A la "Galerie Détour", à Jambes, "L'inséparable Contraire", jusqu'au 11 Février
« L’envers vous dit la vérité », a dit un jour l’artiste franco-américaine Louise Bourgeois (1911-2010), dont les parents étaient restaurateurs de tapisseries.
Diplômée en dessin, à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, et licenciée en Histoire à l’UCL, Jehanne Paternostre a bénéficié d’une bourse de recherches de deux ans, en 2020 et 2021, au TAMAT, le Musée de la Tapisserie et des Arts textiles, à Tournai. En 2022, elle a pu y exposer une partie de ses recherches, ainsi qu’à La Manufacture de Roubaix, le Musée de la Mémoire et de la Création textile.
Toujours dans le Nord, Jehanne Paternostre exposa également au Musée de la Résistance, à Bondues, son travail autour de la mémoire de la Première Guerre mondiale … « Une approche de l’Histoire, par le biais de l’Art », nous confia-t-elle.
« La fragilité de la mémoire, entre conservation et disparition, constitue le cœur de mon travail, explique-t-elle. Monuments, documents, récits, ainsi que l’entretien et le soin, qu’ils nécessitent si l’on veut les faire perdurer, font partie de mes préoccupations. Il s’agit moins de s’intéresser à l’image exposée qu’à son envers, son ‘inséparable contraire’ : une réparation, une consolidation, une suppression, un remplacement… Des gestes non visibles mais qui maintiennent néanmoins jusqu’à nous images et récits, témoignant par là de notre relation au temps et à la mémoire. »
Ses recherches artistiques, d’une grande finesse, s’attachent ainsi à l’envers de la tapisserie. Elle récolte des déchets de fils de toutes les époques, tombés par terre, dans l’atelier de restauration du TAMAT, car « c’est par l’envers que l’on comprend beaucoup de choses ».
Son exposition commence par la présentation d’un document photographique présentant le détail d’une tapisserie du XVIIe siècle et parcouru d’un fil blanc, trace d’une restauration en cours.
Nous l’avons rencontrée à la Galerie Détour, à Jambes-Namur, où elle expose ses œuvres jusqu’au samedi 11 février, à 18h, l’entrée étant gratuite.
« Tout a commencé le jour où filmant les mains du restaurateur au travail au TAMAT, je me suis retrouvée en-dessous de la tapisserie, dans la pénombre, ne voyant plus que de multiples petits trous apparaissant soudainement à contre-jour. Cette série de dessins au crayon que j’expose ici est un souvenir de cette expérience « , nous confie-t-elle.
Mais revenons dans la première salle de la Galerie Détour, où nous voyons, près de la photographie déjà citée, une sorte d’écriture. Il s’agit d’un travail de dentelle dans un dégradé de couleurs – allant du blanc au noir – et dans lequel ont été inséré les déchets de fils ramassés sur le sol dans l’atelier de restauration du TAMAT.
Plus loin, une autre installation à partir des mêmes déchets de fils évoque les mots d’un texte abstrait : « Comme un archéologue qui, à partir de tessons de céramique, va reconstruire un vase, j’ai reconstitué les fils d’origine à partir des déchets récoltés, si ce n’est que, comme le fil a une mémoire et que ces petits fils sont restés dans la même position, parfois pendant des centaines d’années, le fil a une forme que je ne peux absolument pas changer. »
Sur le mur voisin, est présenté un grand cercle de dentelle, associant de manière aléatoire les déchets de fils. Dans le couloir reliant les deux salles, l’oeuvre ‘Fantaisie’ (2021) est une pelote de laine filée au rouet toujours à partir de ces mêmes déchets de fils, témoignage du temps qui passe.
Face à cette œuvre, cinq encadrements mettent en valeur des échantillons de feutrage mêlant déchets textiles, poussière et laine, et sont associés à des titres de tapisserie tels que ‘La Chute de Phaëton’ ou ‘Fragment de paysage’.
Au centre de la seconde salle, une boîte de conservation (2021), remplie des déchets de fils multiséculaires, intitulée ‘Restaurer-Conserver’, nous fait penser à une collection muséale de papillons multicolores, voire d’insectes, chacune des 120 cases comprenant un verbe, synonyme des mots ‘conserver’ ou ‘restaurer’. Certains termes sont spécifiques à certains métiers, comme pour la médecine, ‘cryopréserver’, ou, pour la marine ‘radouber’. »
Dans la même salle, est présenté un tube de laboratoire, au sein duquel sont rangés les déchets de fils dans un dégradé multicolore allant du plus foncé au plus clair. A côté, une brochure sur les tapisseries, dont chaque page a été trouée par un cercle, nous révèle, à la dernière page, une photographie montrant les restauratrices au travail.
Enfin, dans la dernière salle, nous découvrons ‘Au Fil du Temps’ (2021), un entonnoir en verre rempli des fameux petits fils. L’œuvre nous évoque une sorte de sablier, le passage du temps, tout en associant les mondes de la science et de l’artisanat.
Citons enfin un extrait du texte de Denise Biernaux (galerie liégeoise Les Drapiers ) : « Jehanne Paternostre oeuvre avec des objets (un document, une stèle, une tapisserie , …), porteurs du poids de l’Histoire, pour tisser des liens étroits entre mémoire et fragilité, entre ce qu’on conserve et la valeur de ce qui disparaît. La matière est touchée au plus près, comme dans la récolte sensuelle des poussières de tous petits bouts de fils d’une tapisserie. L’artiste retisse l’envers de l’Histoire, souvent mythologique, racontée par cet objet mural de prestige, que la lumière et le temps ont usé. »
« L’archéologie se transforme alors en acte performatif ; l’artiste traverse les couches du temps, grâce à la récolte de ces poussières textiles, qui portent en elles la trace de la main de l’homme : élevage du mouton, fabrication du fil , teinture et mise en œuvre sur le métier, par le lissier. »
Pour terminer, concluons avec un propos anonyme recueilli au sein du « Livre d’Or » de l’exposition : « Merci pour ce travail de ‘conservation’ fragile, délicat, important pour honorer ce travail de tapisserie, qui nous vient de si loin, élégance et savoir, qui nous transporte dans des tas d’univers ».
Afin d’en savoir plus sur le travail de Jehanne Paternostre, n’hésitons pas à la rencontrer, le samedi 11 février, à la Galerie Détour, avenue bourgmestre Jean Materne, 166, à Jambes-Namur, où elle sera présente de 14h à 18h.
Ouverture : jusqu’au samedi 11 février, de ce mardi 07 à ce vendredi 10 février, de 13h30 à 17h30, ainsi que ce samedi 11 février, de 14h à 18h. Entrée libre. Contacts : 081/24.64.43 & info@galeriedetour.be. Site web : http://www.galeriedetour.be/.
Yves Calbert.