BD : "Thomas Coville, La Quête de l'Ultime" (R. Garreta et A. Chenet/Ed. "Dargaud")

écrit par YvesCalbert
le 25/11/2020

Alors que se dispute, actuellement, le « Vendée Globe » – aussi appelé l’ « Everest des Mers » -, la plus grande course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance, nous pouvons, tout en restant chez nous, confinement sportif amateur et culturel oblige, lire une BD des plus réalistes, dessinée par Renaud Garreta  (°Brest/1964) et scénarisée par Alexandre Chenet (°Paris/1978) : « Thomas Coville, la Quête de l’Ultime », ce dernier ayant écrit (p. 05) :« Parce que j’ai besoin dans ma vie,même une seule seconde, de me sentir unique. »

Synopsis : « Brest, 2016. Thomas Coville s’élance pour la 5è fois à l’assaut d’un record après lequel il court depuis neuf ans : celui du tour du monde à la voile en solitaire et en multicoque. A bord du ‘Sodebo Ultim’, il s’apprête à vivre une expérience aussi exaltante qu’éprouvante, seul auc commandes d’un véritable monstre des mers… »

« Dans ‘La Quête de l’Ultime’, Alexandre Chenet et Renaud Garreta racontent les 49 jours de cette épopée. Un récit documentaire passionnant et d’une densité extrême, qui évoque autant la performance sportive et le défi technologique que la dimension philosophique de cette aventure hors du commun », écrit l’éditeur.

Page après page, nous vivons intensément, ce passionnant récit biographique, écrit à la première personne,  Thomas Coville, par la plume d’Alexandre Chenet, nous comptant son cheminement, seul en mer, en relation radio  avec son équipe restée au port, ces échanges verbaux nous étant contés, grâce à un subtil montage illustré  les relatant, tout au long de ces 49 inoubliables journées…

… A ces petites cases s’opposent des images touchant, parfois – sur une, deux, voire quatre pages -, à l’oeuvre d’art, cette bande dessinée étant tellement plus artistique que d’autres biographies sportives, telles celles, bas de gamme, qui furent consacrées à Eddy Merckx, Justine Henin et autres…

A ce niveau, pensons à une case couvrant 2 pages (32-33) où nous pouvons réaliser, par mer agitée, ce qu’endure un tel sportif de haut niveau, qui déclare : « faire le gros dos, ça ne met arrivé qu’une fois sur ce tour du monde, mais c’est une fois qui fait du bien, qui rappelle où l’on est et ce qu’on fait. »

Ainsi, de pénibles instants nous sont contés : « Et le pire,cà peut être de perdre ta jambe, raideur définitive, paralysie, amputation », lui dit-on, du port, sans qu’il puise être vu par un médecin, lui qui est seul en mer.

Hors ce genou mal en point, gonflé, ne l’empêche pas, en l’examinant de près, en le tâtant, de lâcher ces quelques  mots amusants : « un oeuf, dur, non plutôt mollet, le jaune n’est pas assez cuit », ce qui amène cette question (p. 35), au sein de son équipe : « c’est quoi cette histoire d’oeuf ? »

Autre aspect amusant de cet ouvrage, l’inclusion de dessins d’un autre style, Renaud Garreta nous présentant un  univers différent, carrément humoristique. Ainsi, de son style photographique, évoquant, jour après jour, l’exploit de Thomas Coville, avec des gros plans sur son visage, nous dévoilant fort bien ses émotions, la densité de son effort, ce talentueux dessinateur introduit une évocation fort différente, à la… Gaston Lagaffe, comme en page 82, au moment où Thomas Coville, suite à son succès, est reçu, au restaurant, par Patrica Brochard, la coprésidente de « Sodebo », qui lui déclare :« tu as le budget pour construire un nouveau bateau »…

… Et là, le dessin devient musical,… trois images nous étant offertes, des plus colorées, costume d’ « Evzone » grec à l’appui, et des plus bruyantes, avec trompette, batterie dorsale et accordéon : « Twoin Twoin ! Twiinn T-sooiiinn T-sooii Paf Pok Pok ! Tszig Zig Tzig Poom ! Poom ! Poom ! » (sic)

Ou encore, à la page 22, son passage du Cap Horn, en deux dessins humoritiques, la carricature amusante  de  Thomas Coville portant ou tirant son voilier, sans oublier, à la page 40, où son voilier se transforme en une paire de skis, sur laquelle on le voit dormir (« Et il faut que tu dormes parce que l’esprit doit rester clair »), manger  et  boire,  comme ce vrai sportif doit le faire à bord de son voilier, si bien reproduit tout au long de cet album, cette dernière séquence alpine étant précédée (p.39) de ces mots : « Le Pacifique, c’est une grande pente, tu arrives par l’ouest, tu attrapes des vents, une dépression et c’est tout droit, dégringolade jusqu’à l’autre côté, le Cap Horn. C’est comme si tu étais en haut d’une montagne. »

Dans la présentation de son ouvrage, Alexandre Chenet nous ramène, à la réalité de l’exploit : « Les limites technologiques, physiques et mentales sans cesse à réévaluer. Même notre compréhension des éléments naturels – le vent, la mer, les courants… – est en perpétuelle redéfinition. C’est le propre de l’aventure et c’est jouissif ! Ce n’est pas tant que l’histoire n’a pas de fin, c’est que l’on peut toujours la redéfinir en fonction de ce que l’on découvre. La performance peut prendre différentes formes : aller le plus vite possible, ne pas utiliser d’énergie fossile, ne pas faire appel à une aide extérieure… Faire évoluer les règles du jeu, cela fait partie intégrante de l’aventure. »

… Et quelle aventure, solitaire à souhait… Ainsi, revenons au Cap Horn, avant tout évoqué par deux cases,  dessinées sur 4 pages (50-53), avec un superbe talent artistique, passant d’une mer agitée à une étendue d’eau des plus apaisées, avec ces mots : « le passage du Cap Horn (qui) représente des années de travail et beaucoup de pugnacité c’est la fin du long tunnel des mers du sud… ‘Protège toi contre ton courage’ m’a écrit un jour Jean-Luc, alors que j’entrais dans le grand sud… Aborder l’inconnu sans jamais se départir de la raison. »

« Y a plus qu’à », dit-il, dans la 5è et dernière case de la page 56, alors qu’il doit, toujours aussi seul, travailler de nuit, au chariot 4 de la grande voile, cassé et coincé dans le rail,… Quatre pages (57-60) dévoilant toute son énergie, toute sa concentration (« respire… souffle… respire… », soupire-t-il), avant de pouvoir, enfin lacher un  « yahhhhh »  libérateur, sa joie étant partagée par son équipe, avec, au port, un « yes !! » marquant la déllivrance tant attendue.

Cette concentration avait déjà été évoquée en page 34 : « je dois être en pleine conscience de cette nature, la voir, l’observer, la sentir, tout en atteignant une forme d’hyper concentration, évacuant tout  ce qui pourrait me distraire  je me focalise sur la tâche à accomplir… Je dois être concentré sur ma tâche : le bateau, le record, la course… Cette atttitude centrée m’ouvre à un rapport sensoriel avec l’environnement, une autre manière de l’aborder, plus intrinsèque. Elle m’emplit. »

En page 03, Thomas Coville (°Rennes/1968) – élu « Marin de l’Année », en 2017, par la « F.F.V. » (« Fédération Française de Voile »), premier marin à être passé, le 25 décembre 2016, sous la barre des 50 jours (49 jours, 3 heures et 7 minutes) pour un tour du monde en solitaire – préface cet album : «  ‘L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle’ : cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)/ndlr), dans « Terre des Hommes »  (1939)  a résonné dans a tête pendant des années avant que j’en comprenne toute sa force. J’ai vécu cette phrase dans mon corps et dans mes gestes, qu’ils soient engagés ou ordinaires. Etre à mon tour un pionnier, témoin de mon époque, et construire autour de ces mêmes valeurs de l’amitié et de la fraternité, une histoire qui nous dépasse. Utiliser moi aussi la technologie disponible et le progrès pour rappocher ls hommes. En me confrontant à l’espace et au temps, en décidant que mon désert serait liquide et à l’échelle de la planète toute entière, j’ai repoussé tous mes rêves. »

… Et si nous apprécions cet ouvrage, n’hésitons pas à découvrir deux autres albums de ce duo d’auteurs, également édités par « Dargaud » , avec couvertures cartonnées: « Seul autour du Monde » (64p./2012/16€), « Une Histoire du Vendée Globe » (136 p./2020/18€).

Mais de retour à « Thomas Coville, la Quête de l’Ultime », n’oublions, en 4è page de couverture, pas la conclusion de ce récit : « En partant en mer, j’accepte l’inconnu mais sous conditions raisonnées : savoir qu’on ne sait pas et s’y préparer. » 

… Et, sans nul doute, rendez-vous dans 3 ans, pour un nouvel album de Renaud Garreta & Alexandre Chenet,  Thomas Coville s’étend fixé un nouveau défit (p. 102) : « En décembre 2023, si l’inconnu nous y mène bien, on sera à Brest, pour prendre le départ de la première course autour du monde, en solitaire, en trimaran. Presque 30 ans après l’avoir rêvée, vingt ans à la chercher et la construire. Ce sera un ‘ultime’, assurément. Un ‘ultime’ absolu… Avant qu’un autre vienne prendre la place… L’être humain cntinuera à rêver, j’ai confiance. » 

En attendant, à (re)lire : « Thomas Coville, la Quête de l’Ultime »/Renaud Garreta & Alexandre Chenet/Ed. « Dargaud »/août 2020/couverture cartonnée/112 pages/18€).

Yves Calbert.

 

 

 

 

 

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