"Duo", au "Centre d'Art de Rouge-Cloître", à Auderghem, du 08 jusqu'au 23 Janvier
Deux amis, un plasticien, Bernard Boigelot, et un graphiste, Jean-Pol Rouard, ayant débuté leurs études artistiques ensemble, à l’ « IATA » (« Institut d’enseignement des Arts, Techniques, sciences et Artisanats »), à Namur, se retrouvent, bien plus tard, avec bonheur, au « Centre d’Art de Rouge-Cloître », à Auderghem, dans le but de réaliser une double exposition – accessible du samedi 08 jusqu’au dimanche 23 jannvier -, « Duo », célèbrant leurs parcours artistiques spécifiques et singuliers, ainsi que leur passion commune pour l’art.
Au rez-de-chaussée, nous découvrons une série d’affiches culturelles, récentes et plus anciennes, réalisées par Jean-Pol Rouard, qui conçoit des images pour assurer la promotion d’événements culturels, sociaux et artistiques.
Après avoir étudié le graphisme et l’image, à l’ « Institut Saint-Luc », à Saint-Gilles, il suit les cours, durant un an, à Ixelles, à l’ « ERG » (« École de Recherche Graphique »), où il enseigne de 1982 à 2015, y ayant créé, dans les années ’90, un atelier de graphisme culturel, spécialisé dans l’affiche.
Ses réalisations – qui, en un coup d’œil, en une image doivent marquer les esprits, se figer dans nos mémoires – figurent régulièrement dans les catalogues des principales manifestations dédiées à l’affiche, de Mons à Mexico, en passant par Ljubljana, New-York, Téhéran, Varsovie, …
Souvent présent à l’étranger, quoique retraité, chez nous, à Libramont, il a été l’un des formateurs, à l’ « AKDT » (« Académie d’Eté »), ayant exposé au « Centre de la Gravure et de l’Image imprimée », à La Louvière, à la « Galerie Bortier », à Bruxelles, à la « Galerie Détour », à Jambes-Namur, …
Communicateur via l’affiche, lauréat de nombreux Prix, dont celui de la « meilleure affiche culturelle européenne », Jean-Pol Rouard est à la fois conférencier et membre de jurys, tant en Belgique qu’à l’étranger, aussi bien que commissaire et directeur artistique d’expositions autour du graphisme, voire organisateur de voyages d’études en Europe et à New-York, à la rencontre des artistes, des studios, des musées et des principales manifestations concernant le graphisme et l’art, ses affiches étant exposées un peu partout dans le monde, du « Grand Palais », à Paris, jusqu’à l’ « IBM Mexico », à Guadalajara.
Sensible au réchauffement climatique, au terrorisme, aux droits de l’homme, et à nombre d’autres causes, ses affiches nous parlent, avec un minimum de mots, comme à l’occasion, en 2018, à Paris, du 70è anniversaire de la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme », avec une surface rouge, seulement recouverte de trois mots et d’un point d’interrogation : « Merci qui ? », ou encore, en 2018, à Katowice, pour la « COP24 », (Conférence des Nations Unies sur les Changements climatiques), une carte postale d’un paysage de rêve étant déchirée en deux, ne nécessitant pas le moindre commentaire.
A l'opposé, un peu de légèreté, en 2019, pour une exposition chez "Speed Factory, Maison de l'Image", à Bruxelles, avec "Le Chat", créé par Philippe Geluck, à nouveau d'actualité, en 2021, avec cette question, pour près de 5.000 signataires d'une pétition, concernant un futur musée qui lui serait consacré : " 'Le Chat' de son maître serait-il trop bavard au goût de certains ?"
Notons que plus un projet est simple, plus sa mise au point peut être complexe. Pour autant, la séduction n’est jamais absente, tant la réussite de toute communication commence par l’attraction et l’émoi. La jouissance est partout dans ces images qui baignent de couleurs, souvent sensuelles, de la fraîcheur des matières, de contrastes, tout en douceur, dans la gravité de certains sujets, comme pour évoquer le drame syrien, illustré d'un simple foulard, avec trois mots : "Syrian Civil Carnage" ("Carnage Civil Syrien").
Soulignons enfin que les travaux de ses étudiants, régulièrement primés, ont été présentés à un très large public, faisant l’objet de publications ou d’éditions.
« Je suis un peintre qui a troqué ses tubes de couleurs pour la correspondance postale … Quand j’étais professeur à l’ "Académie des Beaux-Arts"’, à Namur, outre enseigner les bases, je voulais donner envie à mes élèves d’expérimenter autre chose: dessiner sans dessiner, sculpter sans sculpter. Il y a de multiples manières de le faire. Moi, mes pots de couleurs, ce sont les enveloppes et ce qu’elles contiennent », nous confiait Bernard Boigelot, dont les oeuvres de philatélie particulière nous attendent au premier étage.
Parmi celles-ci, nous découvrons deux impressionnantes sculptures réalisées avec des timbres enroulés sur de petites tiges métalliques. Assurément, il s'agit bien d'oeuvres d'art, récupérant des timbres poste oblitérés et donc normalement destinés à être jetés.
Avec moins de relief, nous trouvons « 2.720 », ce titre évoquant le nombre de timbres postes utilisés, sachant que 15 rangées sur 17, sont constituées, chacune, de 16 effigies du Roi Baudouin, formées, chacune, de 4 à 8 timbres..
A la question d’apprendre l’origine, chez lui, de ce type d’expression artistique, il nous répond : « J’avais gardé tout mon courrier dans le grenier de la maison de mes parents. Âgé de 15 ans, je m’apprêtais à tout détruire, quand je me suis dit que je leur accorderais bien une seconde vie, vu que je ne comptais plus les relire. »
Si son papa collectionnait les timbres poste, ce ne fut pas le cas de son fils, qui s’intéressa aux timbres d’une toute autre manière, en réalisant des oeuvres variées, parfois textiles, comme trois robes, réalisées avec des timbres à l’effigie du Roi Baudouin, qui furent portées à l’occasion de divers événements, l’une d’entre elles nous étant pésentée au « Centre d’Art de Rouge-Cloître ».
Mais pourquoi donc ces milliers de timbres à l’effigie de notre ancien Roi et pas un seul avec son neveu, Philippe ? « Simplement, parce que les timbres avec le Roi Philippe sont auto-collants, ce qui ne me permet pas de les utiliser », nous répond Bernard Boigelot.
Il poursuit : « Il y a tous les fragments d’ADN, avec la salive ayant servi à coller le timbre, le rabat de l’enveloppe. Internet a démoli cet aspect, tout le monde ayant la même empreinte numérique. Avec les SMS, il y a une perte de mémoire, d’authenticité. J’aime recevoir du courrier et en envoyer. Il n’y a pas besoin de batterie pour cela. Puis, il y a cet effort pour séduire, interpeller. J’aime aussi réexpédier des lettres… »
Les timbres, les oblitérations, les enveloppes, les écrits sont, ainsi, la source d’inspiration de sa production artistique. Remarqué par les critiques pour cette singularité d’expression, il témoigne d’un souci constant de préserver la poésie, non dénuée d’un certain humour, dans l’ensemble de son oeuvre.
Adepte du « Mail Art”, Bernard Boigelot nous confie que celui-ci est traditionnellement attribué à l’artiste américain Ray Johnson (1927-1995), qui, en 1962, créa la « New York Correspondance School », où il enseignait différentes techniques utilisées pour personnaliser les envois, tel le détournement des timbres poste et des estampilles postales, les enveloppes devenant de véritables moyens d’expression, en faisant des créations uniques, qui – partagées gratuitement, sans préoccupation mercantile – sont décorées de collages, dessins, photographies ou d’objets, ces derniers, reliés à une adresse, pouvant être envoyés sans enveloppe.
Evoquant ce « Mail Art », notre confrère Vincent Baudoux, écrivait, pour « Mu in the City » : « Il s’agit d’un art pauvre, qui ne peut s’offrir une seconde vie que si un regard neuf lui en offre l’occasion. Ceci rencontre assez bien la thématique actuelle du recyclage imposé par les gaspillages liés à la surconsommation ... Pourtant, à y regarder de près, la façon dont l’artiste manipule, ici, sa matière première requiert une immense dose de savoir-faire, une dextérité hors du commun, une précision chirurgicale dans les découpes, de superpositions et de mises au point d’agrandissements sérigraphiques. En un mot, si l’usage normal d’un timbre ne requiert aucune compétence particulière, il en va tout autrement dans ses tableaux où la technique traditionnelle des peintres cède la place à une ingéniosité artisanale et un métier, autre, mais tout aussi complexe. »
S’intéressant à l’une de ses oeuvres, il écrit : « Les artistes novateurs agissaient avec le système postal comme ils le faisaient avec l’art académisé, afin d’en refuser les normes implicites. ‘Lettre ouverte’ illustre bien ce principe quand l’enveloppe, judicieusement pliée, devient couvercle pour une lettre manuscrite, qui devient elle-même un conteneur en trois dimensions pour une cargaison de timbres enroulés. La lettre banale, plate, utilitaire, devient sculpture. »
Ayant exposé, en 2021, au « BPS 22 », à Charleroi, Bernard Boigelot exposait, en 2020, à la « Tour d’Anhaive », à Jambes-Namur, – un espace muséal géré par le "S.I." ("Syndicat d'Initiative") de Jambes et la « Société archéologique de Namur » -, au sein de l’exposition « Résonances », avec des membres de l’asbl « Arts Emulsions », il nous avait confié : « Depuis de nombreuses années, toute mon activité artistique se réalise en étroite relation avec des correspondances postales, qui, une fois récupérées, sont utilisées dans mes recherches plastiques, afin de sacraliser cette trace humaine en une œuvre d’art », ce dont nous pouvons apprécier en nous rendant au « Centre d’Art de Rouge Cloître », à Auderghem.
Ouverture : du samedi 08 jusqu’au dimanche 23 janvier, du mercredi au dimanche, de 14h à 17h. Prix d’entrée : 3€ (2€, en tarif réduit / 0€, pour les moins de 12 ans). Obligation sanitaire : port d'un masque buccal (« CST » non requis). Contacts : 02/660.55.97. Site web : http://www.rouge-cloitre.be.
Yves Calbert.