Indépendance, cha-cha!
30 juin 1960 : le Congo devient indépendant.
Cela, tout le monde le sait.
Mais ce qui est moins connu, c’est que le Katanga, une des provinces les plus riches du Congo, a voulu entretemps faire sécession, et se détacher du pays, ce qui a provoqué une guerre interne qui a duré des années. Militaires, rebelles et O.N.U ont longuement bataillé les uns contre les autres, tous trois étant aussi sanguinaires les uns que les autres… L’on appelait cette période la période des « évènements ».
La population apeurée essayait malgré tout de vivre « normalement ».
Les écoles étaient ouvertes, nous y allions donc et suivions les cours « normalement », tout en prêtant attention aux pétarades des mitraillettes et explosions des obus. Lorsque les tirs se rapprochaient trop de l’école, le prof nous disait « Tous à terre, sous les bancs, et ne bougez pas ! », quant à lui, il s’enfermait dans une armoire métallique, au fond de la classe. Parfois, l’un des trois groupes de belligérants entrait dans la salle de cours, en faisait le tour, et quand c’étaient des militaires ou des rebelles, j’en connaissais, et la plupart me faisaient discrètement signe de me taire, de baisser les yeux, de ne pas attirer l’attention, parce que leurs collègues étaient fort nerveux ! Puis ils partaient, et quand les tirs devenaient plus lointains, nous reprenions nos places, et les cours reprenaient.
À cet âge-là, nous ne nous rendions pas vraiment compte de la dangerosité de la situation, ne savions pas trop ce qu’était la mort, mais ce qui nous impressionnait, c’était de voir des adultes « suer la peur »…
De retour à la maison entre deux pétarades, la fête continuait. Chez nous, la seule pièce sans fenêtres était le couloir qui menait aux chambres. Et là aussi, quand la bataille se rapprochait, ma famille, celle de Djems (qui travaillait chez nous), les passants qui étaient à proximité et que nous appelions, nous entassions dans ce couloir salvateur, qui nous protégeait des balles et des explosions.
Ce n’est que le jour où, pas loin de chez nous (Chut, faut pas le dire : j’avais une fois de plus - et c’était de coutume - enfreint les ordres parentaux, de ne pas quitter le jardin !), j’ai trouvé couchée sur le sol et baignant dans une mare de sang, une mama que je connaissais très bien, car elle venait régulièrement nous vendre ses légumes (malgré notre potager, nous lui en achetions, sachant que pour elle, c’était un revenu important pour la survie de sa famille), ce n’est que ce jour, où après l’avoir secouée, appelée, avoir essayé de la redresser, de la faire bouger sans succès, que des passants m’ont rejointe et m’ont dit qu’elle était morte, ils m’ont aussi expliqué ce qu’était la mort, que j’ai compris… C’est ce jour-là que j’ai aussi su ce qu’était la peur que suaient certains adultes…
Et la vie a continué… Lorsque nous devions aller faire des courses en ville, et que les tirs au sol étaient assez lointains, nous savions qu’après les dernières explosions d’obus, nous avions quarante minutes pour nous déplacer sans trop de danger, le temps que l’avion qui les larguait retourne au champ d’aviation de Kamatanda, se réapprovisionne en munitions et carburant, et revienne nous arroser.
Lorsqu’enfin les pugilistes ont quitté la ville, nous nous sommes rendu compte que sur la fin, l’armée à court d’obus, avait largué des bacs de bière… Je peux vous dire que l’explosion des bouteilles était si forte qu’elle faisait un bruit similaire à celui d’un obus !
Indépendance, cha-cha-cha…