Léproserie de Kapolowé
Enfin de retour à Likasi pour deux mois de vacances !
Je viens d’entamer en Belgique, des études de photographe.
Mon but était de devenir cameraman et j’avais passé les examens à l’INSAS et à l’IAD, à Bruxelles mais dans les deux écoles, lors de l’entretien avec les profs, ils m’ont dit que ce n’était pas un boulot de fille, car le matériel était bien trop lourd (camera, batterie et accessoires). J’avoue que le matériel était effectivement pesant, et que je me demandais si je serais capable de le porter des heures… L’une des écoles m’a proposé de suivre, à mon choix, les cours de script ou de montage. Mais j’ai refusé, car j’avais vraiment envie de faire du reportage, raison pour laquelle je me suis tournée vers la photographie.
Retrouvailles avec ma famille, mes amis, et avec la brousse, quel plaisir !
Un jour, une sœur de Kapolowé, qui passait chez mes parents chaque fois qu’elle venait en ville (et qui dégustait avec délectation les crèmes glaces ou gâteaux que faisait maman, un petit sourire malicieux aux lèvres, et les yeux qui pétillaient, elle prétendait ne venir chez eux que pour cette raison !), m’a demandé si je pouvais tirer la mission et sa léproserie de l’embarras.
La léproserie devait dans les plus brefs délais envoyer à l’Institut de Médecines Tropicales d’Anvers, un dossier concernant l’évolution des soins, les nouvelles constructions de bâtiments, des photos d’ambiance, et des photos de personnes précises qui, comparées aux photos prises les années précédentes, montraient l’évolution de leurs guérisons. L’urgence du reportage est due à la date à laquelle sera décidé l’octroi de subsides et autres aides financières.
La sœur me dit que la personne qui devait effectuer le reportage s’est désistée et n’est pas venue au Zaïre, elle ne voyait que moi pour ce faire. Et de m’expliquer que je ne devais pas avoir peur : la léproserie étant divisée en deux (une zone abritant les malades contagieux, et l’autre zone où habitent les malades non contagieux avec leurs familles, le temps d’être complètement guéris), je n’irai que dans la partie non contagieuse.
Puis, elle laisse échapper qu’il serait bien dommage de ne pas photographier les malades contagieux, car certains cas devraient absolument être vus par l’Institut d’Anvers, et me demande si je pourrai lui prêter mon appareil pour qu’elle fasse les photos dans cette zone.
Je lui réponds que non car chaque jour, le personnel soignant et tous les aidants y vont en prenant certaines précautions, en évitant les contacts non nécessaires, et en se désinfectant à la sortie. S’ils y vont, pourquoi pas moi ?
Le jour venu, la sœur commence par me dire être désolée : il n’y a plus de gants en stock, je dois donc faire très attention. Nous commençons par la zone non contagieuse, gros village où chacun vaque à ses occupations, cuisinant, faisant de la vannerie ou des filets de pêche, balayant.
Là, premier choc : si en ville nous avions l’habitude de côtoyer des personnes déformées par la polio, je ne savais rien de la lèpre ni des lésions qu’elle provoque. Rencontre avec des personnes couvertes de traces de macules, certain ayant perdu un nez ou une joue, d’autres ont perdu en partie ou en totalité des bras ou des jambes… Malgré ces handicaps, tous participent à la vie du village, en fonction de leurs possibilités.
Beaucoup me disent leur bonheur d’aller vers la guérison totale (et ils « feront avec » leurs séquelles), leur reconnaissance envers le personnel qui s’est occupé d’eux, tant pour les soins que pour le soutien moral, et tous sont impatients de bientôt retourner chez eux !
Nous entrons alors dans la « zone des contagieux ».
Si la visite précédente m’avait ébranlée, alors que j’avais visité des malades en voie de guérison totale, la vue des malades contagieux m’a glacé le sang !
Beaucoup avaient des plaies béantes, purulentes et sanguinolentes, des moignons à vif, et certains très affaiblis se trainaient sur le sol pour avancer. La sœur interpelle et se fâche sur une femme qui avec ses moignons devenus insensibles à la douleur, enlève une casserole du feu, et lui explique qu’elle peut faire ce geste, mais le faire beaucoup plus vite, pour ne pas tant exposer ses bras au feu !
Les malades se groupèrent autour de moi, et à ma grande surprise, me firent la fête, enchantés, me dirent-ils d’avoir de la visite, évènement tellement rare dans leur zone ! Ils se racontèrent, me parlèrent de leurs familles, de leurs anciens boulots, de leurs passions… Des plaisanteries fusaient et l’on riait ! Quel brouhaha dans cette grande cour ! Je ne m’attendais pas à tant de joie de vivre venant de personnes tellement atteintes par cette sale maladie ! Quelle leçon ils m’ont donnée !
Dans le feu de la conversation, une vieille mama émue que je connaisse une partie de sa famille et lui en donne des nouvelles, se jette dans mes bras et nous nous étreignons : les sentiments nous ont fait oublier toute précaution... La sœur intervient immédiatement, nous sépare, et rappelle à tous les instructions nécessaires pour éviter la contamination.
Puis je termine les photos, et nous sortons de l’hôpital. La sœur se désinfecte les mains, et m’enferme dans une pièce m’enjoignant de me désinfecter de la tête aux pieds. Elle me dit aussi qu’en Belgique, je devrai passer des examens médicaux couvrant le temps d’incubation de la maladie. Je les ai faits : je n’ai pas contracté la maladie.
Dès mon retour en Europe, j’ai imprimé les photos et les ai envoyées à l’Institut de Médecines Tropicales d’Anvers.
Impérissable souvenir, je pense souvent à eux et à leur courage…