"Portrait of a Lady", à la "Villa Empain", à Ixelles, jusqu'au 04 Septembre
« Les femmes doivent laisser paraître des gestes pudiques, les jambes serrées étroitement, les bras rassemblés, la tête basse et inclinée », écrivit Léonard de Vinci (1452-1519).
Conçue par Louma Salamé, l’exposition temporaire « Portrait of a Lady » illustre, au travers de quatre-vingt-cinq œuvres, la représentation de la femme depuis l’ère paléolithique jusqu’à l’art contemporain, nous invitant à explorer les sentiments et les représentations universelles du portrait des femmes, de leur visage ou de leur corps, source d’inspiration pour les plus grand artistes de par le monde, le parcours de quelques femmes d’exception étant évoqué.
Avec ses sujet religieux ou profane, répondant à différents codes iconographiques, selon les époques, cette exposition – présentée par la « Fondation Boghossian », à la « Villa Empain », à Ixelles -, fait dialoguer différentes cultures et civilisations d’Orient et d’Occident, en réunissant une sélection de pièces anciennes et contemporaines , des « Vénus » préhistoriques jusqu’à « Balthus » (Balthasar Klossowski de Rola/1908-2001), Edgard Degas (1834-1917), Eugène Delacroix (1798-1863), Paul Delvaux (1897-1994), James Ensor (1860-1949), Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Édouard Manet (1832-1883), Henri Matisse (1869-1954), Henri Meunier (1873-1922), Constant Permeke (1886-1952), Pablo Picasso (1881 -1973), Cindy Sherman (°Glen Ridge/ 1954) et Edgard Tytgat (1879-1957).
Pendant des siècles, l’absence des femmes dans la scène artistique a eu pour conséquence que l’histoire de l’art a été pensée et faite par les hommes. Malgré quelques exceptions comme Mary Cassatt (1844-1926) et Berthe Morisot (1841-1895), réunies dans l’exposition, avec « Etude pour la Leçon de Banjo » (1894), pour la première citée, « L’Enfant à la Poupée » (ou « Interieur Jersey »/1920), pour la seconde, nous constatons que les femmes artistes sont restées très longtemps marginales, le portrait de femmes étant donc, majoritairement, le produit d’un regard masculin.
Les cinq thématiques de l’exposition :
1. « A l’Origine » ;
2. « Femmes dans un Intérieur » ;
3. « Nue : Modèle, Muse » ;
4. « Portraits et Autoportraits » ;
5. « La Question du Genre ».
** 1. Dans la Chambre Nord, nous découvrons des « statuettes », aux dimensions modestes, autrefois appelées « Vénus », sans la moindre assise anthropologique, certaines réalisées autour de 25.000 ans avant notre ère, la plus connue étant la « Vénus de Willendorf », une« statuette » en calcaire, du paléolithique supérieur, découverte en 1908, lors de travaux de construction d’une ligne de chemin de fer, à Willendorf, en Autriche.
Ces « statuettes » furent créées en ivoire, en pierre tendre ou en terre cuite, étant parfois colorées, deux d’entre elles, présentes à la « Villa Empain », étant nommées « Dame à la Capuche » et « Dame à la Corne ».
Personnification de l’abondance de la terre, deux « statuettes » africaines, dont les attributs féminins sont exagérés,
convoquent, également, le culte universel et sacré de la fertilité.
Au niveau des peintures rupestres, notons que la présence de traces d’empreintes de mains féminines, dans les grottes, laisse à penser qu’il est probable que des femmes aient participé à ces créations, représentation du corps féminin, omniprésente dans les sites entourant la Méditerranée.
Soulignons, sur un buste de femme exposé, la présence d’un fragment de tissu copte, en laine et lin, brodé en Égypte, vers les VIIè et VIIIè siècle, alors qu’une peinture, intitulée « La Rencontre de la Reine de Saba avec Salomon », illustre l’épopée légendaire de l’une des premières Reines.
** 2. La Salle d’Armes réunit plusieurs représentations de femmes isolées et méditatives, qui convoquent les figures mythologiques légendaires de Pénélope ou d’Hélène, attendant, dans l’ombre, le retour du guerrier.
Cette image d’une femme solitaire, à la maison, est évoquée par un portrait sans titre (1962), de Paul Delvaux, la « Jeune Femme dans un Intérieur » (1885), de Constantin Meunier, le « Portrait de Femme » (s.d.), du gantois Léon de Smet (1881-1966) ou encore le « Portrait d’Aimée Martin » (s.d.), réalisé par Edgard Tytgat.
N’oublions pas de citer « L’Antiquaire » (1902), de James Ensor, qui présente son ami Paul Bueso, antiquaire et restaurateur d’art, qui proposent des toiles à vendre, toutes trois représentant des femmes (l’anonciation, Lucrèce Borgia & le suicide de Cléopâtre), alors que cet antiquaire tient en main une statuette d’une femme nue.
Cet ensemble illustre parfaitement le fait qu’à partir de l’antiquité, l’histoire de l’art est pensée, faite, diffusée, par les hommes, pour les hommes. Et que, conséquemment, l’image de la femme est, essentiellement, le fait d’un produit masculin, correspondant à des stéréotypes, ayant peu évolué à travers les siècles.
Quant à « La Femme aux Tulipes » (1932), oeuvre du peintre gantois Gustave de Smet (1877-1943), par la description d’un geste simple, elle dévoile comment la femme est l’organisatrice de l’espace intérieur.
« Les Demoiselles Vanderborght » (s.d.), du peintre bruxellois Charles Hermans (1839-1924), représente, également, de manière éloquente, comment les femmes sont réunies ensemble, toutes générations confondues, dans l’espace confiné de la sphère domestique, dans une forme d’assujettissement.
Ainsi, pendant des siècles, l’absence des femmes dans la scène artistique a eu pour conséquence que l’histoire de l’art a été pensée et faite par les hommes, pour les hommes. Malgré quelques exceptions comme Mary Cassatt (1844-1926) et Berthe Morisot (1841-1895), réunies dans l’exposition, avec « Etude pour la Leçon de Banjo » (1894), pour la 1ère citée, « L’Enfant à la Poupée » (ou « Interieur Jersey »/1920), pour la seconde. Etant des exceptions à la règle, l’une et l’autre ayant participé au mouvement impressionniste, nous constatons que les femmes artistes sont restées, très longtemps, marginales.
A l’époque, les fleurs, le foyer, les natures mortes, les paysages et les portraits d’enfants étaient des sujets, dits « féminins », accessibles aux artistes féminines, alors qu’il leur était interdit de consacrer leurs talents au moindre sujet historique, avoir le soutien, financier notamment, de leurs proches leur étant indispensable. Ainsi Mary Cassat était devenue une proche amie d’Edgar Degas, alors que Berthe Morisot était la belle soeur d’Édouard Manet.
** 3. La chambre d’amis nous accueille ensuite, avec des oeuvres qui parlent du regard masculin, sur le visage, le corps, la personnalité ou l’activité des femmes. Si la femme est représentée vêtue dans les sujets religieux, elle est généralement représentée nue dans les sujets mythologiques ou profanes, cette omniprésence des corps féminins dénudés, dans la peinture, incarnant le désir masculin.
« Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au « Met » (« Metropolitan Museum ») ? », telle était la question ue posait les « Guerilla Girls », un collectif, activiste en faveur de la place des femmes dans l’art, cette question ayant été placardée, en 1985, dans les rues de New York.
Ce nu féminin, réalisé par l’homme, est parfois à la frontière entre la suggestion du désir et l’érotisme. Un dialogue est proposé entre le nu réalisé au fusain, par Edgar Degas, intitulé : « Après le Bain, Femme s’essuyant » (1895) et l’huile sur toile « Les Baigneuses » (s.d.), du peintre anversois Isidore Vereyden (1846-1905). Femme de chair et de désir, le corps nu, ainsi donné à voir, exulte dans son impudeur et sa liberté, le peintre apparaissant comme celui qui dévoile et formalise la femme, dans des postures intimes : au bain, dormant ou se réveillant.
Notons également le dessin à l’encre, « Femme en Buste » (1903), de Pablo Picasso, ou encore « La Femme au Temple » (1948), de Jean Hélion (1904-1987), ces oeuvres sur papier dialoguant avec les sculptures « In de Zon III »(1947-1948), d’Oscar Jespers (1887-1970) et « Torse » (1938), de Constant Permeke, deux artistes anversois.
Les femmes sont aussi des modèles et des muses, à l’image de la lithographie d’Henri Meunier, qui transforme la femme en allégorie. Les dessins « Micheline endormie » (1975), de « Balthus » et « Monique assoupie » (1943), d’Henri Matisse, de même que les nus, présentés dans cette chambre, questionnent, entre les lignes, le rapport du modèle à l’artiste, démontrant l’inévitable intimité du lien du peintre à son modèle et la dimension affective qui les unit.
De leurs côtés, Eugène Delacroix , Jean-Auguste-Dominique Ingres & Carle Van Loo (1705-1765) attribuent à la femme orientale une sensualité ou un exotisme exacerbé, parfois à la limite de l’érotisme, issu des mystères et fantasmes inspirés des harems orientaux.
Soulignons que la « Fondation Boghossian » a fait, ici, une large place aux femmes de couleur. C’est ainsi qu’elle nous présente, avec « Harem #18 » (2009), une femme allongée sur un canapé, dans une attitude lascive mais non vulgaire, évoquant l’atmosphère d’un harem, digne des « Mille et une Nuit », dans une oeuvre due à l’artiste marocaine Lalla Essaydi (°Marrakech/1956).
Un autre regard sur les femmes est posé par Pierre Tal Coat (Pierre Jacob/1905-1985), avec « Les trois Vieilles » (1934), un sujet non aligné aux canons de beauté, aux corps parfaits et attractifs, la femme âgée demeurant un sujet minoritaire pour les artistes. Par ailleurs, avec « La Femme aux Champs » (1885), Isidore Vereyden (1846-1905) représente une femme à l’extérieur et au travail.
** 4. Dans la Chambre du Baron, nous constatons l’évolution de l’image de la femme, en Europe, dès l’entre-deux guerres. De fait, désormais la femme travaille à l’usine, participe à l’effort de guerre, ayant acquis, progressivement, les mêmes droits que les hommes, dont l’accès à l’astronomie, la politique, la science, …
Alors que la première académie d’art réservée aux femmes a été créée à Bologne, en 1660, l’initiative ne se répand pas en Europe. Par contre, à partir des années 1960, les représentations de la femme la sortent de ses carcans et dévoilent davantage son émancipation, sa force ou sa liberté, les femmes pouvant, enfin, accéder à l’art, de manière généralisée … Et en ce début du XXIè siècle, nous constattons qu’il y a, désormais, plus de femmes inscrites dans les écoles d’art qu’il n’y a d’hommes …
Réalisées par des artistes masculins et féminines, les photographies prennent de l’importance, nous offrant un regard moderne et contemporain sur la représentation de la femme. Ainsi, nous découvrons deux photographies des années 1950, oeuvres « sans titres » (1948-1954), du portraitiste malien Seydou Keïta (1923-2001), aussi bien que la série « Berlin Citizen » (2002), du photographe allemand Albrecht Tübke (°Leipzig/1971).
La vision d’une femme libre est évoquée dans le portrait « Smoke and Veil » (1958), du photographe américain William Klein (°New York/1929) et dans « Jeune Femme à l’Arrêt » (1996), de l’artiste belge Michel François (°Sint-Truiden/1956). Parmi les oeuvres féminines, notons une « sans titre », portrait d’une Métisse, de la photographe française Valérie Belin, (°Boulogne-Billancourt/1964), de même que des portraits d’adolesentes, réalisés aux Etats-Unis, en 2018 : « Kalyn, Age 15 » & « Yazmine, Age 11 », vues par la photographe anversoise Eva Verbeeck.
** 5. Sujet d’interrogation depuis l’Antiquité, la question du genre est abordée dans la Salle de Bain du Barron, avec la déesse Aphrodite , qui, dans la mythologie, tombe amoureuse d’Hermès et de cette rencontre naît l’Hermaphrodite : la double perfection du sexe masculin et du féminin, symbole d’union de la virilité et de la beauté.
Dans « Le Banquet » (vers 380 avant notre ère), texte du philosophe athénien Platon (428/427-348/347 avant notre ère), il est dit qu’à l’origine, les humains avaient deux visages, deux sexes, quatre bras et quatre jambes. Il y avait des duos d’hommes, des duos de femmes, et des duos androgynes. Ayant l’audace de se comparer à Dieu, Zeus les sépara
en deux pour les punir. Chacun n’est donc qu’une moitié séparée de son tout, à la recherche de son alter ego, cette métaphore illustrant les interrogations universelles liées au genre, à la sexualité et au corps humain.
Interpellant le visiteur autour de la question du regard, cette ambivalence du genre est explorée, ici, par l’oeuvre intitulée « I Travestiti » (1965-1970), de la potographe italienne Lisetta Carmi (°Gènes/1924) ; la peinture « Blanche Neige morte » (2016-2020), de l’artiste belge Gauthier Hubert (°Bruxelles/1967) ; ou encore la photographie « Dame aux Fruits » (2010), de l’artiste libanaise Chaza Charafeddine (°Liban/1964).
La Chambre de la Baronne, quant à elle, réunit des œuvres qui démontrent la diversité et la complexité des
approches contemporaines, telles les photographies sur aluminium, de 2001, « Dungenes » & « Rivka », de l’artiste belge Katrien Vermeire (°Oostende/1979) ou les sculptures des artistes suissesse Sylvie Fleury (°Genève/1961) et allemand Hans–Peter Feldmann (°Düsseldorf/1941), qui revisitent, avec ironie, des chaussures à talons, transformées, respectivement, en bronze, ou recouvertes de punaises (« Golden Shoes with Pins »/2006). Quant au mur sis à la frontière libano-israélienne, il nous est dévoilé par la photographe libanaise Rania Matar (°Liban/ 1964), qui évoque la situation des femmes au Moyen-Orient, voilées ou non, voire en tenue de militaire.
Enfin, dans le Boudoir de la Baronne, nous visionons le court-métrage 16 m/m « Why are you Angry? » (2017/18′), qui tire son titre d’un tableau, exécuté en 1896, par Paul Gauguin (1848-1903). Réalisé à Tahiti, par deux cinéastes féminines britanniques Rosalind Nashashibi (°Croydon/1973) & Lucy Skaer (°Cambridge/1975), ce film interroge la manière dont notre regard sur les femmes polynésiennes s’est construit, selon le point de vue phallocentrique et colonialiste du peintre parisien, décédé à Atuona, aux îles Marquises.
Omniprésente dans l’histoire de l’art, la représentation de la femme, au sein d’une grande diversité d’œuvres, nous éclaire sur la complexité des pensées et pratiques artistiques autour de ce thème intemporel.
Maintenant il est à souligner que si l’on parle de femmes artistes, il ne s’agit pas de faire de l’interprétation d’un art « sexué » ou de ramener leur art à l’expressivité de leur sexe, car aucune unité ou particularité ne pourraient jamais qualifier un artiste, homme ou femme, en fonction de son genre, les œuvres étant autant de regards, de pensées et de pratiques artistiques.
Avant de quitter la « Villa Empain », dans son Grand Salon, profitons d’une installation créée par l’« Empathy Musem », à l’origine d’une série de projets artistiques participatifs, destinés à nos aider à regarder le monde au travers des yeux des autres. Intitulé « A Mile in my Shoes », le présent projet nous invite à porter des chaussures de femmes, présentées dans l’installation, en écoutant divers récits : qu’est-ce que c’est que d’avoir passé des années en prison, d’être un enfant qui grandit à Téhéran, une réfugiée syrienne, une travailleuse du sexe ou un vétéran de guerre ???
Ouverture : jusqu’au dimanche 04 septembre, du mardi au dimanche, de 11 à 18 heures. Prix d’entrée (incluant, jusqu’au dimanche 21 août, la visite d’une seconde exposition) : 10€ (08€, pour les étudiants, enseignants, personnes en situation de handicap, seniors, membres d’un groupe de minimum 8 personnes & convives d’un lunch du « Café de la Villa »/ 04€, pour les étudiants de moins de 26 ans / 0€, pour les moins de 12 ans, les « Art. 27 », pour tous, le jour de son anniversaire & le mercredi 03 août). Catalogue (Ed. « Fondation Boghossian »/ broché/ 2022/160 p.) : 25€. Contacts : 02/627.52.30 & info@boghossianfoundation.be. Site web : https://www.villaempain.com/.
Sans supplément au prix d’entrée, accès, au sous-sol, à une seconde exposition, consacrée à l’architecte de la « Villa Empain », du « Résidence Palace », de l’ « Hôtel Plaza », …, ouverte jusqu’au dimanche 21 août : « Michel Polak, Technologie et Métiers d’Art, une Architecture du Merveilleux »).
La curatrice Louma Salamé (°Beyrouth/1981) – diplômée, à Paris, de l’ « Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts » et de l’ « Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs », ayant été en poste, en 2007, au « Guggenheim Museum », à New York, et s’étant impliquée dans le projet du « Musée du Louvre », à Abu Dhabi – est, depuis janvier 2016, la directrice de la « Fondation Boghossian », à Ixelles, pour laquelle elle a conçu différentes expositions.
Notons que les vendredis 29 juillet et 26 août, deux nocturnes sont programmées, dès 21h, avec outre l’accès à l’exposition, l’apéritif, consommé dans le « Café Art Déco » ou en terrasse, aux abords de la piscine. Prix : 10€.
Dans ce même « Café de la Villa », du mercredi au vendredi, possibilité de réservez une table, pour un lunch, voire le samedi et le dimanche, pour un brunch, profitant d’une expérience gustative inédite, mêlant les saveurs orientales à une cuisine occidentale, infusée des accents philippins du Chef Glen Ramaekers. Réservations : villaempain@glenramaekers.com
Afin de célébrer la fin de l’été, le dimanche 21 août, dès 12h, se déroulera la septième édition de la traditionnelle « Summer Party » de la Villa Empain, un événement mêlant culture et gastronomie, avec, aux abords de la piscine Art Déco, la présence d’un DJ, garantissant une agréable ambiance musicale.
Yves Calbert, avec des extraits du catalogue.