L’Eifelverein (« Association de l’Eifel ») … Une présence dans la partie germanophone du pays !
Crée en 1888 dans l’Eifel (Allemagne), les réalisations de l’Eifelverein (1) (« Association de l’Eifel ») concernent directement nos cantons de l’Est actuels qui constituaient à l’époque les « Cercles » (Kreis) (2) prussiens de Malmédy – Eupen (annexés à la Belgique en 1920).
Ainsi donc, au 19ème siècle, l’Eifel est une région peu développée et isolée. Portée par le Dr. Adolf Dronke, l’idée germe de créer une association dont l’objectif serait le développement culturel et touristique de la région. Elle voit le jour le 22 mai 1888.
Dans sa composante touristique est envisagée, dès 1892, la création d’un réseau de promenades locales balisées suivant ainsi les réalisations déjà mises en place en Forêt Noire, dans l’Odenwald et dans les Vosges (3) . L’idée d’un balisage en couleur standardisé pour toute la région de l’Eifel est avancée dès 1897. Sous la présidence du général Karl von Voigt, le projet prend son essor et lors de la réunion de Monschau (Montjoie) de 1899 la nécessité de créer un réseau pédestre balisé standardisé est réaffirmée. C’est en 1900 qu’un plan concret de 13 sentiers à grande distance est annoncé dans le bulletin de l’association.
Le tracé du sentier 8, reliant Aachen (Aix-la-Chapelle) à Trier (Trèves), passait par Roetgen, Eupen, Malmédy, Sankt-Vith et Ouren. Il faut préciser que l’implantation de l’association dans nos la région est très forte avec des sections locales (« Ortsgruppen ») actives à Eupen (4) [1893], Malmédy [1888], Sankt-Vith (Saint-Vith), Büllingen (Bullange), Burgreuland, Ligneuville, Elsenborn et Bütgenbach [1889].
A l’époque, l’itinéraire n’empruntait pas uniquement des sentiers ou chemins mais également des routes rurales, le trafic automobile étant quasi inexistant.
En complément aux 13 sentiers structurants, des chemins de liaisons furent mis en place. De même, la signalétique s’étoffe (panneaux explicatifs…) et la communication se développe au travers de la publication d’une revue (dès 1900), du guide « Eifelführer » et, dès 1906, du « Eifelwanderbuch, 180 Tageswanderungen in der Eifel » œuvre d’un des piliers de l’association Hans Hoitz. Ce dernier est également à l’initiative de la création de nombreuses auberges pour écoliers et étudiants entre autres à Eupen, Malmédy et Sankt-Vith.
Le conflit de 1914-1918 porte un coup sévère au réseau et le transfert de territoires à la Belgique pose la question de la restructuration des tracés dans la région. En 1922, la route 8 Aachen – Trier est réaménagée en évitant soigneusement le territoire belge et grand-ducal. Les anciennes sections locales, devenues belges, subsistent dans la discrétion et poursuivent du mieux possible l’entretien des tracés.
(1) https://www.eifelverein.de/index.php
(2) Divisions administratives
(3) Club vosgien
(4) Il existe toujours actuellement une section bien active à Eupen reconstituée en 1959, la « Königlicher Eupener Eiffel-Ardennen Verein »
L’itinéraire actuellement nommé « Matthiasweg » (Hauptwanderweg HWW 6) résulte d’une refonte complète de l’itinéraire après le second conflit mondial. Certains tronçons historiques subsistent toutefois partiellement au travers du sentier de l’Our actuel reliant Ouren à Vianden et dans les sentiers GR qui parcourent les Cantons de l’Est.
Charles-Jacques COMHAIRE (1869 - 1931), un précurseur principautaire…
Nous sommes à la charnière des XIXème et XXème siècles, l’intérêt pour la défense du patrimoine naturel et bâti prend de l’importance dans plusieurs régions d’Europe. Tel est aussi le cas en Belgique (particulièrement à Liège) avec la fondation le 20 février 1894 par Charles Florenville et Charles-Jacques Comhaire du comité "Les Amis du Vieux-Liège" (devenu par la suite « Le Vieux Liège »). Objectif premier, la protection du patrimoine sous toutes ses formes : sauvegarde et restauration du patrimoine immobilier ancien mais également protection des sites et paysages.
Quoi de plus évident pour découvrir ce patrimoine que d’organiser des excursions à vocation « intellectuelles et récréatives » sur le terrain.
Dans cette lignée, l’association planifie et assure entre les années 1911 et 1914 le balisage standardisé d’un important réseau de promenades. Ce dernier comptera près de 500 km connu sous la dénomination un peu étrange de « chemins des touristes » (5).
Ce véritable « réseau » s’étendait sur le pays de Herve, la Hesbaye, l’Entre-Sambre-et-Meuse, le Condroz et les Ardennes. Sur 19 itinéraires planifiés, 8 furent finalisés totalement et 2 partiellement avant 1914.
Principalement axés sur la province de Liège, certains d’entre eux devaient ou relièrent réellement le namurois (Namur), le Luxembourg belge (Bastogne), et même des localités étrangères6 telles Aachen (Aix-la-Chapelle), Trier (Trèves) et plus curieusement en France Avioth et Givet.
En complément de ce réseau « longue distance », Comhaire développa un réseau de « 60… et quelques promenades faciles autour de Liège » à la demande du Touring Club de Belgique (TCB). Ces itinéraires, destinés à un public de promeneurs, s’axaient sur les lignes de tramways urbains et vicinales desservant à l’époque la région liégeoise.
La première guerre mondiale et l’occupation de la Belgique marque un ralentissement radical des activités touristiques. L’après-guerre avec, entre-autres, le développement des activités du TCB et des initiatives locales plus nombreuses entraîna une dilution progressive de ce réseau précurseur. Sans disparaître toutefois entièrement car il fut englobé dans les nouveaux itinéraires en devenir.
(5) Dans la conception de Comhaire, le touriste correspond à notre randonneur. Il est agréable de proposer ici la délicieuse définition d’époque : « Le « touriste » c’est le marcheur, l’éternel pérégrinant que nulle distance, comme nul effort et nulle fatigue n’arrête ; que les escalades les plus vertigineuses ne rebutent point, attirent même ; qui aime la route et le sentier dès les premières caresses de l’aurore ; qui casse la croûte à l’ombre de l’antique chêne ; ne s’effraye point du plus frugal manger dans l’auberge sombre et encombrée, ni de la couche rustique, serait-ce le foin d’une grange ; qui s’en va solidement botté et guêtré, le sac de montagne au dos, le caban au bras tout prêt à le sauvegarder des ondées de l’orage ou des refroidissements subits de notre climat capricieux ; qui n’a nul souci de ces inclémences du temps comme nul souci de l’heure présente, car s’il part tôt, il ne craint de rentrer tard ; qui enfin peut souvent jouir de plusieurs de ces précieuses journées consacrées, à la file de son heureux tempérament »
Maurice Cosyn (1895-1951) et les sentiers du Touring Club de Belgique. De la promenade au réseau national de sentiers…
Dans la droite lignée des expériences étrangères (Club Vosgien, Eifelverein…) et régionales (« Chemins des touristes » de Comhaire dès 1910), le Royal Touring Club de Belgique (TCB) va, au sortir du dévastateur premier conflit mondial, prendre l’initiative de constituer un grand réseau national d’itinéraires touristiques pour piétons en coopération avec les syndicats d’initiatives locaux en rapide développement.
Le TCB est actif dans la promotion du tourisme dès son origine en 1895 comme association de cyclistes puis, dès les années 1920, dans le développement du tourisme pédestre en reprenant par exemple en main les réalisations de l’Eifelverein dans la « Nouvelle Belgique » (les Cantons de l’Est).
Dès 1921, de nouveaux sentiers destinés à faire découvrir des régions particulièrement représentatives sont aménagés. Citons entre autres : le sentier de la Lesse (Anseremme - Houyet en 1921), de la Semois (Sainte-Cécile - Herbeumont en 1922), le sentier de l’Amblève (Fonds des Quareux).
Le support du TCB se traduit de multiples façons : fourniture de petit matériel (plaques indicatrices, poteaux, panneaux…), développement d’infrastructures lourdes sur de nouveaux itinéraires (passerelles, échelles, belvédères…), politique de systématique de support éditorial (publication de guides locaux, revue…). Un très gros budget est alloué à ces actions (500.000 francs d’époque entre 1936 et 1939). La vision est nationale et son objectif le développement touristique à l’image des pays voisins tout en considérant également l’importance d’une coopération internationale en la matière.
1934-1935 voit l’élaboration par Maurice Cosyni des « Sentiers Ardennais » en tant qu’initiative privée ayant pour singularité la création d’itinéraires balisés empruntant des tronçons nouvellement créés simultanément dans les Ardennes belges, le Grand-Duché de Luxembourg et les Ardennes françaises. Ainsi voient le jour le sentier des 7 châteaux (Arlon – Mersch), le sentier Sedan – Bouillon, le sentier de la forêt d’Anlier (Habay – Martelange) , le sentier du Pont d’Oye (Arlon – Habay) et le sentier de la Semois (Florenville – Bouillon).
Voir Photo 1 L’aménagement touristique de la Belgique ( Supplément à la Revue du Touring Club de Belgique (1936, 20)
Ce projet voit sa consécration officielle en 1935 par l’adoption du « Plan Cosyn » (« Les sentiers touristiques ») par le Service du Tourisme du Ministère des Transports. Le TCB est sollicité par le Ministère pour prendre sa réalisation pratique en charge. Un nouveau département dit des « Sentiers touristiques du TCB » est constitué en son sein et la direction en est confiée à Maurice Cosyn (7) .
25 sentiers (8) , couvrant une distance de 943 km, sont déjà fonctionnels en Wallonie principalement en 1938 et les développements prévus doivent porter ce kilométrage à plus des 1 200 km de sentiers avant 1940. Un nouveau conflit armé signera l’arrêt du projet.
7 Tout comme Comhaire, Maurice Cosyn fut une personne enthousiaste, cultivée et active dans plusieurs domaines. Outre ses activités au TCB, fut-il un des fondateurs de l’association Ardenne et Gaume (secrétaire général de 1942 à 1949), chef du tourisme à la ville de Bruxelles, secrétaire de la Ligue des Amis de la forêt de Soignes…
8 Et parmi eux, dans notre région le Sentier de la Houille
Après la seconde guerre, le TCB se désintéresse progressivement des sentiers, abandonnant progressivement leur entretien… automobile oblige ? Ce seront les GR9 (sentiers de Grande Randonné) qui reprendront le relais après-guerre pour réaliser un réseau de près de 5 000 km à ce jour en Wallonie ! L’aventure se poursuit…
Un projet similaire est aussi adopté et exécuté très rapidement par le Gouvernement luxembourgeois. Objectif : remplacer les anciens tracés de l’Eifelverein au Luxembourg, itinéraires abandonnés après le premier conflit mondial. Ainsi dès avant 1940, une dizaine de sentiers nationaux de grande randonnée y voient le jour ! Il s’agit du Sentier des Sept Châteaux (Arlon – Mersch), du Sentier de la Moselle (Schengen – Wasserbillig), du Sentier de la Haute Sûre (Martelange – Ettelbrück) , du Sentier de l’Our (Diekirch – Vianden – Clervaux), du Sentier du Nord (Diekirch – Clervaux), du Sentier de la Petite Suisse (Mersch – Echternach), du Sentier de l’Alzette (Luxembourg – Mersch), du Sentier du Mullerthal (Luxembourg – Grundhof), du Sentier de la Basse-Sûre (Echternach – Wasserbillig), du Sentier de l’Est ( Luxembourg – Ehnen), du Sentier du Sud (Luxembourg – Dudelange).
Jean Loiseau à la source des GR en France s’inspirera beaucoup des réalisations de Maurice Cosyn lorsqu’il proposera avec le Touring Club de France son projet de réseau de sentiers de grande randonnée en France en 1945.
Voir Photo 2 Guides des Ardennes belges