et de sa femme, à messieurs de la Chambre de ville de Dijon. » En préambule, il y décrit le dévouement du vieux bonhomme pour ses habitants:
« Supplie humblement Jacquemart,
Elevé sur deux pals de fer,
Vers sa cloche, avec sa femelle,
L’un et l’autre enfants de la ville,
De vieille date, et dès le temps
De Jean sans Peur le fanfaron
Et disent qu’ils ont sans reproche,
Sans fredaine, et sans anicroche,
Toujours vécu dans Dijon
En braves gens, sur le donjon »
Aimé Piron en vient ensuite au but: « Jacquemart et sa bonne femme,
Que j’estime une autre Suzanne,
Ont fait vœu de chasteté;
C’est pourquoi ils n’ont point d’enfants
Pour frapper sur leurs dindelles [ ndlr: petites cloches ]
Messieurs les régents de la ville,
Vous m’entendez, c’est que nous voudrions
Que vous leur en fabriquassiez
Pour que ce si digne horloge
Ne soit jamais dérangé,
Et que lui, elle et les enfants
Contentent les habitants. »
Un peu plus loin, le poète argumente une grosse opération de communication et plaide le rayonnement de Dijon, dans des vers qui font rimer Ville avec Hauteville, Messigny avec Bretigny, et Norges avec orges (priceless):
« Il faut voir comment après cela
Tous les habitants de la ville,
De Talant, de Daix, d’Hauteville,
D’Ahuy, de Vantoux, de Messigny,
D’Asnières, de Bellefond, de Bretigny,
De Clénai, Saint-Julien et Norges,
Quand ils auront vendu leurs orges,
Leur avoine, seigle et conceau;
Les villages du Pays-bas,
De la Côte et de la Montagne,
Leur froment, le jus de leurs vignes,
Viendront, en sortant du marché,
Jeunes et vieux, leurs yeux fixer
Sur Jacquemart, sur sa femelle
Et sur les enfants des dindelles. »
Les « messieurs de la Chambre de ville » acceptent la « requête », mais à moitié: quelques mois plus tard, le serrurier François Sonnois ne donne qu’un enfant au couple : Jacquelin. Il est nu.
En 1938, lors d’une énième restauration des automates, on retrouve cependant un étrange manuscrit caché dans la tête de Jacquemart, qui suggère que « les figures de Jacqumart ont été construites par Joseph Maires, maître serrurier à Dijon », en 1740.

.4. Jacquelinette, enfant de la Révolution
1789, prise de la Bastille.
« Qu’on détruise les signes du fanatisme, disait Bauffard. Le 16 janvier 1794, un apothicaire de la rue Chaudronnerie, nommé Bernard, se chargea des portails de Notre-Dame. On peut voir encore quelle a été sa réussite. » Dans ses notes du début du XXe siècle, l’abbé Reinert, qui détenait un impressionnant fonds d’archives, décrit cet homme « monté sur une échelle, besoignant tant qu’il y eut une statuette à marteler… » La famille Jacquemart échappe au massacre, sauvée par son rôle d’horloge municipale.
« A peine fut-il averti de cette attaque imprévue, que, charmé de montrer sa docilité, il fit orner son chapeau, la coiffe de sa femme Jacquette et le bonnet du petit Jacquelinet, d’une énorme cocarde tricolore […] qui, par la vivacité des couleurs, jeta un grand éclat sur toute la ville. ». Surtout que les personnages sont peints, Jacquemart en bleu, son fils en blanc et sa femme en rouge. Ils le resteront jusqu’en 1815: avec le retour de Napoléon, les trois couleurs trop connotées ne sont plus du goût de tout le monde. Sous la Restauration, ils arboreront le blanc.
En 1839, la plume de Victor Hugo himself décrit « jacquemart : un paysan, une paysanne avec leur enfant, en bois peint dans une cage de fer. Le père avec un gros marteau sonne les heures, la femme les demi-heures, l’enfant les quarts ». En réalité les personnages sont « en fer pour les ressorts et en tôle pour l’habillement ».
A partir de 1865, l’église est finalement restaurée, notamment les gargouilles. « À la fin d’octobre 1883, les échafaudages masquant la façade occidentale de Notre-Dame étaient enlevés. En juillet 1884, la maison parisienne Collin répara l’horloge et ajouta pour sonner les quarts un quatrième automate, que les Dijonnais nommèrent Jacquelinette. »
La famille est au complet, il va maintenant falloir leur trouver un chien.

© François DETRY
Lien vers tous les reportages de François DETRY

  • Portrait de la famille Jacquemart vue du ciel ( Photo : Stéphane Compoint)
  • Document trouvé dans la tête du Jacquemart lors de sa restauration en 1938 ( Bibliothèque municipale de Dijon )
  • La famille Jaquemart à Dijon. ( Photo : Bibliothèque municipale de Dijon
  • Après la Révolution française, la famille « Jacmart » en bleu-blanc-rouge porte la cocarde tricolore. ( Bibliothèque municipale de Dijon )
  • Manten et Kalle, les « Jacquemart » remplaçants de Courtrai ( Photo DR)
  • Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, un échafaudage est monté pour restaurer la façade de l’église Notre-Dame
  • Facade de Notre Dame et ses gargouilles ( Photo : F. Detry )
  • Facade de Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • Facade de Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • Facade de Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • Facade de Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • Facade de Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • La famille Jacquemart sur Notre Dame ( Photo : F. Detry )
  • La  famille Jacquemart
  • La chouette porte-bonheur ( Photo : F. Detry )
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