Ils ont rebâti Houffalize. 1re partie: Ukraine et Bataclan
Ils ont rebâti Houffalize
Deux événements récents à la télévision
En direct, les bombardements de Marioupol et Boutcha en Ukraine.
À Paris, la commémoration de l'attentat du Bataclan.
Peut-on en comparer les émotions suscitées avec celles des Houffalois ?
Bataclan. Les presque cent-cinquante morts de Paris étaient les uns pour les autres des inconnus, originaire de tous pays, victimes de terroristes ennemis.
Moins que l’équivalent en morts à Houffalize en 1945. Nos morts, tous des familiers, parents de tous degrés, voisins, de quoi porter la douleur à un paroxysme supérieur. Et les lâcheurs de bombes étaient nos protecteurs, à qui nous ne cessons de dire merci depuis 78 ans.
Au Bataclan, aucun père ou fils d’un mort n’a travaillé à restaurer le bâtiment, situé loin de leur vue.
Et depuis sept ans, un incessant soutien psychologique est apporté aux dites victimes qui se comptent en milliers de parties civiles, et l’État redouble d’interventions, légitimant parfois comme réconfort la permanence d'une haine.
Que de différences pour comparer les peines!
En Ukraine, nous avons vu en couleur ce que nous n’avons jamais vu qu’en noir et blanc, nous concernant, sur nos photos d’archives.
Et voyant en temps réel les bombes pilonnant les bords de la Mer noire, nous nous disions : et dire que tous ces bâtiments familiaux ou publics qu’on effondre, il va falloir les reconstruire.
Comparaison : abstraction faite des morts, c’est le chiffre de 90 pour cent de destructions matérielles qui était cités. Marioupol, Houffalize, mêmes rapports.
Nous avons vu des dégâts tels que dans notre vallée à l’époque.
En se disant qu’en Ukraine la reconstruction sera confiée à des sociétés « anonymes » ou d’États disposant de moyens techniques performants coordonnés ; à Houffalize, ce furent nos parents qui reconstruisirent, maison par maison, initiative par initiative, des années durant, dans l’odeur de cadavres, les cadavres des leurs. L’odeur de la mort qui a amputé chaque famille d’un ou plusieurs membres.
« Hommes, femmes, enfants parfois d’un seul ménage
Dont nous ne verrons plus sur terre les regards. » (Jean Kobs)
À Houffalize, point de soutien psychologique, si ce n’est ce sonnet de Jean Kobs et la visite du roi Baudoin le 15 mai… 1960.
Or les Houffalois, qui ont embrassé sans gémir l’amoncellement des quelque deux cents dépouilles et rebâti sans soupirs, par équipes laborieuses familiales de deux ou trois personnes, ont pris à bras le corps les nonante-cinq pour cent à reconstruire.
Qui a rebâti Houffalize ?
Sans casques ni gants, à l’huile de coude et les mains rêches, portefaix de tous les matériaux, sans outils électriques, ni perceuses ou scies ou mélangeurs de mortier.
Ils étaient terrassiers et piocheurs, manœuvres, charpentiers et menuisiers, électriciens, ardoisiers, peintres et plafonneurs, plombiers-zingueurs, carreleurs, petits entrepreneurs, fossoyeur, cultivateurs. Intraitables. Solidaires. Indomptés. Infatigables.
Nous les Bordjeus, nous sommes leurs enfants et petits-enfants.
Descendants de héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres.
Ils nous ont instruits de ce que le monde ne s'était pas effondré.
Or, jamais ils n’ont été honorés, célébrés par un titre ou une médaille.
(à suivre)
René Dislaire © Houffalize, le 6 septembre 2022